Lés conséquences fiscales de la vente d’un immeuble (l’impôt sur les revenus)

AuteurPierre-François Coppens
Occupation de l'auteurJuriste spécialisé en droit fiscal
Pages213-230

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67. Peut-on opter pour la taxation étalée de la plus-value professionnelle obtenue à la suite de la réalisation d'un immeuble ?
a Principe

Un régime d'exonération provisoire applicable aux personnes physiques et aux sociétés a été introduit par la loi du 22 décembre 1989 portant des dispositions fiscales et s'applique aux plus-values professionnelles réalisées à partir du 1er janvier 1990185. Le principe est simple : les plus-values réalisées de manière volontaire ou involontaire (plus-values dites forcées) sur des immobilisations corporelles ou incorporelles sont temporairement immunisées. Il faut cependant que l'entreprise s'engage à réinvestir le prix de vente obtenu dans une ou plusieurs nouvelles immobilisations, et ce dans un certain délai défini par la loi.

Dès que le nouveau bien est acquis en remploi, la taxation de la plus-value commence, au rythme des amortissements pratiqués sur ce nouveau bien.

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Ce régime de taxation étalée est optionnel et l'entreprise peut choisir la taxation immédiate si elle le préfère (par exemple en cas de situation déficitaire) ou la taxation séparée à 16,5 %.

b Plus Plus-values concernées

Les plus-values visées sont :

- les plus-values volontaires sur des éléments d'actifs qui ont été investis par la société depuis plus de cinq ans au moment de leur réalisation;

- les plus-values forcées, réalisées à la suite d'un sinistre, d'une expropriation, d'une réquisition en propriété ou d'un « événement analogue »186 (ici, la durée de détention de l'immobilisation concernée importe peu).

c Immobilisations visées

Les immobilisations doivent avoir la nature d'immobilisations corporelles ou incorporelles au sens de la législation comptable. Ainsi, un terrain peut bénéficier de ce régime. Par contre, le législateur a exclu du régime les plus-values réalisées lors de la vente d'immobilisations incorporelles qui n'ont pas fait l'objet d'amortissements fiscalement admis, parce qu'elles ont été constituées par l'entreprise et non acquises de tiers (par exemple : la clientèle)187. Les plus-values réalisées sur des immobilisations financières ou sur les stocks ou commandes en cours sont également exclues188.

d Actifs et montant à réinvestir

En ce qui concerne le remploi, un montant égal au prix de vente ou de l'indemnité reçue (et non de la plus-value) doit être réemployé totalement en immobilisations corporelles ou incorporelles189

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amortissables affectées en Belgique à l'exercice de l'activité professionnelle190. Les terrains et immobilisations financières ne sont donc pas des remplois valables, car ces biens ne peuvent faire que l'objet de réductions de valeur. Il importe peu, cependant, que les actifs soient neufs ou d'occasion.

e Délais de remploi

Concernant les immeubles, ceux-ci doivent faire l'objet d'un remploi dans un délai de :

- trois ans maximum après la fin de la période imposable au cours de laquelle l'indemnité a été perçue en cas de plus-value forcée (par exemple, un immeuble sinistré en 2002 mais donnant lieu à une indemnité payée en 2003 devra faire l'objet d'un remploi au plus tard le 31 décembre 2006);

- cinq ans prenant cours au début de la période imposable de réalisation de la plus-value, en cas de plus-value volontaire (par exemple, une plus-value réalisée en 2003 devra entraîner un remploi au plus tard le 31 décembre 2005).

En tous les cas, le remploi doit être fait avant la cessation d'activité professionnelle191.

f Conséquences du non non-remploi

Le non-remploi dans le délai entraîne la taxation de la plus-value lors de la période imposable au cours de laquelle le délai est expiré. Des intérêts de retard sont même dus à partir du 1er janvier de l'exercice d'imposition au cours duquel l'exonération provisoire a été accordée (art. 416 C.I.R.).

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g Autres conditions

En pratique, l'entreprise remettra à l'administration fiscale un formulaire (276 K) contenant toutes les données nécessaires à l'appréciation de l'exonération provisoire de la plus-value ainsi que sur le type de remploi envisagé. Pour les sociétés, et uniquement pour elles, cette immunité provisoire est en outre subordonnée à la condition d'intangibilité de l'article 190 du C.I.R. Concrètement, cela implique que les sociétés doivent inscrire la plus-value concernée aux comptes de « réserves immunisées » et « impôts différés ».

h Régime d’imposition

Le régime d'imposition est le suivant : la plus-value est temporairement immunisée si l'entreprise opte pour la taxation étalée. Cette plus-value temporairement immunisée devient ensuite imposable progressivement, selon le rythme des amortissements admis sur les actifs de remplacement. Si les biens acquis en remploi cessent d'être affectés à l'activité de la société, à la suite de vente ou de destruction, le solde de la plus-value non encore imposée devient taxable à ce moment192.

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68. Quels sont les critères sur lesquels se fonde le fisc et la jurisprudence pour taxer en revenus divers les ventes d'immeubles réalisées par un particulier ?
a Les trois catégories de revenus d’activités

Sont considérés par la loi comme des revenus divers, « les bénéfices et profits, quelle que soit leur qualification, qui résultent, même occasionnellement, ou fortuitement, de prestations, opérations ou spéculations quelconques ou de services rendus à des tiers, en dehors de l'exercice d'une activité professionnelle, à l'exclusion des opérations de gestion normale d'un patrimoine privé consistant en biens immobiliers, valeurs de portefeuille et objets mobiliers » (art. 90, 1° C.I.R.).

Cet article nous permet d'emblée d'établir la classification qui existe entre les trois grandes catégories de revenus d'activités que peut percevoir toute personne physique :

- les revenus qui relèvent de la gestion normale d'un patrimoine privé. Il s'agit des revenus provenant d'actes de gestion qu'un bon père de famille se doit d'accomplir normalement pour faire fructifier son patrimoine privé. L'exposé des motifs de la loi qui a donné lieu à la disposition citée nous révèle qu'un patrimoine privé se compose essentiellement d'immeubles, valeurs de portefeuille et objets mobiliers. Les revenus relevant de la gestion de patrimoine privé ne sont pas taxés;

- les revenus d'activités spéculatives occasionnelles, visées par l'article 90, 1° du C.I.R. : ces revenus sont imposables au titre de revenus divers;

- les occupations lucratives, c'est-à-dire l'ensemble des opérations suffisamment fréquentes et liées entre elles pour constituer une occupation continue et habituelle, présentant un caractère professionnel. Ces revenus sont taxés en tant que profits.

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b Critères de distinction entre la gestion du bon père de famille et les opérations visées à l’article 90, 1° e du C.I.R

Quels sont les critères utilisés par la jurisprudence pour départager ces différentes catégories ? Quels sont les indices sur lesquels s'appuie le fisc pour considérer qu'une opération excède les limites de la gestion normale d'un patrimoine privé ? En pratique, c'est essentiellement dans le domaine des activités immobilières que la question se pose le plus généralement et que des critères de distinction ont été définis. Un seul critère se révèle généralement insuffisant pour exclure l'activité du champ de la sphère privée, mais, pour sonder la réelle intention d'un contribuable, le fisc et le juge se fondent plutôt sur un faisceau d'indices. Nous examinons en détail ces critères développés par les cours et tribunaux.

c Les circonstances de l’acquisition

Si l'acquisition s'est faite à la suite d'un héritage ou d'une succession, plutôt que d'un achat, l'acquisition est jugée normale, en ce sens que puisque le bien a été intégré dans le patrimoine privé du contribuable, toute opération ultérieure porte sur un bien du patrimoine préexistant. Toute valorisation ultérieure de ce bien relèvera, « normalement », de la gestion du patrimoine privé. La Cour d'appel de Liège a ainsi considéré que le « profit résultant de la vente de sapins de Noël, plantés par le contribuable sur une parcelle lui appartenant en indivision avec sa sceur suite à un héritage, relevait de la gestion normale du patrimoine privé, compte tenu de la provenance de la parcelle »193. On notera que la jurisprudence considère cependant que « l'origine privée des fonds ne permet pas à elle seule de démontrer, à l'encontre d'une série d'éléments clairs, que l'opération litigieuse se situait en dehors de l'activité professionnelle »194.

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d L’intention spéculative

La spéculation, comme critère retenu pour entraîner une...

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