Les droits successoraux du conjoint survivant
Auteur | Emmanuel De Wilde D’Estmael; Pierre Henfling; François Minon |
Occupation de l'auteur | Avocats |
Pages | 295-316 |
Page 295
Lors du décès d'un conjoint, deux opérations successives interviennent :
- Il y a tout d'abord la liquidation du régime matrimonial entre les époux; ainsi, chacun des époux reprend ses biens propres, les biens communs sont partagés par moitié ou selon la convention prévue entre les époux, les biens indivis sont partagés par moitié ou selon la quotité prévue dans les actes, les comptes de créances ou de récompenses sont réalisés, ... Ce n'est qu'après cette opération que l'on peut connaître ce qui va revenir à la succession du défunt.
- Lorsque l'on connaît la composition de la succession du défunt (après la liquidation de son régime matrimonial), il y a la liquidation de sa succession.
C'est cette dernière liquidation qui fera l'objet de ce chapitre.
Nous étudierons successivement :
-
les droits successoraux du conjoint survivant;
-
les droits réservataires du conjoint survivant;
-
quelques considérations générales sur l'usufruit du conjoint survivant;
-
la loi sur les petits héritages.
Ensuite, nous épinglerons certains points importants concernant les successions comprenant une entreprise ou des titres de société.
Enfin, nous étudierons brièvement l'institution contractuelle, le testament et la donation, comme moyens d'avantager un conjoint survivant. Page 296
Cinq hypothèses sont à envisager :
- le conjoint survivant est en concours avec un ou plusieurs descendant(s) de son époux(se) prédécédé(e);
- le conjoint survivant est en concours avec d'autres successibles que des descendants du défunt;
- il n'y a aucun autre successible que le conjoint survivant;
- la succession anomale
- l'usufruit sur les biens rapportables en moins prenant.
Si le défunt laisse des descendants, des enfants adoptifs ou des descendants de ceux-ci, le conjoint survivant recueillera l'usufruit de toute la succession de ce dernier (C.civ., art. 745bis, § 1, al. 1).
Les descendants recevront quant à eux la nue-propriété des biens de la succession.
Par « descendants », on entend tous ceux qui descendent du défunt, qu'ils soient nés dans le mariage ou hors mariage (même les enfants adultérins) ou qu'ils aient été adoptés plénièrement.
L'adoption simple ne jouera qu'au premier degré (C.civ., art. 365), c'est-à-dire seulement dans les relations adoptant-adopté. Ainsi, l'adopté simple pourra hériter de la nue-propriété des biens de son adoptant. Par contre, ne pourrait pas hériter (directement) d'un défunt, l'enfant qui a été adopté simplement par le fils de ce dernier.
L'article 745bis, § 1, al. 1 du Code civil s'applique même en présence de descendants d'un précédent mariage ou d'une précédente union (ou subséquente, en cas d'enfant adultérin). Page 297
En cas de concours avec des ascendants et/ou des collatéraux du défunt, le conjoint survivant recueillera la pleine propriété de la part du défunt dans le patrimoine commun et l'usufruit du patrimoine propre du défunt (C.civ., art. 745bis, § 1, al. 2). Les autres héritiers ne recevront leur part qu'en nue-propriété sur ces derniers biens.
A la différence du cas précédent, le conjoint survivant hérite en pleine propriété de la part de la communauté revenant à la succession du défunt. Cette règle s'explique par le fait qu'en l'absence de descendants, l'époux survivant peut légitimement émettre des prétentions plus étendues sur les biens communs qu'il a contribués à acquérir ou à conserver, que sur les biens propres du défunt qui lui viennent de sa famille.
Précisons qu'il y aura un patrimoine commun dans tous les régimes matrimoniaux de communauté (régime légal ancien ou nouveau, communauté réduite aux acquêts, communauté universelle, communauté des meubles et acquêts) ainsi que dans le régime de séparation de biens avec société d'acquêts.
Par contre, il n'y a pas de communauté dans le régime de séparation de biens pure et simple ou dans celui de séparation avec participation aux acquêts. Dans ces régimes, il ne peut y avoir que des biens indivis ou propres. Dès lors, si les époux sont mariés en séparation de biens, le conjoint survivant ne recevra que l'usufruit de la succession du défunt.
En pratique, le conjoint reçoit la totalité de la communauté en pleine propriété, ce qui peut, compte tenu de la présomption de communauté pesant sur tout bien, aboutir à octroyer au conjoint survivant la quasi totalité du patrimoine du couple en pleine propriété.
Lorsque le défunt ne laisse aucun successible, hormis son conjoint, ce dernier recueillera la pleine propriété de toute la succession (C.civ., art. 745bis, § 1, al. 3). Page 298
Le conjoint recueille ainsi l'entièreté de la succession en pleine propriété si le défunt ne laisse que des collatéraux au-delà du quatrième degré, sauf le cas de la représentation.
Rappelons qu'à côté de la dévolution traditionnelle de la succession, il existe une succession parallèle, appelée «anomale» ou «droit de retour légal».
Depuis l'entrée en vigueur de la loi du 31 mars 1987, supprimant un des trois cas de succession anomale (celle dévolue aux frères et soeurs de l'enfant naturel), il ne subsiste plus que deux situations de retour légal (succession anomale) :
- un ascendant possède un droit de retour légal sur les biens qu'il a donnés à un descendant prédécédé sans postérité, si ces biens donnés se retrouvent en nature dans la succession de ce descendant. Si les biens ont été aliénés, l'ascendant recueille le prix qui peut en être dû (C.civ., art. 747);
- le droit de retour légal profite également, sur la base de l'article 366, §1, 2º du Code civil, aux ascendants de l'adopté prédécédé sans postérité, aux adoptants et aux descendants des uns et des autres à l'égard de l'adopté précité. Ce droit de retour concerne tant les biens donnés par les adoptants ou les ascendants de l'adopté que ceux recueillis dans leur succession respective.
Dans ces deux cas, si le droit de retour est exercé par son bénéficiaire, le conjoint survivant aura l'usufruit de tous les biens soumis à ce retour, à moins que le défunt, par testament ou dans l'acte de donation des biens précités, n'en ait disposé autrement (C.civ., art. 745bis, § 2).
Le conjoint survivant ne peut en principe exercer son usufruit que sur les biens se trouvant effectivement dans le patrimoine du défunt à son décès. Son usufruit ne pourra porter sur un bien donné ou légué à un tiers, à moins que la libéralité ainsi faite n'ampute sa réserve «abstraite» ou «concrète» (voir ci-après) ou que cette libéralité ait été faite en avancement d'hoirie (C.civ., art. 843 et suiv.). Page 299
En principe, une libéralité est réalisée en avancement d'hoirie si elle a été faite à un héritier du défunt (par exemple, son enfant; voy. à ce propos, ci-avant).
Dans ce dernier cas :
- Si les biens légués ou donnés doivent être rapportés en nature (ce qui est le cas en principe, s'il s'agit d'un immeuble), l'usufruit du conjoint survivant s'exercera sur les biens rapportés.
Exemple
Luc décède en laissant son épouse, Corinne, et un fils Marc. Il a donné à Marc en avancement d'hoirie en 1995 un immeuble qui lui est propre, sans autre précision et sans avoir fait intervenir son épouse à l'acte. Cet immeuble est donc rapportable en nature dans la succession de Luc et Corinne pourra exiger d'avoir l'usufruit sur ce bien.
- Si au contraire, le rapport se fait en moins prenant (ce qui est le cas en principe pour les meubles; dans cette hypothèse, le donataire peut conserver le bien donné mais il prendra moins dans la succession du donateur), l'article 858bis du Code civil prévoit que le conjoint survivant aura droit, à la place de son usufruit effectif sur les...
Pour continuer la lecture
SOLLICITEZ VOTRE ESSAI