Le dialogue sociétaire les conflits sociétaires

AuteurGuy Horsmans
Occupation de l'auteurProfesseur émérite UCL. Avocat
Pages85-134

    Toutes critiques, remarques, observations ou suggestions à propos de ces réflexions et des propositions qu'elles comportent sont les bienvenues à l'adresse e-mail suivante : ghorsmans@horsmans.be

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Introduction

1.- L'être juridique. L'agent de l'économie privée. Sa finalité humaine.

La personne morale, qu'est la société commerciale, est le fruit d'une création juridique. Le droit l'organise, la reconnaît, la réglemente et la contrôle. Il est le maître de sa naissance, de sa vie et de sa mort. Il façonne sa structure et ses organes et édicte les normes de son action. Le droit paraît y régner en maître absolu.

La respiration des personnes morales que sont les sociétés commerciales n'est cependant pas juridique. L'air qu'elles respirent est celui du monde de l'économie dont elles sont les principaux agents. L'air et l'atmosphère économiques y insufflent leurs courants, leurs exigences, leurs possibilités et leurs variations.

Les sociétés commerciales requièrent ainsi une attention permanente et conjointe du monde du droit et du monde de l'économie.

Toutefois, le droit et l'économie n'en traduisent la réalité et la richesse que si l'un comme l'autre confère pleine reconnaissance et plein effet à la finalité humaine qui est et qui doit être celle des sociétés commerciales.

L'aventure sociétaire est, avant tout, une aventure humaine. Sa réussite implique et requiert que les hommes et les femmes y déploient leurs qualités dans la recherche constante de leur épanouissement; y trouvent la satisfaction de leurs besoins, de leurs attentes et de leurs plaisirs et entretiennent des rêves dont la réalisation leur paraît, sous une telle égide, de plus en plus vraisemblable, sinon certaine.

2.- Un monde d'initiative, de risque et de créativité.

L'aventure sociétaire en appelle à toutes les qualités et à toutes les virtualités humaines. Elle représente, comme d'autres, un terrain privilégié de création et de dialogue, d'action et de réflexion, de solitude et de solidarité, de fierté et de modestie, d'espoir et de réussite, de tristesse et de déception. Elle connaît ainsi la réalité de la vie dans toutes ses composantes et dans toutes ses possibilités. Tout le registre humain y est présent et s'y manifeste sous les modes et les formes les plus variés.

Ce rapport se limite, par son objet, à deux démarches fondamentales de notre existence humaine : la création et le dialogue.

La nécessité de créer et le plaisir de créer. La nécessité de dialoguer et le plaisir de dialoguer. La création et le dialogue peuvent être des contraintes. Elles peuvent aussi être des passions.

L'une et l'autre ne peuvent être complètement appréhendées par une réglementation juridique. L'une et l'autre ne peuvent être totalement mesurées par les normes économiques. On ne peut contraindre quelqu'un ni à créer ni à dialoguer.

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On ne peut davantage prétendre que la création et le dialogue doivent obligatoirement s'exprimer dans le respect d'un faisceau de règles et de contraintes arrêtées à cette fin.

La création et le dialogue participent, en effet, de la liberté et de l'épanouissement de chacun.

Leur réalité et leur richesse dépassent celles du droit et de l'économie. L'un et l'autre ne peuvent que les reconnaître et en favoriser les expressions.

Nos réflexions s'inscrivent dans une telle perspective.

Nous entendons, d'abord, rappeler l'importance, pour les sociétés commerciales et pour l'économie à laquelle elles participent, de l'esprit créatif et de la volonté de dialogue (I). Le dialogue participe de la finalité des sociétés commerciales et de la bonne gestion qu'elles impliquent (II). Il peut cependant conduire à des conflits dont la nature, l'importance, l'utilité ou la nocivité retiendront brièvement notre attention (III). Comment promouvoir le dialogue et résoudre ces conflits au sein même de la société (IV) ? A défaut de réussite, quelles sont les procédures «externes» qui peuvent ou qui doivent être mises en mouvement pour résoudre le conflit et permettre à la société de reprendre le cours normal de ses activités (V).

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I L'esprit créatif et la volonté de dialogue

3.- La création est au coeur de l'aventure sociétaire. Elle se confond, au départ, avec la volonté et le risque d'entreprendre. Elle se retrouve dans l'apparition d'une personne nouvelle. Elle assure la réalisation des finalités recherchées par ceux qui ont pris l'initiative de la démarche sociétaire. Elle anime la conquête incessante du marché, la politique sociétaire arrêtée et suivie à cette fin et partant, la gestion de toutes les activités que la société commerciale prend l'initiative d'entreprendre ou auxquelles elle est mêlée à un titre quelconque.

La volonté et le plaisir de créer participent ainsi de la nature et de l'essence de l'aventure sociétaire à l'instar de la volonté et du plaisir d'agir et de réussir.

L'aventure sociétaire permet aux esprits créatifs d'y donner leur pleine mesure et d'y trouver l'épanouissement qu'ils recherchent.

Le droit ne peut cependant pas imposer un tel esprit ni prescrire les conditions de son expression.

Il lui appartient, en revanche, d'en consacrer et d'en proclamer l'importance et de contribuer à lui donner plein effet à tous les stades de la démarche sociétaire et dans tous les aspects du dialogue qu'elle implique.

Il y veille par des dispositions administratives et fiscales dans une préoccupation qui est essentiellement axée sur l'emploi et sur la nécessité de se procurer ainsi des moyens d'existence.

Les thèmes en sont récurrents. Ils comportent la simplification administrative et l'allègement des charges. Ces dispositions et la recherche incessante de leur amélioration contribuent-elles, de manière adéquate et pertinente, à l'environnement légal, nécessaire et souhaitable, de l'expression créative et des finalités d'épanouissement, individuel et collectif, qu'elle comporte ?

Les débats sont permanents dans l'opposition des thèses de tous les camps qui mesurent, à des aunes différents, leurs satisfactions, leurs déceptions et leurs attentes. Les habitudes semblent y exercer une influence déterminante et l'on doute parfois que le dialogue, nécessaire entre les autorités et toutes les parties intéressées pour promouvoir le meilleur environnement légal possible, soit suffisamment permanent et constructif comme si l'esprit créatif faisait défaut à ceux qui sont chargés d'en reconnaître la nécessité et l'importance dans la réalisation des missions et des finalités des agents du monde économique et social.

4.- Les règles et les dispositions qui, à l'heure actuelle, entourent et gouvernent la création des sociétés commerciales, leur fonctionnement et leur liquidation assurentelles, de manière pertinente et adéquate, le tissu sociétaire dont nous avons besoin ?

Toutes et chacune de ces normes doivent être comprises, interprétées et appliquées dans cette perspective et dans cette finalité.

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Le droit belge des sociétés a voulu, par sa codification récente, donner une image cohérente du tissu sociétaire dans son organisation, son fonctionnement, son rôle, ses finalités, ses missions et ses responsabilités.

A-t-il réussi ?

Que faut-il penser de cette conceptualisation juridique ? Qu'en pensent ceux à qui s'impose le monde sociétaire ou qui doivent en accepter les réalités dans la recherche de la satisfaction de leurs besoins propres ?

5.- D'aucuns se plaignent, non sans raison, de la multiplicité des normes sociétaires et des réformes incessantes du droit des sociétés.

D'autres les enregistrent dans la satisfaction de la réponse apportée à des problèmes même si ceux-ci relèvent parfois de querelles d'écoles juridiques et d'événements spécifiques.

Il demeure qu'aujourd'hui comme hier, l'image première de la société commerciale est simple et directe et peut se réduire à quelques données, comme celles que nous croyons pouvoir privilégier à l'écoute des acteurs du monde sociétaire et de ceux qui en bénéficient ou qui en pâtissent.

5.1.- La société commerciale est une personne morale dont la responsabilité est limitée. La règle de la majorité s'applique à son action qui implique une politique de rentabilité et de recherche de bénéfices.

La société commerciale doit, en sa qualité de principal agent de l'économie privée, créer des richesses. Elle doit, en cette même qualité, créer des emplois et participer à la réalisation du bien public.

Pourquoi cette image sociétaire et l'aventure qu'elle implique n'incitent-elles pas un plus grand nombre de belges à entrer dans le jeu sociétaire et à créer des sociétés commerciales ?

Que faut-il faire pour influencer les esprits en ce sens ? Quel est le dialogue qu'il faudrait mener à cette fin ?

5.2.- Depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, la notion d'entreprise supplante, s'oppose ou se confond avec la notion de société.

Cette notion entend, à la faveur notamment de la législation allemande relative à la participation des...

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