Dessins, modèles et protection de l’esthétique industrielle
Auteur | Dominique Kaesmacher; Théodora Stamos |
Occupation de l'auteur | Présidente, AIPPI (Association Internationale de la Protection de la Propriété Intellectuelle)/Juriste d’entreprise, Belgacom |
Pages | 115-147 |
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Tant le «designer» que l’industriel - pour autant que ce dernier décide d’investir dans l’esthétique de ses produits -, ont intérêt à déposer des dessins ou modèles industriels. Voici quelques raisons majeures.
Le dessin ou modèle industriel protégé, parfois appelé «design», est l’aspect extérieur ou l’apparence d’un produit industriel ou artisanal ayant une fonction utilitaire, par exemple, un divan, un GSM, une automobile, une montre, un vêtement, un luminaire, un appareil électroménager, un tissu d’ameublement.
Comme tous les droits intellectuels, les dessins ou modèles industriels confèrent un droit exclusif à leur titulaire.
En déposant un dessin ou modèle industriel, le «designer» valorise donc les résultats de ses efforts de création et les investissements portant sur l’esthétique dans l’industrie, ainsi que dans les arts et artisanats traditionnels.
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Dans une société de consommation comme celle dans laquelle nous vivons, l’apparence, le «look» jouent un rôle très important dans l’acte d’achat du consommateur, sinon pour tous les produits, en tous cas pour un grand nombre.
La protection des modèles a pour effet d'inciter les producteurs à apporter plus de soin à l'aspect extérieur de leurs produits, ce qui stimule l'essor de l'esthétique industrielle et provoque l'éclosion de nouveaux besoins. Il est suscité ainsi un courant industriel qui favorise les débouchés pour les biens de consommation; c'est un fait d'ailleurs universellement reconnu que la présentation agréable d'un produit flatte l'instinct du consommateur
67.
En d’autres termes, le dessin ou modèle industriel est pour l’industriel un moyen de susciter et de sécuriser la demande de ses produits, et donc aussi, s’il le souhaite, de pratiquer des marges supérieures.
Concevoir et faire protéger des dessins ou modèles industriels peut être relativement simple et peu coûteux : c’est à la portée des petites et moyennes entreprises, ainsi que des artistes et des artisans individuels.
C’est encore plus vrai depuis l’entrée en vigueur du système communautaire de protection des «dessins ou modèles communautaires non enregistrés» (voir infra).
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Le titulaire du dessin ou modèle industriel, peut décider d’exploiter lui-même le «design» protégé. Mais il peut aussi préférer en concéder le droit d’exploitation à un ou plusieurs tiers, de manière exclusive ou non, en contrepartie du paiement d’une rémunération appelée «redevance» (ou «royalties»).
Certains «designers» sont devenus tellement célèbres que les industriels se les arrachent à prix d’or… Certains même ne vivent que de cela : concevoir, sur commande ou spontanément, des nouveaux modèles, les protéger juridiquement puis vendre les modèles ainsi protégés ou les donner en licence, ou encore combiner les deux formules dans le temps.
Certains aspects nouveaux des inventions consistant en des produits techniques peuvent ne pas être brevetables pour diverses raisons, par exemple défaut d’inventivité ou exclusion légale. Leur protection peut encore être envisagée via le dépôt d’un dessin ou modèle industriel.
Par ailleurs, à l’expiration du brevet protégeant un produit nouveau tel que un médicament ou un détergent, l’industriel peut imaginer de donner une nouvelle vie «exclusive» à son produit via un packaging spécifique ou une forme nouvelle, qu’il pourra protéger, le cas échéant, par un dessin ou modèle industriel.
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En Belgique, comme dans la plupart des pays européens, l’art appliqué est également protégé par le droit d’auteur, pour autant qu’il en respecte les conditions de protection. Nous vivons dans un système de cumul de protection.
En bref68, il y a deux conditions de protection par le droit d’auteur. Tout d’abord, la création doit être matérialisée de manière à pouvoir être communiquée à autrui. Une idée, un concept, ne peut donc en tant que tel être protégé par le droit d'auteur. Ensuite, il doit s'agir d'une création originale, c'est-à-dire une création intellectuelle propre à son auteur.
La protection par le droit d’auteur, à la différence de celle par le dessin ou modèle enregistré, ne nécessite aucun dépôt, ni enregistrement ou démarche, ce qui est donc très simple et peu coûteux. Il faut mais il suffit que la création soit originale et soit exprimée, mise en forme.
Ensuite, la protection est de très longue durée : toute la vie du créateur plus 70 ans après sa mort, alors que la protection par dessin ou modèle enregistré est de 25 ans maximum.
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La difficulté principale réside dans l’incertitude quant à la réalité du droit. En effet, l’appréciation de l’originalité est laissée au juge qui sera le cas échéant saisi ultérieurement, par exemple dans le cadre d’une action en contrefaçon introduite par le créateur contre un prétendu copieur.
La deuxième difficulté réside dans la preuve de la création puisqu’aucun titre officiel n’est délivré. Il conviendra donc de garder des traces de l’évolution de sa création (croquis, notes, etc.), de les dater et de les signer (pour bénéficier de la présomption de titularisé prévue par la loi) et de donner une date certaine à la «création achevée». L'accomplissement de ces mesures probatoires ne garantit pas que l'œuvre est protégée par le droit d'auteur. Elle permet seulement de prouver vis-à-vis des tiers (en particulier des copieurs), et le cas échéant devant les cours et tribunaux, que l'œuvre existait à une date déterminée69.
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La protection par le droit d’auteur présente une autre faiblesse liée à l’étroitesse de la protection : alors qu’en matière de dessin ou modèle industriel enregistré, celui qui commercialise un produit ayant un aspect identique ou similaire à la création n° 1 est sanctionné dans tous les cas (sauf si le modèle est nul ou si le contrefacteur peut bénéficier d’une des rares exceptions, voir infra), seul le copieur le sera en cas de protection par le droit d’auteur. En d’autres termes, si le prétendu contrefacteur parvient à prouver qu’il n’a pas copié la création n° 1, mais qu’il a fait œuvre créatrice personnelle et que celle-ci est «par hasard» la même ou quasi la même que la création n° 1, il ne sera pas condamné pour contrefaçon.
En conclusion, il ne faut pas négliger la protection par le droit d’auteur, d’autant plus qu’elle est automatique, et donc prendre les précautions précitées pour pouvoir le cas échéant en bénéficier au mieux. Mais pour les créations plus stratégiques ou plus sujettes à la copie, il vaut mieux doubler la protection par un dépôt de dessin ou modèle industriel.
Si l’on veut protéger un dessin ou modèle en Belgique, on a le choix entre un dessin ou modèle Benelux70, un dessin ou modèle communautaire71 et un dessin ou un modèle international désignant notamment la Belgique (ou l’Union européenne). En effet, il n’y a plus de dessin ou modèle belge depuis le 1er janvier 197572. Les conditions de validité...
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