La déclaration de faillite

AuteurPhilippe Jehasse
Occupation de l'auteurAvocat et associé , Bureau Henry et Mersch
Pages37-60

Page 37

1. L'ouverture de la faillite

La loi du 8 août 1997 a supprimé la faillite d'office qui permettait au tribunal de commerce de déclarer d'office en faillite le commerçant en état de cessation de paiement et dont le crédit était ébranlé.

Désormais, la faillite est déclarée par le tribunal de commerce saisi soit sur aveu du commerçant ou de la société commerciale (A), soit sur citation d'un ou de plusieurs créanciers (B), soit encore sur citation du Ministère public (C).

Mentionnons pour mémoire que la faillite peut également intervenir suite à une citation signifiée par l'administrateur provisoire désigné en vertu de l'article 8 de la loi sur les faillites 60 ou encore en cas d'échec d'une procédure de concordat judiciaire 61.

A L'aveu de faillite

Tout commerçant est tenu, dans le mois de la cessation de ses paiements, d'en faire l'aveu au greffe du tribunal de commerce territorialement compétent 62.

Le non respect de cette obligation est non seulement sanctionné pénalement63, mais emporte également des conséquences importantes sur le plan de la responsabilité civile du commerçant ou des organes sociétaires défaillants. En effet, celui qui tarde à faire Page 38 aveu de faillite (commerçant personne physique, conseil d'administration ou gérant d'une société commerciale) pourrait être tenu sur ses propres deniers de l'aggravation de l'endettement de l'entreprise depuis l'époque où le bilan aurait dû être déposé. Le curateur devra toutefois établir la faute, le dommage et le lien de causalité entre ce manquement et ce préjudice 64.

Exemple

Le gérant de société qui poursuit les activités sans payer les cotisations sociales de ses salariés pourrait être tenu de payer celles-ci sur son patrimoine propre dans le cadre d'une action en comblement du passif (voir infra, pages 171 et suivantes).

* Le conseil d'administration ou le gérant d'une société en difficulté pourraient-ils décider de mettre la société en liquidation plutôt que de faire aveu de faillite ? 65

Cette question revêt une importance toute particulière dans l'hypothèse - qui est la plus fréquente en pratique - où la réalisation des actifs de la société ne permettra pas de faire face à l'ensemble de ses dettes. En d'autres termes, la liquidation sera déficitaire. Ce sujet délicat mérite que nous nous y attardions quelque peu 66.

La légalité des liquidations déficitaires a suscité de vives controverses dans le passé.

Ainsi L. MATRAY écrivait-il en 1982 : «Nous pensons que la solution de la liquidation volontaire ne pourrait se justifier exceptionnellement que si la société se trouvait devant une difficulté passagère de trésorerie ou dans l'impossibilité provisoire de se faire une idée suffisamment précise des résultats de la liquidation et par conséquent de constater si l'actif à répartir Page 39 excèdera ou non les dettes de la société» 67. Dès l'instant où il était établi que l'actif serait insuffisant pour faire face au passif social, l'aveu de faillite était inévitable 68.

Il faudra attendre les arrêts de la Cour de cassation des 17 juin 1994, 6 mars 2003 et plus récemment du 14 janvier 2005 pour apporter un éclairage nouveau à ce débat.

Par ailleurs, lors des travaux préparatoires précédant l'adoption des lois du 17 juillet 1997 sur le concordat judiciaire et du 8 août 1997 sur les faillites, il a été mentionné à plusieurs reprises que la faillite n'était pas une fin en soi 69 et «qu'il était préférable, pour autant qu'il n'y ait pas de fraude, de permettre aux créanciers de se mettre d'accord avec leurs débiteurs sur un mode de réalisation qui leur paraîtrait préférable : la liquidation» 70.

Le Ministre souligna également que «la liquidation forcée constituait une alternative intéressante à la faillite et qu'il convenait de laisser cette possibilité au tribunal» 7172 et qu'il n'y avait pas lieu de refuser aux créanciers une procédure de liquidation forcée «à leurs yeux plus efficace que celle d'une procédure de faillite» 73. Page 40

Les juridictions du Nord du pays, pourtant traditionnellement plus réservées sur la légalité des liquidations déficitaires, considèrent également celles-ci sous un jour désormais favorable 74.

La légalité de la liquidationdéficitaire - et partant la possibilité de choisir la mise en liquidation de la société en difficulté plutôt que l'aveu de faillite - ne nous paraît donc plus sérieusement contestable aujourd'hui.

* Comparaison générale entre la faillite et la liquidation

Les régimes de la liquidation et de la faillite présentent certaines similitudes.

Ils organisent tous deux une situation de concours avec pour conséquences :

- la cristallisation des droits des créanciers (suspension du cours des intérêts des créances chirographaires et des créances assorties d'un privilège général) 75;

- la création de patrimoines d'affectation, encore appelés «masses», qui serviront de gage spécial à ceux envers lesquels le curateur ou le liquidateur se sont engagés (dettes de la masse);

- la désignation d'un curateur ou d'un liquidateur ayant pour mission générale de diriger, sous leur responsabilité, les opérations de réalisation et de répartition des actifs;

- la distinction entre dettes dans la masse et dettes de la masse;

- la suspension du droit d'exécution individuelle des créanciers.

Il faut néanmoins se garder d'assimiler de façon hâtive la liquidation et la faillite. En effet, plusieurs différences importantes existent entre les deux institutions. En cas de faillite, il y a :

- la désignation par le tribunal de commerce et sous son contrôle d'un curateur intervenant en qualité de mandataire de justice;

- la présence d'un juge-commissaire qui va assurer le suivi et la surveillance de la procédure; Page 41

- une période suspecte permettant de remettre en cause certaines opérations préjudiciables aux créanciers de la société 76 (voir infra, pages 73 et suivantes);

- l'action en comblement du passif en cas de faute grave et caractérisée des anciens dirigeants de fait ou de droit 77 (voir infra, pages 171 et suivantes);

- l'action en responsabilité contre les fondateurs en cas d'insuffisance manifeste du capital de départ et de faillite prononcée dans les trois ans de la constitution de la société (action réservée exclusivement au curateur) 78 (voir infra, pages 168 et suivantes);

- les dettes à terme deviennent immédiatement exigibles 79 (voir infra, pages 88 et 89);

- la clause de réserve de propriété opposable à la masse dans les conditions prévues par l'article 101 de la loi sur les faillites (voir infra, pages 98 et suivantes);

- la décharge de la caution à titre gratuit de la société faillie 80 (voir infra, pages 153 et suivantes);

- ...

Ces différents aspects sont spécifiques au régime de la faillite et ne se retrouvent pas en cas de liquidation.

* Pourquoi la liquidation plutôt que la faillite ?

Les avantages de la mise en liquidation d'une société commerciale81sont bien connus :

- les négociations avec des repreneurs potentiels sont menées dans de meilleures conditions et aboutissent dès lors souvent à une meilleure valorisation de l'outil économique;

- peu ou pas de formalisme; Page 42

- moins de publicité autour de la situation de l'entreprise. Le risque de voir se ternir l'image de marque de la société est donc moindre, ce qui est bien entendu propice à une cession éventuelle des activités et au maintien de l'emploi;

- la souplesse globale de la formule qui est propice à la créativité et à la recherche de solutions originales de sauvegarde de l'outil économique et de l'emploi;

- ...

La pratique montre en effet que dans divers cas, «la liquidation amiable a été délibérément choisie par d'importantes entreprises dont le passif était gravement altéré et la poursuite de l'activité en cause, essentiellement dans le but d'éviter les répercussions désastreuses - au plan commercial mais aussi, croit-on, au plan psychologique - d'une déclaration de faillite et de faciliter, sans trop de casse, la cession amiable de l'affaire à un 'repreneur' parfois providentiel. Il fallait assurer une réalisation «adoucie» des actifs qui évite le démantèlement et la vente à l'encan, assure le maintien de l'entité économique malgré la discontinuité juridique»82.

En résumé, la liquidation apparaît souvent comme l'instrument privilégié lorsqu'il s'agit de préserver une entité économique et sociale 83.

Dans certains cas toutefois, la liquidation a été détournée de sa finalité et a donné lieu à des abus 84. Lors des travaux préparatoires qui ont précédé l'adoption des lois sur la faillite et le concordat judiciaire de 1997, le Ministre de la Justice a en effet déposé une note consacrée aux liquidations frauduleuses 85. Page 43

Exemple

Le produit de réalisation des actifs était intégralement perçu par le liquidateur au titre de frais et honoraires, les actifs étaient cédés à vil prix aux anciens dirigeants, seuls étaient payés les créanciers avec lesquels les anciens dirigeants entretenaient encore...

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