Les conflits d'intérêts

AuteurMichel de Wolf Wolf/Patrick de Wolf Wolf/Pierre Nicaise Nicaise/Laurent Stas de Richelle Richelle
Occupation de l'auteurRéviseur d'entreprises/Avocat/Notaire/Avocat
Pages126-141

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A Champ d'application ratione personae de l'article 523 du Code

L'article 523 a vocation à s'appliquer à toutes les sociétés anonymes, qu'elles fassent, ou qu'elles aient fait ou non publiquement appel à l'épargne, qu'elles soient, ou non, admises à la cote officielle d'une bourse de valeurs située dans un Etat membre de l'Union Européenne.

Son application devra cependant être modulée en fonction de l'appartenance de la société anonyme concernée à l'une ou l'autre de ces catégories.

B Opérations ou décisions visées

Le champ d'application de l'article 523 du Code est limité à la décision ou à l'opération relevant du conseil d'administration et à laquelle l'administrateur a, directement ou indirectement, un intérêt opposé de nature patrimoniale.

Les notions d'opération ou de décision paraissent englober tous les cas soumis au jugement et à la décision du conseil d'administration, cette disposition étant dès lors susceptible de s'appliquer, tant dans le cas d'une action positive du conseil que lorsqu'il décide de ne rien faire.

L'opération ne doit pas nécessairement être susceptible de créer des droits ou obligations dans le chef de la société. Une telle exigence, parfois défendue en doctrine, paraît ajouter au champ d'application de l'article 523 une condition qui n'est ni comprise dans son libellé ni reprise dans les travaux préparatoires de la loi du 18 juillet 1991 (qui a modifié substantiellement l'ancien régime des conflits d'intérêts - elle-même modifiée par la loi du 13 avril 1995 qui est revenue largement à la terminologie en vigueur avant 1991).

Sont visés par l'article 523, pour autant que la condition d'intérêt patrimonial opposé soit remplie, la décision du conseil d'administration statuant sur l'agrément d'une cession de parts ou autorisant un de ses actionnaires à procéder à un audit préalable au lancement d'une offre publique d'acquisition.

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L'article 523 ne paraît, par contre, pas applicable aux décisions ou opérations ne relevant pas de la compétence du conseil d'administration, ce qui exclut les décisions prises par le délégué à la gestion journalière dans la sphère de ses compétences, ainsi que celles dévolues à l'assemblée générale.

Deux précisions s'imposent à propos des décisions de l'assemblée générale:

- lorsque les décisions de l'assemblée générale impliquent une décision ultérieure du conseil d'administration (recours au capital autorisé, répartition de tantièmes ou quasi apport par exemple), l'article 523 demeurera naturellement d'application pour ce qui concerne la décision à prendre par le conseil;

- inversement, les simples propositions de décisions formulées par cet organe à l'assemblée générale, qui reste libre de les entériner ou non, échappent à cette disposition puisqu'elles n'impliquent aucune décision réelle dans le chef du conseil. Ainsi en va-t-il, à titre d'exemple, des propositions d'augmentation de capital (hors capital autorisé), d'approbation des comptes annuels, d'affectation des bénéfices, de modifications aux statuts. De même, la décision de convoquer une assemblée générale, ainsi que la détermination de son ordre du jour échappent à l'application de l'article 523 car les décisions qui en résultent seront prises par les actionnaires.

En conclusion, l'article 523 nous paraît devoir trouver à s'appliquer chaque fois que le conseil d'administration est investi d'un pouvoir de décision. Il sera inapplicable lorsque ce pouvoir revient, soit au délégué à la gestion journalière, soit à l'assemblée générale.

C Notion d'intérêt opposé de nature patrimoniale

L'application de l'article 523 suppose l'existence, dans le chef de l'administrateur, soit directement, soit indirectement, d'un intérêt opposé de nature patrimoniale.

Le législateur a soustrait à cette disposition les conflits afférents à:

- des intérêts seulement différents;

- à des intérêts seulement moraux ou affectifs;

- et à des intérêts résultant d'une fonction dirigeante dans l'une et l'autre des sociétés concernées par l'opération ou la décision à prendre par le conseil.

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La simple existence, dans le chef de l'administrateur, d'un intérêt à la décision ou à l'opération ne suffit plus.

Cet intérêt doit être opposé.

L'interprétation de l'opposition d'intérêt peut donc s'opérer conformément aux principes anciens dégagés sous l'empire de la version initiale de l'article 523 du Code des sociétés (art. 60 LCSC - version 1873) d'après lesquels l'opposition d'intérêt surgit quand la délibération porte sur un objet où l'avantage de l'un sera d'autant plus important que l'avantage de l'autre sera moindre.

Qu'en est-il de l'importance de cet intérêt dans le chef de l'administrateur? Doit-il revêtir une certaine importance ou, au contraire, un intérêt personnel, même minime, suffit-il à entraîner l'application de l'article 523?

L'intérêt minime a conduit, sous l'empire de la version du texte légal issue de la loi, à une application souvent trop lourde et inutile de la disposition.

Avis

Il faut donc suggérer que l'article 523 ne s'applique que lorsqu'il rencontre le but poursuivi par le législateur (éviter que l'intérêt de l'administrateur dans la réalisation d'une opération envisagée par la société n'influence la décision de cette dernière).

Cette interprétation, d'ailleurs conforme à la doctrine ancienne selon laquelle le seul fait de posséder quelques actions de l'autre société n'était pas de nature à créer l'intérêt opposé de l'article 523 - version 1873, rejoint également la position adoptée en la matière par la Cour de cassation française. Dans un arrêt du 4 octobre 1988, celle-ci avait considéré que l'intérêt d'un administrateur était insuffisant dès lors qu'il ne détenait pas «des intérêts suffisamment importants pour infléchir la conduite de cette société» [Cass. Fr., 4 octobre 1988, Rev. Sociétés, 1989, p. 216].

Avis

Mais qui appréciera dans ce cas? Bien que la question ouvre certes le champ à la subjectivité, nous suggérons que l'existence d'un intérêt opposé, aussi minime soit-il, amène l'administrateur concerné à en faire état auprès des autres administrateurs.

Certains éléments pratiques plaident en faveur de cette solution:

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- la nécessité d'une nature patrimoniale de l'intérêt visé, ainsi que d'une opposition avec celui de la société seront des «filtres» précieux qui éviteront une application excessive de la procédure visée à l'article 523;

- l'allégement des conséquences liées à l'existence d'un conflit d'intérêt (l'interdiction d'assister aux délibérations et la suspension du droit de vote n'étant plus prévues que pour les sociétés ayant fait ou faisant publiquement appel à l'épargne) rend plus viable l'application de l'article 523.

Il est juste que l'administrateur concerné laisse au conseil le soin d'examiner le caractère minime ou non de son intérêt, solution qui, per se, requiert la communication préalable de l'intérêt litigieux aux autres administrateurs.

L'intérêt visé doit être non seulement opposé à celui de la société mais doit également revêtir une nature patrimoniale, c'est-à-dire de nature financière ou matérielle.

L'intérêt opposé de nature patrimoniale doit enfin exister dans le chef de l'administrateur, soit directement, soit indirectement.

Un administrateur a un intérêt direct à une décision ou une opération dès lors qu'il contracte lui-même avec la société comme, par exemple, dans le cadre d'un contrat d'achat, de location ou de distribution.

Son intérêt est indirect lorsque la société contracte avec une personne physique ou morale à laquelle il est lié. Ce lien peut revêtir les formes les plus diverses: prise de participation dans le capital d'une autre société, existence de relations contractuelles entre l'administrateur et l'autre personne, physique ou morale, voire détention d'un bien en copropriété, relations...

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