La loi autorise-t-elle les ASBL à exercer des activités commerciales ?
Auteur | Michel Davagle |
Occupation de l'auteur | Conseiller juridique près les ASBL Nerios de Huy et Semafor de Liège |
Pages | 77-105 |
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Vouloir aborder la licéité des activités commerciales exercées par les ASBL relève de tous les dangers (un véritable « casse-tête », selon Michel Coipel1) car il oblige de manier des concepts qui peuvent emprunter une double signification. Ainsi, par exemple, la notion de lucre peut être entendue de deux manières différentes. Tout cela rend l’approche particulièrement complexe, toujours jalonnée de subtiles nuances. Néanmoins l’exercice vaut la peine d’être réalisé car, derrière ces théories juridiques, se cache une vision idéologique du rôle de l’ASBL. Les enjeux ne sont pas minces et les pièges assez nombreux.
Inévitablement, nous allons devoir aborder différents concepts (section I) qui vont nous aider à identifier les trois principales thèses défendues actuellement (section II) et à justifier les raisons qui nous conduisent à donner la primauté à l’une d’entre elles (section III). Durant cette démarche, nous ne devons pas perdre de vue que les divergences sont profondes et que nous ne pouvons pas présumer, en cas de litige, la thèse à laquelle se ralliera un juge et ainsi qu’elle sanction il pourrait appliquer (section IV).
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L’ASBL est définie comme étant une association « qui ne se livre pas à des opérations industrielles ou commerciales et qui ne cherche pas à procurer à ses membres un gain matériel ».2 Cette définition est identique à celle édictée en 1921 par le législateur si ce n’est que la conjonction « ou » a été récemment remplacée par « et ». Mais cette modification n’a opéré aucun soubresaut parmi les juristes puisqu’il est unanimement admis que la définition de l’ASBL comporte deux éléments cumulatifs formulés négativement.
Par contre, la portée qu’il faut donner à ces deux notions divise les auteurs (infra n° 30). Est au centre de vives controverses, la pratique des ASBL qui exercent à titre principal des activités à caractère commercial (infra n° 15). Il est à noter que certains auteurs ont étendu le débat aux activités objectivement lucratives exercées par les ASBL (infra n° 18).
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La loi du 2 mai 20023 qui a apporté diverses modifications au texte originel de 1921 n’a pas reformulé la définition de l’ASBL, laissant ainsi la doctrine et la jurisprudence toujours aux prises avec les mêmes divisions. Curieusement, le législateur de 2002 a soufflé « le chaud et le froid ». En effet, d’une part, il a interdit aux associations internationales sans but lucratif (AISBL) de réaliser des opérations industrielles ou commerciales alors que cette condition ne figurait pas dans la loi de 1919.4 Et d’autre part, aucune référence à une telle interdiction n’est édictée en ce qui concerne les fondations qui, de ce fait, peuvent réaliser des activités industrielles ou commerciales.5Signalons néanmoins que le président du tribunal de commerce d’Hasselt6 a, à tort, entendu appliquer un raisonnement analogique en voulant imposer aux fondations l’interdiction d’exercice des activités commerciales prévues pour les ASBL.7
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Afin de montrer les enjeux qui se dessinent autour de la définition de l’ASBL, il est intéressant de reproduire la définition que le projet de loi déposé à la Chambre le 2 décembre 1998 entendait donner de l’ASBL : « L’association sans but lucratif est celle qui, poursuivant un but désintéressé, exerce une ou plusieurs activités principales non lucratives et ne cherche pas à procurer un bénéfice patrimonial pour elle ou ses membres. Elle peut se livrer à des activités lucratives à condition que celles-ci soient accessoires à une activité principale nonPage 79lucrative et que les bénéfices qui en résultent soient entièrement affectés à la réalisation du but désintéressé de l’association ».8
Les auteurs du projet prétendaient que cette nouvelle définition n’était qu’une simple adaptation du texte visant à tenir compte notamment de la jurisprudence par la Cour de Cassation.9 Celle-ci ne s’était toutefois prononcée, en ce qui concerne le sujet traité, que sur trois points.
Dans ses décisions la Cour a considéré que :
- la qualité de commerçant exige, dans le chef de la personne qui exerce l’activité la volonté de s’enrichir personnellement10;
- l’ASBL peut procurer des avantages patrimoniaux indirects à ses membres11;
- l’ASBL peut, à titre accessoire, exercer une activité commerciale en vue de réaliser un profit qui sera affecté au but désintéressé12.
En réalité, le projet tendait à consacrer la thèse défendue par P. Van Ommeslaghe et X. Dieux, encore rappelée récemment par X. Dieux et
Y. De Cordt13 (infra n° 38) et qui tend à cantonner le monde associatif dans une sphère d’action très limitée.
Si les parlementaires ont renoncé à adopter une meilleure définition de l’ASBL, leurs motivations ne nous apparaissent pas clairement. D’une part, ils invoquent les nombreuses réactions que susciteraient une modification de la définition et, d’autre part, ils déclarent que « laPage 80définition initiale est précisée et appuyée par une doctrine et une jurisprudence qui se sont étoffées au fil du temps »14. Cette dernière considération voudrait faire croire que les positions en la matière ne suscitent aucune divergence. Comme nous allons le voir, cette affirmation est loin de refléter la réalité.
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Dans la conception subjective du but de lucre, l’activité est réalisée en vue d’un enrichissement personnel. Cette notion caractérise le but poursuivi dans les sociétés puisque celles-ci sont créées en vue de recherche un bénéfice destiné à être partagé entre les associés : « Une société est constituée par un contrat aux termes duquel deux ou plusieurs personnes mettent quelque chose en commun, pour exercer une ou plusieurs activités déterminées et dans le but de procurer aux associés un bénéfice patrimonial direct ou indirect ».1516
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En ce qui concerne les ASBL, il est strictement interdit de rechercher un lucre subjectif. Aussi les membres, mais aussi les administrateurs ou des tiers1718, ne peuvent-ils retirer un avantage patrimonial direct surPage 81les bénéfices de l’association. Cette condition est également posée au moment de la dissolution de l’ASBL puisque le législateur exige explicitement que l’actif net soit affecté à « une fin désintéressée ».1920
Il est en effet normal que les éventuels bénéfices réalisés par l’ASBL ne puissent pas être partagés entre les membres puisqu’ils ont été acquis par la réalisation activités exercées dans un but non lucratif.
Il est toutefois autorisé que ces personnes puissent percevoir un avantage indirect (par exemple, sous la forme d’un service rendu à moindre prix) à condition que celui-ci ne soit pas de nature à influencer de manière significative l’état patrimonial du membre ou de l’administrateur. Cependant, nous ne pensons pas que cette conception s’applique en cas de dissolution puisque le législateur exige que l’affectation soit faite à « un fin désintéressée », ce qui exclut qu’un avantage indirect puisse être accordé aux membres et aux administrateurs.
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Certains auteurs (infra n° 38) contestent le fait qu’une ASBL puisse procurer un avantage indirect à ses membres car ils considèrent que cette conception va à l’encontre de l’article 1er du Code des sociétés.2122 A suivre leur raisonnement, il faudrait notamment considérer que lesPage 82associations et les fédérations professionnelles seraient en contradiction avec la définition de l’ASBL. Ainsi, l’ASBL Fédération nationale des Négociants en Bois23 qui se donne pour mission l’étude, la protection et le développement des intérêts professionnels de ses membres entend ainsi accorder un avantage patrimonial indirect à ses membres sous la forme d’une économie de dépenses.24 De même, dans l’optique défendue par les partisans de cette théorie, le club qui permet à ses membres de pratiquer un sport à des conditions moins onéreuses ne pourrait pas non plus adopter le statut juridique prévu pour les ASBL. Et comment qualifier le fait que les frais de voyage et de séjour d’une troupe théâtrale en tournée soient pris en charge par l’ASBL ?
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Le projet de loi de 199825 (supra n° 3) en affirmant d’une part que « L’association sans but lucratif est celle qui, poursuivant un but désintéressé »26 et d’autre part qu’elle « ne cherche pas à procurer un bénéfice patrimonial pour elle ou ses membres » voulait ainsi affirmer que les membres ne pouvait retirer un avantage matériel indirect. Aussi, la création d’une ASBL ne pourrait-elle trouver sa cause que dans une aide apportée à des tierces personnes ou servant l’intérêt général. Autrement dit, l’association ne pourrait être constituée en vue de rencontrer l’intérêt de ses membres.
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Une consultation rapide du site du Moniteur belge nous renseigne que plusieurs groupements professionnels se sont constitués en ASBL pour la défense des intérêts de leurs membres comme, par exemple, la Fédération des entreprises de Belgique27 (F.E.B.), la Fédération belge de...
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