L'assurance de la responsabilité civile des dirigeants

AuteurPhilippe Jehasse
Pages208-236

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- Contexte

On l'aura compris, l'activité de chef d'entreprise n'est pas sans risque.

Par ailleurs, quelques procès notoires 391 et l'alourdissement continu de la responsabilité des dirigeants (action en comblement du passif ouverte à tout créancier, responsabilité du comité de direction et du représentant permanent, responsabilité spécifique à l'égard de l'O.N.S.S., du Précompte professionnel et de la T.V.A.) ont conduit ceux-ci à tenter de se protéger d'éventuelles condamnations civiles en faisant supporter le risque par un tiers.

Rien que pour les années 2002 et 2003, le montant total mis à charge de sociétés européennes et de leurs dirigeants à la suite de condamnations judiciaires ou de transactions s'élève à plus d'un milliard de dollars! 392

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Les assureurs ont répondu à ce besoin en développant un produit spécifique, l'assurance de la responsabilité civile des dirigeants d'entreprise qui a pour vocation de protéger le patrimoine personnel des dirigeants des conséquences dommageables des fautes qu'ils pourraient commettre dans l'exercice de leurs fonctions 393.

La dénomination de cette police peut varier selon les compagnies d'assurance: «R.C. dirigeants», «R.C. mandataires sociaux», «R.C. administrateurs», ...

Par commodité, nous utiliserons la dénomination «R.C. dirigeants» dans la suite de notre exposé.

Le saviez-vous?

Les dirigeants les plus exposés aux actions en responsabilité sont bien entendu ceux des sociétés cotées en bourse en raison d'une part, de la présence d'une multitude de petits actionnaires susceptibles de pouvoir intenter l'actio mandati dans le cadre d'actions minoritaires 394 et d'autre part, du nombre important de dispositions légales et réglementaires qui doivent être respectées (Code des sociétés, recommandations de la Commission bancaire, financière et des assurances, ...).

Par ailleurs, la couverture des dirigeants de sociétés de haute technologie et de biotechnologie (actionnariat de type «venture capital», situation financière délicate et donc risque de faillite accru) présentent également un risque accru.

Enfin, les secteurs de l'aéronautique, des télécommunications, des médias et de la construction sont également considérés comme étant plus sensibles.

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1. Qui doit souscrire la police d'assurance?
a) Souscription de la police par la société

La police d'assurance sera souscrite non pas par chacun des membres du conseil d'administration, du comité de direction ou encore du collège de gérance, mais par la société ellemême, au profit et pour le compte de ses dirigeants. La société est le preneur d'assurance qui paiera la prime.

Cela présente plusieurs avantages:

- Comme bon nombre de cas de responsabilité des mandataires sociaux instaurent des obligations solidaires dans le chef des débiteurs, ceux-ci seront couverts par le même assureur selon une police d'assurance identique;

- L'assureur n'aura qu'un seul interlocuteur: la société (et non chacun des dirigeants individuellement);

- La solvabilité de la société preneur d'assurance, sera plus aisément contrôlable par l'assureur via la consultation des comptes annuels;

- La pérennité du contrat d'assurance sera garantie quand bien même la composition de l'organe de gestion viendrait à se modifier.

La décision de souscrire une telle police d'assurance est de la compétence de l'organe de gestion.

Question

N'existe-il-pas dès lors une opposition d'intérêts entre la société et ses dirigeants justifiant que l'on fasse application de la procédure particulière édictée par l'article 523 du Code des sociétés?

Non. Nous sommes d'avis qu'au moment de la souscription de la police d'assurance, il n'existe pas d'opposition d'intérêts.

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b) Police d'assurance et intérêt social

En souscrivant une police «R.C. dirigeants», la société octroie un avantage en nature à ces derniers.

Cette mesure n'est toutefois pas contraire à l'intérêt social dès lors que la société favorise la collaboration de mandataires compétents et protégés quant à l'éventuelle mise en cause de leur responsabilité personnelle.

Par ailleurs, la société elle-même pourrait retirer un bénéfice du contrat d'assurance dans le cadre d'une actio mandati (cf. supra, page 102 et suivantes).

L'opération n'est pas non plus critiquable au regard du droit des assurances: la «R.C. dirigeants» constitue une assurance pour compte de qui il appartiendra dont la validité est reconnue par la loi sur le contrat d'assurance terrestre 395. Quant à l'intérêt d'assurance, celui-ci réside dans l'intérêt qu'ont ces derniers de protéger leur patrimoine contre les conséquences pécuniaires d'une éventuelle mise en cause de leur responsabilité 396.

2. Qui bénéficie de la couverture?
a) Les dirigeants de droit et les dirigeants de fait

Généralement, les assurés seront les gérants, les membres du conseil d'administration, les membres du comité de direction, les représentants permanents dans le cas où le mandat d'administrateur ou de gérant est exercé par une personne morale, de la société souscriptrice.

La plupart des «R.C. dirigeants» prévoient que la couverture bénéficie non seulement aux mandataires passés, présents ou futurs de la société, mais également aux éventuels dirigeants de fait.

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b) Extension aux mandats exercés dans des filiales ou dans des entités extérieures

Si la société preneuse comporte des filiales, les dirigeants de celles-ci seront également couverts par la police d'assurance; la définition donnée par l'assureur à la notion de «filiale» méritera dans ce cas une attention toute particulière 397.

La plupart des polices disponibles sur le marché prévoient également une extension de couverture pour les mandats exercés à la demande de la société ou de l'une de ses filiales dans des entités non contrôlées par celles-ci.

c) Extension aux conjoints et aux héritiers

Les conjoints des assurés auront également la qualité d'assurés dans la mesure où la victime de la faute commise par le dirigeant pourra obtenir la réparation du préjudice subi sur le patrimoine commun des époux.

Pour les mêmes raisons, les héritiers, légataires, représentants légaux et ayants cause des assurés décédés ou incapables auront en principe également la qualité d'assurés.

3. Quels sont les risques couverts?
a) Définition du risque

Les polices d'assurance définissent le risque couvert soit en recourant à une formule générale englobant les fautes susceptibles d'être commises par les dirigeants, soit en énumérant les bases sur lesquelles l'action en responsabilité pourrait être fondée.

Quel que soit le fondement juridique de l'action en responsabilité civile (contractuelle ou extracontractuelle) et quelle que soit la qualification de la faute commise par les dirigeants (sous réserve des cas d'exclusion stipulés dans lePage 213 contrat), l'assureur prendra en charge toutes les sommes que ces derniers pourraient être amenés à payer soit à des tiers, soit à la société elle-même (actio mandati).

Attention!

Le dol, c'est-à-dire le sinistre causé intentionnellement, ne peut être couvert par un contrat d'assurance 398. Par contre, la faute lourde ou grave peut être assurée sans restriction aucune 399. Ainsi, la faute grave et caractérisée dont il est question dans le cadre de l'action en comblement du passif peut faire l'objet d'une assurance «R.C. dirigeants».

b) Défense civile et défense pénale des dirigeants

Dans le cadre d'un procès en responsabilité civile, les frais et honoraires de l'avocat qui intervient pour la défense des dirigeants, de même que les honoraires des experts feront partie intégrante des montants assumés par l'assureur.

En cas de poursuites pénales, la couverture des frais liés à la défense des dirigeants s'analyse comme une assurance protection juridique qui sera dès lors soumise aux règles spécifiques édictées par les articles...

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