Arrêt Nº167718 de Conseil du Contentieux des Etrangers, 17/05/2016

Judgment Date17 mai 2016
CourtVe CHAMBRE (Conseil du Contentieux des Etrangers)
Judgement Number167718
Procedure TypePlein contentieux
CCE
X
-
Page
1
167 718
du
mai
2016
dans l’affaire
X
/ V
En cause
:
X
-
X
-
X
-
X
-
X
ayant élu domicile
:
X
contre :
le Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides
LE PRESIDENT F.F. DE LA Ve CHAMBRE,
Vu la requête introduite le 30
novem
bre
2015 par
X
,
X
,
X
,
X
et
X
, qui déclare
nt
être de nationalité
albanaise, con
tre les décisions du Commissaire
général aux réfugiés et aux apatrides, prise
s
le
29
octobre
2015.
Vu l’article 51/4 de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le
séjour, l’établissement et
l’éloignement des étrangers.
Vu le dossier administratif.
Vu l’ordonnance du 12
janvier
2016 convoquant les parties à l’audience du 2
février
2016.
Entendu, en son rapport, G. de GUCHTENEERE, juge au contentieux des étrangers.
Entendu, en leurs observations, l
es
partie
s
requérante
s
représentée
s
par Me M
. KALIN
loco Me V.
NEERINCKX, avocat, et M
me C. DUMONT
, attaché, qui comparaît pour la partie défenderesse.
APRES EN AVOIR DELIBERE, REND L’ARRET SUIVANT
:
1. L
es a
cte
attaq
s
Le recours est dirigé contre cinq décisions de «
refus du statut de réfugié et refus du statut de protection
subsidiaire
», prises par le Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides, qui sont motivées
comme suit
:
Pour Mr N.G., ci
-
après dénommé
le «
requérant
:
A. Faits invoqués
Vous vous déclarez citoyen albanais, d’origine ethnique albanaise, de confession catholique et
provenant du village
de Kastrat, à Shkodër, en République d’Albanie. Le 11 novembre 2013, en
compagnie de votre épouse,
Madame
[N.L.]
(SP n°
[…]
), de vos deux fils, Monsieur
[N.A.]
(SP n°
[…]
) et
Monsieur
[N.A.]
(SP n°
[…]
), ainsi que de votre fille, Mademoiselle
[N.M.]
(SP n°
[…]
), vous décidez
de
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quitter votre pays d’origine pour vous rendre en Belgique. En date du 25 no
vembre 2013, vous
introduisez une
demande d’asile à l’appui de laquelle vous invoquez les faits suivants.
En 2008, alors que vous vous trouvez à la maison, vous entendez des coups de feu. Directement,
sachant que
votre cousin,
[A
r
.N.]
, se trouve non loin
de là, vous l’appelez afin d’avoir de ses nouvelles.
Ce dernier
décroche et vous fait savoir qu’il est blessé, non loin de votre domicile, et que les deux
autres personnes avec
qui il était, à savoir
[T.U.]
et
[
G
.
S
.]
, sont en face de lui et se sont entre
-
tuées.
Vous vous rendez
immédiatement sur place. Vous ramassez une arme automatique par terre en
passant et emmenez votre cousin
chez vous, puis à l’hôpital.
-
bas, les autorités interviennent et vous arrêtent, vous et votre cousin. Vous apprenez qu’il
est en fait
le
responsable de ce double meurtre. Ce dernier est alors condamné pour meurtre avec préméditation
et de votre
côté, vous êtes condamné pour port illicite d’arme et non
-
dénonciation du crime. Vous êtes
incarcéré durant treize
mois avant d’être
libéré. Durant cette période, vos deux fils partent se réfugier au
Monténégro avant de revenir
au domicile familial une fois votre libération actée.
Une fois dehors, vous envoyez des sages auprès des familles des deux victimes, à savoir les clans
[
U
.]
et
les
[S.]
. En effet, bien que vous ne soyez en aucun cas l’assassin de leurs fils, le fait que vous ayez
été condamné
implique que vous êtes également coupable à leurs yeux. Rapidement, les sages que
vous envoyez reviennent
avec une mauvaise nouvelle : ces
deux familles
et principalement les
[
U
.]
n’acceptent pas votre demande de
réconciliation et annoncent qu’ils comptent se venger. En ce qui
concerne les
[S.]
, étant donné que les membres
de cette famille se trouvent essentiellement à
l’étranger, c’est
davantage une supposition car aucun membre de
cette famille ne vous a ouvertement
menacé.
Vous êtes donc tous les trois contraints de vous enfermer à la maison. Vous ne sortez qu’à de rares
occasions,
essentiellement la nuit, et faites toujours preuve de
prudence. Entre votre libération et le
moment de votre départ,
trois incidents concrets sont à relever. Pour commencer, votre fils aîné,
[A.]
,
est menacé par le frère
[U.]
, armé,
alors qu’il se trouve à l’Eglise. Ensuite, des tirs sont tirés à l’arme
auto
matique contre votre habitation. Enfin, votre
fille aperçoit un jour le frère
[U.]
se promener l’air
menaçant non loin de chez vous, armé et surveillant la maison.
Finalement, voyant que les demandes de réconciliation n’aboutissent à aucun résultat posi
tif, vous
décidez qu’il
convient de quitter votre pays pour rechercher une protection internationale en Belgique.
A l’appui de vos déclarations, vous présentez les documents suivants : votre passeport, émis le 26
septembre
2013 et valable jusqu’au 25 sep
tembre 2023 ; votre carte d’identité, émise le 11 juin 2009 et
valable jusqu’au 10
juin 2019 ; un acte d’accusation ; un jugement ; un article de presse ; un document
émanant d’une association
de réconciliation ; une note personnelle écrite par
[
Z
.
U
.]
; une
attestation du
chef de village Kastrat.
Le 20 décembre 2013, une décision de refus de prise en considération d’une demande d’asile (pays
d’origine sûr)
a été prise en ce qui vous concerne. Cette décision a été retirée par le service juridique du
CGRA le
9 décembre
2014, de sorte qu’une nouvelle décision doit être prise au sujet de votre demande.
B. Motivation
Après un examen des éléments que vous présentez dans votre dossier administratif, force m’est de
conclure que
je ne peux vous reconnaître le st
atut de réfugié. Vous n’avancez pas non plus d’éléments
permettant de vous
prévaloir du statut de la protection subsidiaire.
Vous fondez votre crainte de retour en Albanie sur l’existence d’un conflit de vendetta contre les familles
[U.]
et
[S.]
, suite a
u meurtre, par votre cousin,
[
A
r.
N
.]
, de personnes issues de ces familles. Le fait que
vous vous trouviez sur les lieux du crime et que vous ayez également été condamné poussent ces deux
familles à
vouloir se venger contre vous et vos fils (CGRA 04/12/2013
, p.11). Cependant, vous n’avez
pas convaincu le CGRA
que vous subissez une crainte fondée de persécution ou un risque réel
d’atteintes graves au sens des articles
48/3 et 48/4 de la loi sur les étrangers.
En effet, bien que les meurtres produits en 2008
ne peuvent réellement être remis en cause dans la
présente
décision, vous n’avez pas été en mesure de démontrer, en ce qui vous concerne et à l’heure
actuelle, que les
craintes découlant de ces faits peuvent être reliées à l’un des critères définis dans l
e
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cadre de la Convention de
Genève et des textes régissant la protection subsidiaire, et qu’une protection
effective de la part des autorités
albanaises ne peut vous être octroyée.
Tout d’abord, relevons que votre différend avec les familles
[U.]
et
[S.]
ne saurait valablement être
considéré
comme vendetta au sens classique du terme. En effet, à ce sujet, et des informations dont
dispose le CGRA et dont
une copie a été versée au dossier administratif (voir farde « informations pays
» documents n° 1), il r
essort que
la situation dans laquelle vous affirmez être impliqué actuellement peut
difficilement être considérée comme une
vendetta (gjakmarrja), telle qu’elle a été décrite par le Kanun
de Lekë Dukagjini et dans la définition généralement
admise dans les
Balkans. À cet égard, l’on peut
renvoyer à la position du Haut
-
Commissariat des Nations Unies pour
les réfugiés (UNHCR) qui, depuis
2006, considère les victimes de vendetta comme un « groupe social ». L’UNHCR
estime que le
phénomène de la vendetta peut re
ssortir du champ d’application de la Convention de Genève et
que,
dès lors, l’on peut procéder à une distinction avec les victimes de faits (violences) de droit commun.
Ainsi,
selon l’UNHCR, une vendetta concerne les membres d’une famille qui ont tué un me
mbre d’une
autre famille, par
la voie de mesures de représailles exercées selon un code d’honneur et de conduite
séculaire. Conformément au
code d’honneur classique albanais (le Kanun), un conflit ne peut être
considéré comme une vendetta que lorsque
ceux
qui veulent se venger expriment publiquement leur
désir de faire réparer par le sang l’honneur de leur famille
ou de leur clan, auquel selon eux on a porté
atteinte. En raison du caractère public de la volonté de vendetta,
chaque personne impliquée dans un
e
vendetta est informée de l’existence de celle
-
ci, de l’identité de ceux (celui)
qui veulent (veut) la mener
et de ce qui la motive. Selon le Kanun, une vendetta est annoncée à la partie adverse
dans les 24
heures qui suivent le meurtre (après que l’honne
ur de ceux qui veulent se venger a été violé). Dès
cet
instant, tous les hommes visés par ceux qui veulent se venger se voient forcés de se cloîtrer à leur
domicile,
de crainte d’être tués. Grâce aux démarches de réconciliation réglées traditionnellement,
les
familles impliquées
dans une vendetta peuvent aboutir à une solution négociée. La définition de la
vendetta, conformément au Kanun,
exclut explicitement toutes les nouvelles formes de vengeance et ce
qui en découle (hakmarrja). Dès lors, ces
dernières
ne peuvent être considérées que comme des
règlements de compte interpersonnels qui ne se basent
que partiellement sur les principes de la
vendetta, sans en être réellement une. Les formes de vengeance qui
ne sont pas liées aux prescriptions
du Kanun ne son
t, en tant que telles pas considérées comme une vendetta
et, par conséquent, ne
ressortissent pas au champ d’application de la Convention de Genève relative au statut
des réfugiés.
Dans ce contexte, il faut de relever que vos propos sont confus et lacuna
ires à propos des personnes
exactes que
vous craignez des familles adverses. A ce sujet, interrogé sur l’origine des menaces dont
vous et vos fils feriez
l’objet, vous nommez les familles
[U.]
et
[S.]
, précisant qu’il s’agit surtout de la
première citée (C
GRA notes
d’audition
[
G
.
N
.]
4/12/2013 pp. 11
-
12).
Premièrement, à propos du clan
[S.]
, vous expliquez que les membres de cette famille sont éparpillés à
travers
le monde. Convié alors à donner le nom de la (des) personne(s) exerçant la menace pour le
com
pte de cette
famille, vous répondez simplement qu’ « il » n’a qu’un frère et que vous ne savez pas
où il vit (
[G.N.]
4/12/2013 p. 12). Les autres membres de votre famille précisent que le prénom de la
personne est Valentin, et
qu’il se trouverait en Italie
(CGRA notes d’audition
[
.
N
.]
4/12/2013 p. 8 ;
[L.N.]
18/09/2015 p. 3 ;
[Al.N.]
6/12/2013 pp. 6
-
7 ;
[An.N.]
6/12/2013 p. 8 ;
[
M
.
N
.]
6/12/2013 pp. 5
-
6). Toujours
au sujet de cette personne, vous ajoutez qu’il rentre une fois par an en Albanie (
[G.N.]
4/12/
2015 p. 12).
Cette version est confirmée par les dires de votre fille et de votre fils aîné faisant état du fait que
[
V
.]
ne
venait que rarement au village (
[M.N.]
6/12/2013 p. 6 ;
[A
.N.]
6/12/2013 p. 8). Mais de son côté,
votre
fils cadet affirme que cet
te personne se rendait très souvent au village et que vous le voyiez
(
[Al.N.]
6/12/2015 p. 7). Relevons qu’il s’agit là d’une contradiction non négligeable, étant donné la place
centrale jouée
par cette personne dans vos problèmes. Ainsi, sur des données es
sentielles telles que
l’identité et la localisation
des membres du clan
[S.]
, susceptibles de prendre vengeance, vos propos
font montre d’une connaissance
trop lacunaire pour justifier un lien avec une vendetta, qui est publique,
par définition (voir infra
). Aussi, vous
expliquez que la famille
[S.]
n’a pas clairement dit qu’elle souhaitait
se venger, mais que, comme il n’y a pas
eu de réconciliation, c’est ce que vous supposez. Vous
précisez ne jamais avoir été ouvertement menacé par la
famille
[S.]
(
[G.N.
]
4/12/2013 p. 12). Votre
épouse confirme cette version (
[L.N.]
04/12/2013,
p.8). De leur côté, interrogés sur les raisons
permettant de penser que
[
V
.
S
.]
désire effectivement se
venger de vous, vos fils affirment qu’il a
annoncé à haute voix que votre f
amille lui doit un sang (
[Al.N.]
6/12/2013 p. 7 ;
[An.N.]
6/12/2013 p. 8).
Les contradictions entre vos propos respectifs génère une nouvelle
confusion sur la nature de votre
différend avec cette famille, incompatible avec le principe selon lequel un confl
it
de vendetta est public.

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