Arrêt Nº155259 de Conseil du Contentieux des Etrangers, 26/10/2015

Judgment Date26 octobre 2015
CourtIère CHAMBRE (Conseil du Contentieux des Etrangers)
Judgement Number155259
Procedure TypePlein contentieux
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155 259 du 26 octobre 2015
dans l’affaire X / I
En cause :
X
ayant élu domicile :
X
contre :
le Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides
LE PRÉSIDENT F.F. DE LA Ière CHAMBRE,
Vu la requête introduite le 9 juillet 2015 par X et X et X et X et X, qui déclarent être de nationalité
kosovare, contre les décisions du Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides, prises le
8 juin 2015.
Vu l’article 51/4 de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et
l’éloignement des étrangers.
Vu le dossier administratif et la note d’observations.
Vu l’ordonnance du 26 août 2015 convoquant les parties à l’audience du 19 octobre 2015.
Entendu, en son rapport, S. PARENT, juge au contentieux des étrangers.
Entendu, en leurs observations, la partie requérante assistée par Me C. PRUDHON, avocat, et Y.
KANZI, attaché, qui comparaît pour la partie défenderesse.
APRÈS EN AVOIR DÉLIBÉRÉ, REND L’ARRÊT SUIVANT :
1. Les actes attaqués
Le recours est dirigé contre des décisions de refus du statut de réfugié et de refus du statut de
protection subsidiaire, prises par le Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides, qui sont
motivées comme suit :
« A. Faits invoqués
Selon vos déclarations, vous êtes de nationalité kosovare, d ’origine ethnique Ashkali et de confession
musulmane. Vous êtes né le 27 mars 1969 à Shtimë, en République du Kosovo. Vous avez toujours
vécu à Gjurkoc (commune de Shtimë). En 2011, vous décidez de quitter définitivement le Kosovo en
compagnie de votre épouse, Madame [H.K.] (SP : [...]) et de vos enfants. Cependant, au moment du
départ, vous devez vous résoudre à les laisser partir sans vous, faute de place dans la camionnette du
passeur. Jusqu’en 2013, vous avez résidé au Monténégro, à Shkup et après deux séjours d’une nuit
dans la résidence familiale de Shtimë, vous êtes parti vivre à Belgrade avant de vous diriger vers la
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Belgique grâce à un nouveau passeur. Celui-ci vous a abandonné en Autriche où vous avez introduit
une demande d’asile. Sans attendre la fin de la procédure, vous êtes venu rejoindre votre famille. Le 28
novembre 2013, vous introduisez une demande d’asile auprès de l’Office des étrangers (OE).
À l’appui de cette demande, vous invoquez une altercation que vous avez connue avec un Albanais,
alors que vous étiez comme tous les jours en train de travailler à votre champ. Cette personne,
totalement inconnue de vous, vous a insulté de « Madjup » avant de vous frapper violemment au niveau
de votre bras gauche. Alors que vous le menacez de faire intervenir les forces de l’ordre, cet individu
vous annonce qu’il est lui-même policier et que vu la bagarre que vous venez d’avoir, il menace
l’ensemble de votre famille de mort. Paniqué et blessé, vous fuyez chez votre soeur à Fushë Kosovë et
faites venir votre famille à vos côtés. Vous refusez de porter plainte et décidez rapidement de fuir
définitivement le Kosovo.
De son côté, votre papa apprend que cette personne est un certain [R.] de Drenica. Il lui envoie des
sages afin d’obtenir son pardon mais il refuse. Par la suite, et malgré le fait que vous ayez quitté le
domicile familial, vous déclarez que les fils de ce dénommé [R.] qui serait décédé depuis, viennent
régulièrement vous rechercher auprès de vos proches. Dès lors, vous êtes persuadé qu’en cas de
retour, votre vie ainsi que celle de votre épouse et de vos enfants seront directement menacées.
Votre demande a fait l’objet d’une décision de refus de statut de réfugié et de refus de statut de
protection subsidiaire de la part du Commissariat général. Cette décision vous a été notifiée le 3 février
2014. Vous opposez un recours auprès du Conseil du Contentieux des étrangers (CCE) en date du 5
mars 2014. Vous obtenez gain de cause et la décision du Commissariat général est annulée par cette
instance dans son arrêt n°131234 du 13 octobre 2014. Dès lors, sur base des éléments mis en avant
dans cet arrêt, le Commissariat général se doit de statuer à nouveau sur votre demande d’asile. En
effet, il appert que vous avez présenté de nouveaux documents. Par ailleurs, cette instance de recours
a recommandé à ce que vous soyez à nouveau entendu, eu égard aux difficultés que vous avez
présentées quant à expliquer les faits invoqués, intimant par la même des instructions supplémentaires.
À l’appui de votre récit, vous présentez les documents suivants : votre passeport, émis le 1er février
2012 et valable jusqu’au 31 janvier 2022, cinq attestations médicales du docteur Picard (délivrées le 11
janvier 2014, le 18 janvier 2014, le 18 mars 2014, le 17 septembre 2014 et le 2 octobre 2014) ainsi que
votre récit résumé par le docteur Picard sur base de vos nombreux entretiens. Vous y joignez un
protocole d’examen radiologique (établi à Bruxelles, le 23 janvier 2014) ainsi qu’un constat médical
rédigé par le docteur Delvaux (délivré à Bruxelles, le 27 novembre 2013). Vous soumettez également un
document d’une ONG kosovare, un document du CICR relatif à votre neveu, des dates de rendez-vous
avec votre médecin en Belgique, une lettre de votre avocate, un document du parti démocratique des
Ashkalis du Kosovo, un document de la cellule Tracing de la Croix-Rouge en Belgique à votre sujet,
cinq lettres manuscrites de la part de vos proches, à savoir : votre père, Monsieur [R.K.], de votre frère
[L.K.] ainsi que de vos trois cousins, [M.R.], [I.K.] et [N.I.] (rédigées le 13 août 2014, le 3 septembre
2014 et les 23, 25 et 29 septembre 2014). À ces lettres sont jointes les copies des cartes d’identité des
différents auteurs. Aussi, vous délivrez un document de l’Immigration and Refugee Board of Canada
concernant les vendettas et les possibilités de protections au Kosovo (daté du 10 octobre 2013 sur
Refworld), un certificat médical circonstancié destiné à l’Office des Étrangers, des documents médicaux
écrits par des médecins belges et destinés à des confrères, une enveloppe attestant d’un courrier
envoyé vers Shtime, des virements bancaires via la banque Western Union, des déclarations
personnelles, une carte de visite ainsi qu’un rapport de Human Rights Watch (HRW) de janvier 2014 sur
le Kosovo. Vous déposez aussi un rapport de Human Right Watch (HRW) d ’octobre 2010 intitulé Droits
"déplacés" Retours forcés au Kosovo de Roms, d’Ashkalis et Égyptiens en provenance d’Europe
occidentale », un rapport de l’UNHCR du 9 novembre 2009 intitulé « UNHCR’S ELIGIBILITY
GUIDELINES FOR ASSESSING THE INTERNATIONAL PROTECTION NEEDS OF INDIVIDUALS
FROM KOSOVO », un document intitulé « UNHCR Eligibility Guidelines on Kosovo » reprenant nombre
de sources sur la situation au Kosovo, un document intitulé « Recent sources supporting the position
taking in UNHCR’s Eligibility Guidelines for assessing the International Protection Needs of Individuals
from Kosovo », un communiqué de presse intitulé « Kosovo : " Ce n’est pas le moment de procéder à
des retours " affirme le Commissaire aux droits de l’homme », un rapport du 1er mars 2012 de
l’Organisation Suisse d’Aide aux Réfugiés (OSAR) intitulé « Kosovo : le rapatriement des minorités
roms, ashkalies, égyptiennes », un article de presse publié le 11 juillet 2013 sur le site Internet
http://media.unmikonline.org intitulé « Return of refugees and IDPs to Urosevac unsuccessful (Tanjug).
B. Motivation
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Après avoir analysé votre dossier avec attention et vous avoir permis de formuler les faits que vous
invoquez de la meilleure manière possible et tout en tenant compte de vos difficultés psychologiques ;
force est tout de même de constater que vous ne fournissez pas suffisamment d’éléments pour établir
de façon crédible qu’il existe, dans votre chef une crainte fondée de persécution au sens de la
Convention de Genève du 28 juillet 1951 ou un risque réel de subir des atteintes graves au sens de la
définition de la protection subsidiaire reprise à l’article 48/4 de la loi du 15 décembre 1980.
En guise de préambule, le CCE avait demandé, au vu de votre état psychologique et de votre crainte
alléguée des Albanais, de vous entendre avec un interprète albanais d’origine ashkalie. Or, malgré des
recherches actives diligentées par son service interprètes, le CGRA n’a pas pu vous trouver un
interprète ashkali.
Vous avez donc été entendu, lors de vos deux auditions au CGRA par des interprètes maîtrisant
l'albanais mais ne faisant pas partie de votre groupe ethnique. Relevons cependant que lors de votre
première audition, vous avez déclaré bien comprendre l'interprète et lors de votre seconde audition,
vous avez accepté de faire l'audition avec l'interprète qui vous était proposé. Le CGRA ne relève pas de
problèmes de traduction au cours de ces auditions.
Ainsi, vous déclarez craindre un Albanais dont vous ignorez totalement l’identité. Cet homme vous
aurait attaqué et gravement blessé au bras après vous avoir accusé de tenter de modifier la délimitation
de votre terrain (Rapport d’Audition du 11 mai 2015, pp. 3-10). Vous expliquez que cet individu vous
aurait prévenu qu’il serait po licier et que dès lors, vous ne pourriez attendre aucune aide ou protection
quelconque de la part des autorités kosovares. Enfin, il aurait promis de se venger sur vous et vos
enfants de l’offense que vous veniez de commettre. Vous invoquez donc une vendetta qui serait
pendante contre les membres de votre famille (Rapport, pp. 5 et 6). Par ailleurs, vous arguez que cette
altercation a donné lieu à un traumatisme extrêmement invalidant, dont vous en subissez encore les
symptômes aujourd’hui (Rapport 28 janvier 2014, pp. 9 et 10). Cependant, à la lecture des propos que
vous avez livrés dans le cadre de votre procédure d’asile, il appert que l’incident à la base de vos
craintes s’apparente à un problème d’ordre interpersonnel et en tant que tel, relève du droit commun.
Tout d’abord, il appert que la vendetta que vous arguez ne peut être tenue pour crédible. En effet, vous
ignorez le nom de la personne que vous affirmez craindre. Tout au plus, parlez-vous d’un certain [R.].
Interpellé quant à savoir comment vous avez pu obtenir cette information, vous expliquez que votre
papa aurait entendu parler au village d’un Albanais qui se serait bagarré avec un Ashkali. Il en aurait
donc conclu qu’il s’agissait de votre attaquant (Rapport 11 mai 2015, pp. 4-6). Cependant, vous êtes
incapable de me donner le nom complet de ce [R.], des informations concernant sa famille ou encore
son adresse et ce, alors que vous déclarez que votre père aurait envoyé des sages parlementer avec
cet individu et sa famille afin de tenter de vous réconcilier (Rapport 11 mai 2015, p. 7). Le Commissariat
général s’interroge d’une telle lacune. À ce propos, soulignons que vous affirmez que cet homme serait
originaire de Drenica (Ibidem). Or, Drenica est une région du Kosovo et non une ville ou un village. Le
Commissariat général s’étonne que vous ne puissiez localiser mieux l’homme à la base de l’ensemble
de vos problèmes. Votre manque de précision quant à cet individu et sa famille affecte dès lors votre
affirmation selon laquelle celui-ci serait policier, élément que vous êtes dans l’incapacité de prouver.
En outre, force est de constater que le Commissariat général ne peut valider l’existence d’une
éventuelle vendetta. En effet, on sait que la caractéristique prédominante de la vendetta est d’être un
conflit qui occupe le domaine public, comme le précise ce passage « la vendetta est un concept collectif
qui concerne l’ensemble de la communauté et qui se joue en public. Par conséquent, le cas où un
demandeur d’asile prétend ne pas savoir qui voudrait se venger de lui et/ou qui aurait tiré sur lui au
cours d’une altercation, dont il pense néanmoins qu’elle a un rapport avec une éventuelle vendetta, est
exclu de la vendetta. Cela ne peut faire partie des règles de la vendetta. Si la vendetta a pour objet de
restaurer l’honneur froissé de la famille, ce dernier doit être restauré aux yeux de tous. La vendetta
classique implique que tout se passe publiquement. Chaque personne impliquée dans une vendetta est
prévenue de son existence, sait qui va se venger et pour quelles raisons. Dès qu’une personne en tue
une autre, il doit en informer la famille du défunt, par le truchement d’un tiers. Il n’en est pas fait secret,
tout comme les personnes qui doivent venger leur honneur » (cf. farde bleue jointe au dossier
administratif, COI Focus Albanie, Vendetta, p. 7). Par ailleurs, vous relatez que cet homme ne
chercherait qu’à s’en prendre à vous, à votre femme et à vos enfants exclusivement et ce, alors que
votre père, vos cousins ainsi que vos frères résident encore actuellement au Kosovo. Ainsi, ces
derniers, s’ils sont importunés par des membres de la famille de [R.] qui sont encore et toujours à votre

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