Décision judiciaire de Conseil d'État, 24 février 2022
Date de Résolution | 24 février 2022 |
Juridiction | XIII |
Nature | Arrêt |
CONSEIL D’ÉTAT, SECTION DU CONTENTIEUX ADMINISTRATIF
XIIIe CHAMBRE
A R R Ê T
nº 253.099 du 24 février 2022
A. 229.317/XIII-8784
En cause : la ville de Châtelet, ayant élu domicile chez Me Philippe HERMAN, avocat, rue T’Serclaes de Tilly 49-51 6061 Montignies-sur-Sambre,
contre :
la Région wallonne,
représentée par son Gouvernement, ayant élu domicile chez Me Pierre MOËRYNCK, avocat, avenue de Tervueren 34/27 1040 Bruxelles,
Parties intervenantes :
-
la société anonyme BEMAT, 2. la société anonyme FRUN PARK CHÂTELINEAU, ayant toutes deux élu domicile chez Me Mathieu GUIOT, avocat, chaussée de Louvain 431F 1380 Lasne, 3. la ville de Charleroi, ayant élu domicile chez Me Olivier JADIN, avocat, rue Jules Destrée 72 6001 Marcinelle.
------------------------------------------------------------------------------------------------------ I. Objet de la requête
Par une requête introduite par la voie électronique le 9 octobre 2019, la ville de Châtelet demande l’annulation de l’arrêté du 26 juillet 2019 par lequel le ministre de l’Aménagement du territoire accorde à la société anonyme (SA) Frun Park Châtelineau et à la SA Bemat un permis d’urbanisme autorisant la construction d’un complexe commercial, d’un parking de 659 places, de deux bâtiments mixtes (commerces et huit logements), d’une crèche de 36 lits et d’un immeuble de deux
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appartements, ainsi que la création d’une voirie et d’un parc paysager sur des parcelles sises rue de Gilly à Châtelet.
II. Procédure
Par une requête introduite par la voie électronique le 23 décembre 2019, les SA Bemat et Frun Park Châtelineau ont demandé à être reçues en qualité de parties intervenantes.
Cette intervention a été accueillie par une ordonnance du 4 février 2020.
Par une requête introduite le 21 septembre 2020, la ville de Charleroi a demandé à être reçue en qualité de partie intervenante à l’appui de la requête.
Cette intervention a été accueillie par une ordonnance du 8 octobre 2020.
L’arrêt n° 249.858 du 19 février 2021 a rouvert les débats, chargé le membre de l’auditorat désigné par M. l’Auditeur général d’établir un rapport complémentaire et réservé les dépens. Il a été notifié aux parties.
M. Lionel Renders, auditeur au Conseil d’État, a rédigé un rapport sur la base de l’article 13 du règlement général de procédure.
Le rapport a été notifié aux parties.
Les parties requérante et intervenantes ont déposé un dernier mémoire.
La partie adverse a déposé une demande de poursuite de la procédure.
Par une ordonnance du 28 décembre 2021, l’affaire a été fixée à l’audience du 3 février 2022.
M. Luc Donnay, conseiller d’État, a exposé son rapport.
Me Philippe Herman, avocat, comparaissant pour la partie requérante, Me Aurélie Vandenberghe loco Me Pierre Moërynck, avocat, comparaissant pour la partie adverse, Me Matthieu Guiot, avocat, comparaissant pour les première et deuxième parties intervenantes et Me Jean-Louis Leuckx loco Me Olivier Jadin, avocat, comparaissant pour la troisième partie intervenante, ont été entendus en leurs observations.
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M. Lionel Renders, auditeur, a été entendu en son avis conforme.
Il est fait application des dispositions relatives à l’emploi des langues, inscrites au titre VI, chapitre II, des lois sur le Conseil d’État, coordonnées le 12 janvier 1973.
III. Faits
Les faits utiles à l’examen de la cause sont exposés dans l’arrêt n° 249.858 du 19 février 2021. Il y a lieu de s’y référer.
IV. Deuxième moyen
IV.1. Thèses de la partie requérante et de la troisième partie intervenante
A. La partie requérante
La partie requérante prend un deuxième moyen de la violation de l’article 1er du Code wallon de l’aménagement du territoire, de l’urbanisme et du patrimoine (CWATUP), du principe de bon aménagement du territoire, des articles 2 et 3 de la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs et du principe général de bonne administration « en ce qu’il impose l’examen complet des circonstances de la cause », de l’erreur dans les motifs de fait et de l’erreur manifeste d’appréciation.
En une première branche, elle fait état d’une erreur de fait portant sur la liaison routière entre le site industriel et le R3. Elle soutient que la réalisation d’un pont sur la Sambre dans le prolongement de la N576 et la création d’un accès direct à la zone industrielle depuis le R3 n’est pas ou plus d’actualité. Elle produit à l’appui de son point de vue la réponse à une question parlementaire (question n° 1367 du 12 juin 2018, Doc. parl., Parl. w., Q. R., 2017-2018, n° 21) et un article de presse. Elle relève également que le projet de construction du pont et du prolongement de la N576 ne figure pas dans la « sélection des dossiers » du plan mobilité et infrastructures 2019-2024 de la partie adverse du 11 avril 2019. Elle est d’avis que l’acte attaqué se fonde par conséquent sur un motif de fait inexact, d’autant que la circonstance que le pont soit en construction, voire construit, n’implique pas qu’il « permettra d’accéder directement à la zone industrielle depuis le R3 et aura pour effet d’alléger le trafic passant par la N569 » à partir du moment où la construction de la voirie ne peut se poursuivre sur la rive gauche de la Sambre parce que la partie adverse n’est pas propriétaire des terrains nécessaires. Elle fait valoir que si des
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négociations sont en cours avec le propriétaire, aucune procédure d’expropriation n’est entamée, outre qu’aucun budget n’est prévu.
Dans son mémoire en réplique, elle soutient qu’il appartient à l’autorité de prendre sa décision en fonction des circonstances dont elle a connaissance au jour où elle statue. Ainsi, même si l’étude d’incidences prévoit que c’est « à moyen terme » que la réalisation du pont sur la Sambre permettra de renforcer l’accessibilité générale de la zone, l’auteur de l’acte attaqué devait avoir égard au fait qu’il n’était pas certain que, pour des raisons budgétaires, les expropriations indispensables puissent être menées à bien et que ces travaux de voirie ne figurent pas dans la « sélection des dossiers » de son plan mobilité et infrastructures 2019-2024.
Dans son dernier mémoire, elle soutient que le motif de l’acte attaqué relatif au prolongement de la N576 n’est pas surabondant mais, en contraire, déterminant. Elle indique que le grief qu’elle allègue dans sa requête fait état d’une erreur de fait et non d’une erreur manifeste d’appréciation.
En une seconde branche, elle déduit de deux documents (le plan FAST « Vision de la mobilité 2030 » et la « Stratégie régionale de mobilité ») que, pour la partie adverse, la réduction de la congestion du trafic routier est un élément d’importance hautement stratégique pour rencontrer de manière durable les besoins de mobilité au sens de l’article 1er, § 1er, du CWATUP. Elle soutient qu’en autorisant le projet en cause, l’auteur de l’acte attaqué a violé cette disposition dès lors qu’il va générer un trafic automobile de nature à réduire à néant les effets des mesures prises pour résoudre les graves problèmes de mobilité au niveau du rond-point du Tram. Elle est d’avis que l’autorité a également commis une erreur manifeste d’appréciation en ce que l’acte attaqué met à néant les mesures prises pour réduire un problème chronique de mobilité ou escompte les effets favorables sur la mobilité d’un projet dont elle sait que la réalisation reste incertaine. Elle soutient qu’en tout état de cause, il n’est pas possible, à la lecture de l’acte attaqué, de comprendre les raisons pour lesquelles la partie adverse s’est départie de la ligne de conduite qu’elle s’est préalablement donnée en matière de mobilité (dans le plan FAST « Vision de la mobilité 2030 » et dans la Stratégie régionale de mobilité), à savoir la réduction de la congestion du trafic routier.
Dans son mémoire en réplique, elle considère que la question n’est pas de savoir si, à lui seul, le projet autorisé met en péril les objectifs du plan FAST mais de déterminer si le projet respecte les objectifs poursuivis par ce plan.
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Dans son dernier mémoire, elle est d’avis que, compte tenu des termes de l’article 1er du CWATUP, une autorité ne peut, sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation, autoriser un projet qui implique un accroissement du trafic dans un endroit où il existe déjà des problèmes de mobilité.
B. La troisième partie intervenante
S’agissant de la première branche, la troisième partie intervenante relève que le « moyen terme » évoqué dans l’acte attaqué était défini dans l’étude d’incidences sur l’environnement du 23 juin 2016 et qu’au jour du dépôt du mémoire en intervention, le pont n’est toujours pas réalisé. Elle souligne qu’il n’y aucune perspective de réalisation avant 2025 puisque le projet ne figure pas dans la « sélection des dossiers » du plan de mobilité et infrastructure 2019-2024 du 11 avril 2019. Elle en déduit qu’un élément de fait justifiant l’acte attaqué est inexact. Elle soutient qu’au jour de son adoption, son auteur devait savoir que même si le permis avait été délivré pour la construction de ce pont enjambant la Sambre, le chantier était totalement à l’arrêt en raison de problèmes avec le propriétaire d’un terrain indispensable à l’érection du pont, avec les expropriations à opérer et avec le financement du chantier. Elle ajoute qu’il n’est pas impossible que le permis délivré à la partie adverse pour la construction de ce pont soit périmé avant que celle-ci ne puisse débuter les travaux. Elle considère que l’amélioration espérée par cette infrastructure est un motif déterminant dans le raisonnement de l’auteur de l’acte attaqué, lequel tolère l’absence « momentanée » de tout désengorgement en raison de l’amélioration prochaine espérée.
Dans son dernier mémoire, elle considère qu’aucun élément de l’acte attaqué ne permet de considérer que la construction du pont en question n’est pas un élément déterminant du raisonnement de l’autorité. Elle...
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