Décision judiciaire de Raad van State, 24 février 2021
Date de Résolution | 24 février 2021 |
Juridiction | Schorsing UDN |
Nature | Arrest |
CONSEIL D'ÉTAT, SECTION DU CONTENTIEUX ADMINISTRATIF.
LA XIe CHAMBRE SIÉGEANT EN RÉFÉRÉ
A R R ÊT
nº 249.904 du 24 février 2021
A. 232.921/XI-23.428
En cause : 1. la société anonyme DERBY,
-
GUILMAIN Marc,
3. SARR Diouma,
ayant élu domicile chez
Me Pierre JOASSART et Me Julie PATERNOSTRE, avocats,
rue Belliard 40
1040 Bruxelles,
contre :
l’État belge, représenté par le Ministre de l’Intérieur, ayant élu domicile chez Me Emmanuel JACUBOWITZ et Me Clémentine CAILLET,
avocats, avenue Tedesco 7 1160 Bruxelles.
------------------------------------------------------------------------------------------------------ I. Objet de la requête
Par une requête introduite le 16 février 2021, la société anonyme Derby, Marc Guilmain et Diouma Sarr demandent, d’une part, la suspension, selon la procédure d’extrême urgence, de l’exécution de «l'Arrêté ministériel du 6 février 2021 “modifiant l'arrêté ministériel du 28 octobre 2020 portant des mesures d'urgence pour limiter la propagation du coronavirus COVID-19”, publié au Moniteur belge du 7 février 2021» et, d’autre part, l’annulation de cet arrêté.
II. Procédure
Par une ordonnance du 17 février 2021, l'affaire a été fixée à l'audience du 23 février 2021.
La partie adverse a déposé une note d'observations et le dossier administratif.
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La contribution et les droits visés respectivement aux articles 66, 6°, et à l'article 70 de l'arrêté du Régent du 23 août 1948 déterminant la procédure devant la section du contentieux administratif du Conseil d'État ont été acquittés.
Conformément à l’article 90, § 1er, alinéa 4, des lois sur le Conseil d’État, coordonnées le 12 janvier 1973, et eu égard à l’intérêt de l’affaire et aux circonstances spécifiques, l'affaire est traitée par une chambre composée de trois membres.
Mme Nathalie Van Laer, conseiller d'État, a exposé son rapport.
Me Pierre Joassart et Me Julie Paternostre, avocats, comparaissant pour les parties requérantes, et Me Clémentine Caillet, avocat, comparaissant pour la partie adverse, ont été entendus en leurs observations.
M. Patrick Herbignat, premier auditeur chef de section, a été entendu en son avis conforme.
Il est fait application des dispositions relatives à l'emploi des langues, inscrites au titre VI, chapitre II, des lois sur le Conseil d'État, coordonnées le 12 janvier 1973.
III. Exposé des faits utiles
Le 28 octobre 2020, est adopté et publié dans la troisième édition du Moniteur belge un arrêté ministériel portant des mesures d'urgence pour limiter la propagation du coronavirus COVID-19. Cet arrêté ministériel a fait l'objet de plusieurs modifications. Selon son article 8, § 1er, 1°, les casinos, les salles de jeux automatiques et les bureaux de paris sont fermés au public.
Le 12 janvier 2021, est adopté et publié dans la troisième édition du Moniteur belge un arrêté ministériel modifiant l'arrêté ministériel du 28 octobre 2020 portant des mesures d'urgence pour limiter la propagation du coronavirus COVID-19. L'article 9 de cet arrêté ministériel remplace l'article 28 de l'arrêté ministériel du 28 octobre 2020 par la disposition suivante :
Les mesures prescrites par le présent arrêté sont d'application jusqu'au 1er mars
2021
.
Le 6 février 2021, est adopté un arrêté ministériel modifiant l'arrêté ministériel du 28 octobre 2020 portant des mesures d'urgence pour limiter la propagation du coronavirus COVID-19. Cet arrêté, publié le 7 février 2021, ne modifie pas l'article 8, § 1er, 1°, de l'arrêté ministériel du 28 octobre 2020, mais permet
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une réouverture progressive de certaines autres activités jusque-là fermées. L'article 6 de cet arrêté remplace, par ailleurs, remplace l'article 28 de l'arrêté ministériel du 28 octobre 2020 par la disposition suivante :
Les mesures prescrites par le présent arrêté sont d'application jusqu'au 1er avril
2021
.
L'arrêté ministériel du 6 février 2021 modifiant l'arrêté ministériel du 28 octobre 2020 portant des mesures d'urgence pour limiter la propagation du coronavirus COVID-19 constitue l'acte attaqué.
IV. Conditions de la suspension d'extrême urgence
Conformément à l’article 17, § 1er, des lois sur le Conseil d’État, coordonnées le 12 janvier 1973, la suspension de l’exécution d’une décision administrative suppose deux conditions, une urgence incompatible avec le délai de traitement de l’affaire en annulation et l’existence d’au moins un moyen sérieux susceptible, prima facie, de justifier l’annulation de cette décision. Le paragraphe 4 de ce même article vise l’hypothèse d’un recours en suspension d’extrême urgence qui doit indiquer en quoi le traitement de l’affaire est incompatible avec le délai de traitement de la demande de suspension visée au paragraphe 1er.
V. Sur les moyens
V.1. Sur le premier moyen
A. Thèse des parties requérantes
Les parties requérantes prennent un premier moyen de la violation de l’article 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, du Protocole n° 12 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, des articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec son article 23, du principe général d’égalité et de non-discrimination, du principe général de motivation substantielle et de l’erreur manifeste d’appréciation.
Dans une première branche, les parties requérantes expliquent que «l’arrêté ministériel du 28 novembre 2020, modifiant l’article 8 de l’arrêté ministériel du 28 octobre 2020 […] a implicitement supprimé la fermeture au public des commerces dits “non essentiels” et a, par conséquent, permis leur réouverture et ce à partir du 1er décembre» alors que les bureaux de paris ont dû rester fermés. Elles estiment que cette mesure constitue une discrimination non justifiée et que sa
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prolongation jusqu’au 1er avril 2021 telle qu’instaurée par l’arrête attaqué participe à la prolongation de cette discrimination. Elles expliquent que les bureaux de paris ne peuvent être assimilés aux établissements relevant du secteur culturel, festif, sportif, récréatif ou événementiel et soulignent que l'arrêté ministériel du 8 mai 2020 les qualifiait d’entreprises et non de lieux récréatifs, ce qu'elles estiment logique «car le but poursuivi par les consommateurs se rendant dans les bureaux de paris est bien de faire valider leurs paris et non de demeurer durablement sur place pour jouer tandis que c’est l’objet même des salles de jeux ou des casinos». Elles en déduisent que la situation des commerces qualifiés de «non essentiels» et des bureaux de paris est donc comparable au sens de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle. Elles admettent que le but poursuivi consistant à réduire le taux de propagation du coronavirus est légitime et indiquent qu'elles en sont bien conscientes puisqu'elles ont établi un protocole sanitaire strict. Elles soutiennent, toutefois, «qu’aucune justification n’est apportée pour soutenir ladite discrimination et encore moins une justification ayant un caractère raisonnable et objectif», car «l’arrêté ministériel attaqué poursuit le traitement différent, et ce sans justification, des catégories de commerces similaires». Elles se prévalent du protocole établi pour garantir le respect des règles sanitaires minimales et font valoir que la partie adverse «reste en défaut de démontrer la pertinence de la différence au regard du but poursuivi ou, en d’autres termes, que la différence de traitement est susceptible de permettre d’atteindre le but poursuivi» et qu'elle «demeure en défaut de prouver que le fait de laisser ouverts les bureaux de paris aurait un impact négatif quant au but poursuivi, à savoir la diminution du taux de propagation du virus et ce alors que tous les autres commerces dits “non essentiels” demeurent ouverts». Elles soutiennent également que si le caractère pertinent de la différenciation était établi, il n’en serait pas moins disproportionné. Elles expliquent que les librairies, qui commercialisent des paris sportifs dans le cadre de licences de classe IV et les produits de la Loterie Nationale, sont ouvertes et que certaines sont devenues des «quasi-agences de paris» qui commercialisent, en réalité, plus de produits de paris sportifs que de vente de journaux ou autres articles de libraires. Elles notent que rien «ne justifie raisonnablement que les libraires, qui commercialisent les mêmes paris sportifs que les agences de paris, soient autorisées à ouvrir et à commercialiser ces paris sportifs, et que les agences de paris sportifs se voient interdire l’ouverture» et considèrent que «le fait que les paris sportifs soient commercialisés dans les librairies confirme que la commercialisation de ces paris sportifs ne présente aucun risque complémentaire pour la santé que les autres activités commerciales». Elles exposent enfin que cette «différence de traitement entre deux sortes d’établissements toutes deux titulaires de licence F2 relève, d’ailleurs, de l’erreur manifeste d’appréciation dans le chef du ministre, violant ainsi le principe général de motivation substantielle visé au moyen, en ce qu’il n’assimile pas les “bureaux de paris” aux autres établissements disposant de licence F2, qui sont autorisé à ouvrir».
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Dans une deuxième branche, les parties requérantes reprochent à la partie adverse de traiter de façon différente les agences de paris et les métiers de contact alors qu'il s'agit de situations similaires au regard de l’objectif poursuivi. Elles soulignent qu'au regard du risque de contamination, les agences de paris présentent moins de risques que les métiers de contact qui ne peuvent respecter une distance de sécurité d’1,50 m et en déduisent qu'une «catégorie bien davantage “à risque” au regard de l’objectif poursuivi se voit octroyer la possibilité de rouvrir ses portes, là où une catégorie davantage “covid-compliant” demeure sous interdiction d’ouverture au minimum pour un mois...
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