Décision judiciaire de Conseil d'État, 14 août 2020

Date de Résolution14 août 2020
JuridictionVI
Nature Arrêt

CONSEIL D'ÉTAT, SECTION DU CONTENTIEUX ADMINISTRATIF

LE PRÉSIDENT DE LA VIe CHAMBRE DES VACATIONS

SIÉGEANT EN RÉFÉRÉ

A R R Ê T

nº 248.147 du 14 août 2020

  1. 231.321/XIII-9033

En cause : 1. LONTIE Johan, 2. l’association sans but lucratif NATAGORA, ayant tous deux élu domicile chez

Me Jacques SAMBON, avocat, rue des Coteaux 227 1030 Bruxelles,

contre :

la Région wallonne, représentée par son Gouvernement, ayant élu domicile chez

Me Jean-François CARTUYVELS, avocat, boulevard du Midi 29 6900 Marche-en-Famenne.

Partie intervenante :

la société anonyme ENECO WIND BELGIUM, ayant élu domicile chez

Me Denis BRUSSELMANS, avocat, rue Colleau 15 1325 Chaumont-Gistoux. ------------------------------------------------------------------------------------------------------

I. Objet de la requête

1. Par une requête introduite par la voie électronique le 4 août 2020, Johan Lontie et l’association sans but lucratif (ASBL) Natagora demandent, selon la procédure d’extrême urgence, au titre de mesures provisoires et de demande d’astreinte :

- d’ordonner qu’il soit fait défense à toute personne, et notamment au titulaire du permis unique attaqué, de poursuivre directement ou indirectement par le recours à des tiers, les actes et travaux autorisés par le permis unique du 24 mars 2020 jusqu’à ce qu’il soit statué sur le recours en annulation introduit contre ce permis unique,

- d’ordonner à la Région wallonne de prendre toutes mesures utiles pour empêcher la poursuite des actes et travaux autorisés par le permis unique du

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24 mars 2020 jusqu’à ce qu’il soit statué sur le recours en annulation introduit contre ce permis unique, - de condamner solidairement la Région wallonne et la [société anonyme (S.A.)]

ENECO WIND BELGIUM à une astreinte de 25.000 € pour toute méconnaissance des mesures provisoires ordonnées

.

Par une requête introduite par la voie électronique le 20 juillet 2020, Johan Lontie et l’ASBL Natagora demandent, d’une part, la suspension de l’exécution et, d’autre part, l’annulation :

- à titre principal, des articles "article 1." à "article 18.", post l’article 1er de l’arrêté du Ministre de l’environnement, de l’aménagement du territoire, de la mobilité et des transports et du bien-être animal du 24 mars 2020 par lequel est délivré à la SA AIR ENERGY, devenue ENECO WIND BELGIUM, un permis unique pour implanter et exploiter un parc de 9 éoliennes ainsi qu’une cabine de tête dans un établissement situé aux lieux dits Grandes Terres, la Tombale, Bois l’Abbé à [...] Eghezée.

- à titre subsidiaire, l’arrêté du Ministre de l’environnement, de l’aménagement du territoire, de la mobilité et des transports et du bien-être animal du 24 mars 2020 par lequel est délivré à la SA AIR ENERGY, devenue ENECO WIND BELGIUM, un permis unique pour implanter et exploiter un parc de 9 éoliennes ainsi qu’une cabine de tête dans un établissement situé aux lieux dits Grandes Terres, la Tombale, Bois l’Abbé à [...] Eghezée

.

II. Procédure

2. Par une requête introduite le 4 août 2020, les parties requérantes demandent l’intervention forcée de la SA Eneco Wind Belgium à la cause.

Par une ordonnance du 4 août 2020, l’affaire a été fixée à l’audience du 11 août 2020.

La note d’observations et le dossier administratif ont été déposés.

Par une requête introduite le 10 août 2020, la SA Eneco Wind Belgium demande à être reçue en qualité de partie intervenante.

Mme Colette Debroux, président de chambre, a fait rapport.

Me Jacques Sambon, avocat, comparaissant pour les parties requérantes, Me Margaux Gilloteaux, loco Me Jean-François Cartuyvels, avocats, comparaissant pour la partie adverse, et Me Julia Mess, loco Me Denis Brusselmans, avocats, comparaissant pour la partie intervenante, ont été entendus en leurs observations.

Mme Virginie Rolin, auditeur adjoint au Conseil d’État, a été entendue en son avis conforme.

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Il est fait application des dispositions relatives à l'emploi des langues, inscrites au titre VI, chapitre II, des lois sur le Conseil d'État, coordonnées le 12 janvier 1973.

III. Faits utiles à l’examen de la cause

3. Les faits utiles à l’examen de la cause ont été exposés dans les arrêts n° 219.398 du 16 mai 2012, n° 222.894 du 18 mars 2013, n° 235.880 du 27 septembre 2016, n° 240.492 du 19 janvier 2018 et n° 247.285 du 11 mars 2020.

L’arrêt précité n° 247.285 du 11 mars 2020 a suspendu l’exécution de l’arrêté du Ministre chargé de l’Environnement et de l’Aménagement du territoire du 5 juin 2018 octroyant à la S.A. Eneco Wind Belgium un permis unique en vue de l’implantation et l’exploitation d’un parc de neuf éoliennes, d’une puissance unitaire maximale de 3,3 MW, ainsi que d’une cabine de tête, dans un établissement situé aux lieux-dits Grandes Terres, la Tombale, Bois l’Abbé à Eghezée (Plaine de Boneffe).

La partie adverse a décidé, le 24 mars 2020, d'une part, de retirer le permis unique du 5 juin 2018 et, d'autre part, de le remplacer par un nouvel arrêté ayant le même objet.

Il s’agit de l’acte attaqué en son second objet.

IV. Intervention

4. La requête en intervention introduite par la SA Eneco Wind Belgium, bénéficiaire de l’acte attaqué, est accueillie.

Il n’y a, dès lors, plus lieu de statuer sur la requête en intervention forcée introduite par les requérants et il convient, par conséquent de leur rembourser les droits relatifs à la requête en intervention forcée indûment versés.

V. Urgence et extrême urgence

V.1. Thèse des parties requérantes

5. Sur l’urgence à statuer, les requérants exposent que la réfection du permis unique date du 24 mars 2020, que, selon le calendrier des travaux précisé par la partie intervenante dans le cadre de l’affaire ayant donné lieu à l'arrêt n° 247.285 précité du 11 mars 2020, tous les travaux préparatoires de l’édification des éoliennes ont déjà été réalisés lors de la mise en œuvre partielle des permis uniques précédents,

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qu’ainsi, la réalisation des aires de montage est terminée depuis le lundi 25 novembre 2019, les essais de sol sont en principe terminés depuis décembre 2019 et les mesures de compensation, entièrement implantées, et qu’en outre, la période de suspension estivale prend fin le 31 juillet 2020, de sorte que le permis attaqué est exécutoire. Ils estiment que, « compte tenu du comportement du bénéficiaire du permis à l’égard des permis uniques antérieurs des 12 novembre 2015, 21 mars 2017 et 5 juin 2018 de mettre en œuvre les autorisations administratives reçues nonobstant les recours juridictionnels introduits et le caractère sérieux des moyens invoqués, ils sont légitimés à solliciter la suspension du permis du 24 mars 2020 », et qu’une urgence temporelle est ainsi établie.

6. Ils soutiennent que la procédure en annulation sera impuissante à prévenir les inconvénients qu’ils craignent, tels l’effarouchement des populations d’espèce d’oiseaux présentes sur le site et l’atteinte au paysage, qui apparaîtront dès la poursuite des travaux initiés. Ils invoquent deux types de nuisances : une atteinte à un site naturel exceptionnel et à l’avifaune, et un préjudice de vue et paysager.

  1. Quant au premier type de nuisances, ils font valoir que la partie adverse a toujours reconnu l’importance de la plaine de Boneffe pour l’avifaune, que, comme le prouve l’étude d’incidences et divers avis, le site présente des caractéristiques spécifiques le rendant important pour plusieurs espèces, notamment comme site de nidification et de halte migratoire, et que le risque invoqué est d’autant plus important vu l’impact cumulatif sur l’avifaune de l’implantation et l’exploitation d’autres parcs éoliens aux alentours du site, mal appréhendé par la partie adverse. Ils relèvent que le département de la nature et des forêts (DNF), dans son avis du 18 avril 2018, a admis qu’il n’était pas possible actuellement de quantifier un tel impact cumulé ni d’en connaître les conséquences sur l’avifaune et que l’avis favorable qu’il a depuis lors émis constitue un revirement d’attitude injustifié, comme exposé dans le second moyen, auquel ils renvoient. Ils rappellent, par ailleurs, que des personnes physiques ont un intérêt à la défense de leur environnement et qu’il en va d’autant plus ainsi pour l’A.S.B.L. Natagora, dont la protection de l’avifaune fait partie de l’objet social.

  2. Quant au second type de nuisances, les requérants font valoir que la personne physique requérante est riveraine du site et qu’elle a des vues directes sur ce site, sur un openfield entièrement dégagé. Ils indiquent que la plaine de Boneffe n’est pas seulement un élément spécifique du paysage mais qu’elle constitue « une plaine de vie » pour les requérants et les autres riverains, comme le montre la dénomination du collectif citoyen qu’ils ont constitué.

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    Ils reproduisent plusieurs extraits de l’étude d’incidences et des avis rendus, notamment celui de la commission royale des monuments et sites, pour conclure que le site litigieux se trouve dans une zone à haute sensibilité paysagère, dans un paysage typique et unique en Hesbaye, à préserver. Ils rappellent que selon l’étude d’incidences, le projet de parc éolien va modifier fortement le cadre paysager du champ de la bataille de Ramillies et impacter plusieurs sentiers vicinaux, lesquels sont pour eux des lieux de promenade. Ils renvoient également aux photomontages joints à l’étude d’incidences, illustrant un impact visuel considérable, et rappellent encore que le Tumulus d’Hottomont, classé comme patrimoine immobilier exceptionnel, et la chaussée romaine seront particulièrement impactés.

    Ils soutiennent également que la perturbation engendrée par le parc éolien ne se limite pas à la période diurne, des flashs périodiques étant prévus la nuit et provoquant une « pollution lumineuse » au beau milieu de la plaine.

    Ils concluent que c’est l’ensemble du plateau de Boneffe que le projet viendra dénaturer de manière importante...

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