Décision judiciaire de Conseil d'État, 30 juin 2020

Date de Résolution30 juin 2020
JuridictionXV
Nature Arrêt

CONSEIL D’ÉTAT, SECTION DU CONTENTIEUX ADMINISTRATIF

XVe CHAMBRE

A R R Ê T

nº 247.970 du 30 juin 2020

A. 222.533/XV-3455

En cause : 1. PINTO Carlo, 2. ARNAUTS Paula, 3. BENS Elly, ayant tous élu domicile chez Me Aurélie TRIGAUX, avocat, chemin du Stocquoy 1 1300 Wavre,

contre :

la Région de Bruxelles-Capitale, représentée par son Gouvernement, ayant élu domicile chez Me Jean-Paul LAGASSE, avocat, place de Jamblinne de Meux 41 1030 Bruxelles.

Parties intervenantes :

1. la société anonyme SOPRINVEST, ayant élu domicile chez Mes Morgane BORRES et Frédéric DE MUYNCK, avocats, galerie du Roi 30 1000 Bruxelles,

2. la commune de Woluwe-Saint-Pierre,

ayant élu domicile chez

Mes Olivia VAN DER KINDERE et Sophie VAN KERCKHOVE, avocats, avenue Lloyd George, n° 16 1000 Bruxelles.

------------------------------------------------------------------------------------------------------ I. Objet de la requête

Par une requête introduite le 30 juin 2017, Carlo Pinto, Paula Arnauts et Elly Bens demandent, d’une part, la suspension de l’exécution des articles 2 et 3 de l’arrêté du Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale du 11 mai 2017 relatif au recours au Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale introduit par la

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commune de Woluwe-Saint-Pierre contre la décision du fonctionnaire délégué d’octroyer un permis d’urbanisme à la société anonyme (SA) Soprinvest tendant à construire deux villas à appartements, avenue Alfred Madoux, n° 53, à (1150) Bruxelles et, d’autre part, leur annulation.

II. Procédure

Par une requête introduite le 5 juillet 2017, la SA Soprinvest demande à être reçue en qualité de partie intervenante.

Par une requête introduite le 5 juillet 2017, la commune de Woluwe-Saint-Pierre demande à être reçue en qualité de partie intervenante.

Un arrêt n° 238.824 du 14 juillet 2017, a accueilli les requêtes en intervention de la SA Soprinvest et de la commune de Woluwe-Saint-Pierre, ordonné la suspension de l’exécution de l’arrêté du 11 mai 2017 et réservé les dépens. Il a été notifié aux parties par télécopie.

La partie adverse et la première partie intervenante ont demandé la poursuite de la procédure.

Les mémoires en réponse, en réplique et en intervention ont été régulièrement échangés.

M. Michel Quintin, premier auditeur chef de section au Conseil d’État, a rédigé un rapport sur la base de l’article 12 du règlement général de procédure.

Le rapport a été notifié aux parties.

Les parties ont déposé un dernier mémoire.

Par une ordonnance du 12 mars 2020, l’affaire a été fixée à l’audience du 28 avril 2020.

Au vu des mesures de confinement décidées par le Gouvernement fédéral dans le cadre de la lutte contre la propagation du coronavirus COVID-19, l’audience du 28 avril 2020 a été remise sine die.

Par une ordonnance notifiée par un courrier électronique du 26 mai 2020 en application de l’article 5 de l’arrêté royal n° 12 concernant la prorogation des

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délais de procédure devant le Conseil d’État et la procédure écrite, prolongé par les arrêtés royaux des 4 et 18 mai 2020, l'affaire a été fixée à l'audience du 29 juin 2020.

M. Marc Joassart, conseiller d’État, a fait rapport.

Me Aurélie Trigaux, avocat, comparaissant pour la partie requérante, Me Jean-Paul Lagasse, avocat, comparaissant pour la partie adverse et Mes Frédéric De Muynck et Olivia Van Der Kindere, avocats, comparaissant pour les parties intervenantes, ont été entendus en leurs observations.

M. Michel Quintin, premier auditeur chef de section, a été entendu en son avis conforme.

Il est fait application des dispositions relatives à l’emploi des langues, inscrites au titre VI, chapitre II, des lois sur le Conseil d’État, coordonnées le 12 janvier 1973.

III. Faits

Les faits ont été exposés dans l'arrêt n° 238.824, précité. Il convient de s'y référer.

IV. Premier moyen

IV.1. Thèses des parties

Le premier moyen est pris de la violation de l’article 237 du Code Bruxellois de l’Aménagement du Territoire (CoBAT), des articles 2 et 3 de la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs, du principe de motivation adéquate des actes administratifs, de l’erreur dans les motifs de l’acte, de l’excès de pouvoir et de l’erreur manifeste d’appréciation.

Les requérants font valoir que la Commission royale des monuments et des sites (CRMS) a donné deux avis défavorables relatifs au projet et qu’il en résulte qu’elle estime que le projet, tant dans sa version initiale que dans sa version modifiée, porte atteinte à la zone de protection du Manoir d’Anjou, monument classé, ainsi que du site classé qui l’entoure. Ils relèvent que la CRMS « déplore […] notamment l’effet d’écrasement qu’aura indubitablement le projet sur l’entrée classée du Manoir et la chapelle classée qui la jouxte alors que ces éléments patrimoniaux devraient être mis en valeur ».

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Ils relèvent que la commission de concertation, en ce compris la direction des monuments et des sites, a émis deux avis défavorables dont ils reproduisent des extraits. Ils en déduisent que « les instances compétentes se sont montrées fortement défavorables au projet, notamment en raison de ses caractéristiques mais aussi de son impact sur le patrimoine immobilier bruxellois ». Après avoir reproduit la motivation de l’acte attaqué tentant de répondre aux avis de la CRMS et de la commission de concertation, ils soutiennent qu’il en résulte que la partie adverse semble confondre le classement du « Manoir d’Anjou » comme monument et comme site. Ils critiquent comme suit les motifs retenus par l’acte attaqué :

- quant au développement des parties boisées et à l’absence de perspectives, ils font valoir que les perspectives dénoncées par la CRMS et la commission de concertation n’ont pas trait au « Manoir d'Anjou » comme monument mais bien en sa qualité de site, que ces perspectives étaient bien présentes en situation existante au moment de la délivrance du permis attaqué et que le projet en cause annihile ces perspectives par son caractère massif et son absence totale d’intégration ;

- ils relèvent qu’à l’estime de la partie adverse, l’absence d’impact du projet sur le terrain ne serait pas due aux caractéristiques du projet mais bien à celles du chemin d’accès, qui est étroit, long et arboré ; ils reproduisent à cet égard une photographie prise en décembre 2016 depuis le chemin classé vers le bien ;

- ils constatent que la partie adverse estime également que ledit projet est sans impact sur la chapelle classée en raison des caractéristiques de celle-ci, en particulier de sa petite taille, et non en raison des caractéristiques du projet et, en particulier, de son implantation; ils s’étonnent de ce que la valeur du patrimoine bruxellois varierait ainsi en fonction de la taille de celui-ci ; s’agissant des plantations, ils relèvent que la partie adverse invoque elle-même leur disparition potentielle en raison de la proximité des constructions, que la condition relative aux arbres n’impose pas que les «nouveaux sujets» soient plantés au même endroit et que cette condition ne permet donc pas de garantir le maintien de l’écran végétal tant vanté par la partie adverse pour justifier l’absence d’atteinte au patrimoine immobilier bruxellois que constitue le « Manoir d’Anjou, en sa qualité de site »;

- ils soutiennent que c’est à tort que l’acte attaqué qualifie l’avis de la CRMS de « purement théorique ».

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Ils en déduisent que cette motivation procède donc, une nouvelle fois, d’une erreur manifeste d’appréciation et ne répond pas aux avis de la CRMS et de la commission de concertation.

Dans son mémoire en réponse, la partie adverse, après avoir souligné que le bien concerné n’est soumis à aucune mesure de protection patrimoniale mais qu’il est seulement situé dans la zone de protection d’un site classé, reproduit la motivation de l’acte attaqué relative à l’implantation du projet et soutient qu’elle répond aux critiques formulées dans l’arrêt n° 236.942 du 27 décembre 2016. Elle estime que le raisonnement de l’auteur de l’acte attaqué se fonde sur une appréciation concrète tenant compte de la petite taille de la chapelle, qui est entourée d’un écrin de verdure, de la grande déclivité du terrain du parc du Manoir d’Anjou, et du fait que le projet sera entouré de verdure (arbres à haute tige). Elle considère que l’implantation du projet est ainsi justifiée et que les vues et perspectives d’un bien sur l’autre ne sont pas modifiées, particulièrement la vue sur la chapelle et sur le parc ainsi que les parties classées du Manoir depuis le lieu d’implantation ou au départ du domicile des requérants ou de la voie publique. Elle fait valoir que, eu égard à la grande déclivité et de la végétation entourant le projet, l’augmentation du volume du projet par rapport à celui de l’ancienne construction qui existait sur la parcelle litigieuse (le « cottage ») n’aura qu’un effet très marginal pour ne pas dire nul sur les perspectives en question. Elle rappelle que la parcelle destinée à accueillir le projet litigieux est un terrain à bâtir, que la construction d’immeubles d’habitation y est autorisée et que sa situation dans une zone de protection ne peut pas avoir pour conséquence d’interdire la réalisation d’un projet de construction en zone urbaine. Elle souligne que la déclivité du site (20 mètres en partant du Manoir d’Anjou pour arriver à l’étang) ainsi que la présence d’arbres séparant le fond de la parcelle du site lui-même ont pour conséquence que les constructions projetées n’auront pas d’incidence sur les vues à partir du monument ou du site classé ou sur les vues sur ces éléments classés. Elle indique enfin que l’acte attaqué comporte également une motivation relative à la proximité du site par rapport à la zone « Natura 2000 ».

Dans son dernier mémoire, elle écrit que s'il est exact qu'en exécution du permis d'urbanisme délivré à la première partie intervenante le 4 février 2016 par le gouvernement de la...

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