Décision judiciaire de Conseil d'État, 28 novembre 2019
Date de Résolution | 28 novembre 2019 |
Juridiction | VI |
Nature | Arrêt |
CONSEIL D'ÉTAT, SECTION DU CONTENTIEUX ADMINISTRATIF.
VIe CHAMBRE
A R R Ê T
nº 246.220 du 28 novembre 2019
A. 218.437/VI-20.720
En cause : la société anonyme ENERGYS,
ayant élu domicile chez
Mes Pierre LEJEUNE et
Guillaume GAILLIET, avocats, rue des Fories 2 4020 Liège,
contre :
la commune de Rouvroy,
ayant élu domicile chez
Me France GUERENNE, avocat, chemin du Stockoy 1-3 1300 Wavre.
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I. Objet du recours
Par une requête introduite le 16 février 2016, la société anonyme ENERGYS sollicite "à charge de la Commune de Rouvroy, une indemnité visant à réparer le préjudice subi du fait de l'illégalité de la délibération de son collège communal du 13 juin 2012, décidant de déclarer irrégulière l'offre d'ENERGYS et d'attribuer à DELTA THERMIC le marché de la construction d'un complexe sportif et culturel à Harnoncourt - lot B3 - HVAC - Sanitaire - Protection incendie".
II. Procédure
Un arrêt n° 233.306 du 18 décembre 2015 a annulé l'acte attaqué.
Les droits visés à l’article 70 de l'arrêté du Régent du 23 août 1948 déterminant la procédure devant la section du contentieux administratif du Conseil d'État ont été acquittés.
Les mémoires en réponse et en réplique ont été régulièrement échangés.
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M. Eric THIBAUT, auditeur général adjoint au Conseil d'État, a rédigé un rapport sur la base de l'article 25/3 du règlement général de procédure.
Le rapport a été notifié aux parties.
Les parties ont déposé des derniers mémoires.
Par une ordonnance du 21 juin 2018, l'affaire a été fixée à l'audience du 26 septembre 2018 à 10 heures.
M. Imre KOVALOVSZKY, président de chambre, a exposé son rapport.
Me Pierre LEJEUNE, avocat, comparaissant pour la partie requérante, et Me Kevin POLET, loco Me France GUERENNE, avocat, comparaissant pour la partie adverse, ont été entendus en leurs observations.
M. Eric THIBAUT, auditeur général adjoint, a été entendu en son avis partiellement conforme.
Il est fait application des dispositions relatives à l'emploi des langues, inscrites au titre VI, chapitre II, des lois sur le Conseil d'État, coordonnées le 12 janvier 1973.
III. Faits
Le 28 décembre 2010, le Journal officiel de l'Union européenne publie un avis de marché émanant de la commune de Rouvroy et ayant pour objet la mise en adjudication publique d’un marché de travaux portant sur la construction d'un complexe sportif et culturel à Harnoncourt. Le marché est divisé en dix lots dont le lot B : HVAC (Chauffage, ventilation et climatisation) - sanitaire - protection incendie.
Trois sociétés déposent une offre pour le lot B3 : la S.A. ENERGYS, partie requérante, la S.A. DELTA THERMIC et la S.A. IMTECH. L’offre de la requérante est la moins disante avec un montant de 1.280.759,09 euros hors TVA.
Le 3 août 2011, la partie adverse prend une première délibération par laquelle elle considère, d’une part, l’offre de la requérante comme incomplète et irrégulière (de même que celle de la société IMTECH) et, d’autre part, attribue le marché à la société DELTA THERMIC. Cette décision est retirée le 13 juin 2012.
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Le même 13 juin 2012, le collège communal de la partie adverse adopte une nouvelle délibération déclarant irrégulières les offres de la requérante et de la société IMTECH et attribuant le marché à la société DELTA THERMIC pour un montant de 1.374.448,25 euros.
Un recours en annulation est introduit contre cette décision. Par un arrêt n° 231.361 du 27 mai 2015, le Conseil d'État déclare fondée la deuxième branche du premier moyen en tant que la décision contestée a déclaré régulière l'offre de l'attributaire et décide de rouvrir les débats en ce qui concerne les troisième et quatrième branches du premier moyen. Il est constaté, à propos du premier moyen, deuxième branche, qu’il "y a lieu, en conséquence, de déclarer fondé, en sa deuxième branche, le moyen qui invoque une erreur manifeste d'appréciation et est dirigé, en cette branche, contre l'acte attaqué en tant que celui-ci déclare irrégulière l'offre de la requérante à l'égard des prix proposés pour les postes 19.2.1. à 19.2.8.".
Par un arrêt n° 233.306 du 18 décembre 2015, le Conseil d'État annule la délibération du collège communal de la partie adverse du 13 juin 2012 décidant de déclarer irrégulière l'offre de la société ENERGYS et d'attribuer à la société DELTA THERMIC le marché de conception et de travaux pour la "construction d'un complexe sportif et culturel à Harnoncourt" - lot B3 – H.V.A.C. - Sanitaire - Protection incendie.
Le Conseil d'État décide d'abord que la partie adverse a pu légalement décider que l’offre de la requérante était irrégulière.
L'arrêt poursuit, à propos de la première branche du premier moyen, en considérant ce qui suit :
" Les explications de la partie adverse à propos du regroupement des prestations 19.2.1 à 19.2.8 ne reposent sur aucune disposition légale ou réglementaire.
À l'égard de ce premier grief examiné, l'argumentation de la requérante est fondée.
Il apparait, en outre, du rapport d'analyse des offres que des demandes de justifications ont été adressées aux trois soumissionnaires et que la société DELTA THERMIC a été interrogée à propos de 20 postes, la requérante l'étant à propos de 20 postes également, les postes communs aux questions de l'autorité adjudicatrice étant de 16.
La motivation de l'acceptation de l'offre de DELTA THERMIC tient dans la phrase du rapport d'analyse des offres qui relève qu'un tableau a été fourni permettant d'arriver au prix de vente unitaire et de l'acceptation des justifications.
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Cette motivation succincte ne permet cependant pas de comprendre la démarche intellectuelle de la partie adverse demandant une justification du prix initial de 7.523,36 euros et acceptant un prix de 24,42 euros, soit une modification du prix.
À l'égard de ce deuxième grief examiné, l'argumentation est également fondée".
S'agissant de l'intérêt de la requérante à l'annulation, l'arrêt énonce ce qui suit:
" Dans le cadre du marché litigieux, trois offres ont été déposées. Seule celle de la société DELTA THERMIC, désignée comme attributaire, a été considérée comme régulière, tandis que celles de la société IMTECH et de la requérante ont été déclarées irrégulières.
Le soumissionnaire qui n'a pas été sélectionné ou dont l'offre n'a pas été jugée régulière n'a intérêt à poursuivre l'annulation de la décision d'attribution du marché public litigieux que dans la mesure où il prend un ou des moyens de l'irrégularité de sa non-sélection ou du rejet de son offre, ou encore de celle de la sélection ou de la reconnaissance de la régularité des offres de ses concurrents, dont l'adjudicataire.
Telle est précisément la portée de plusieurs griefs formulés dans le premier moyen.
Sans doute, l'examen de la décision qui déclare irrégulière l'offre de la requérante conduit-il à établir que cette irrégularité a été retenue à juste titre. Néanmoins, la requérante peut conserver un intérêt à l'annulation de la décision d'attribution du marché si, à la faveur de l'un ou plusieurs des moyens soulevés à l'appui de son recours, elle soutient que la partie adverse a illégalement considéré comme régulière l'offre de l'attributaire. En l'espèce, elle pourrait précisément, et au vu des sorts respectivement réservés à chacun des trois soumissionnaires, se prévaloir d'une nouvelle chance de se voir attribuer le marché convoité à la suite d'un arrêt qui, statuant sur son recours, imposerait d'admettre que ledit marché ne pouvait – lorsque la partie adverse a adopté l'acte attaqué – être attribué à aucun des soumissionnaires.
La plupart des griefs formulés au titre de la première branche du premier moyen doivent se voir reconnaître une portée conforme à la condition de recevabilité ainsi précisée.
[…]"
IV. Examen de la demande d'indemnité réparatrice
IV.1. Thèses des parties
A. La requête
La requérante expose que la demande d’indemnité porte sur 700 euros, représentant ses frais de défense devant le Conseil d’État, auxquels s’ajoutent 64.038 euros, représentant la perte de chance d’obtenir l’attribution du marché ayant fait l'objet de la délibération annulée, à majorer des intérêts au taux légal à dater du 18 décembre 2015.
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S'agissant des frais de défense, la requérante expose que, compte tenu de la date d’introduction du recours en annulation, elle ne pouvait pas solliciter directement, à titre d’indemnité de procédure, l’indemnisation de ses frais de défense. Elle se réfère à l'arrêt de la Cour constitutionnelle n° 2009/118 du 16 juillet 2009, dont elle reproduit des extraits et expose que, depuis le prononcé de cet arrêt, une loi du 20 janvier 2014 a consacré le principe de la répétibilité des frais de justice devant le Conseil d'État, les montants étant toutefois distincts de ceux applicables devant les juridictions judiciaires. C'est par application mutatis mutandis des principes énoncés par la Cour constitutionnelle qu'elle postule le même montant que celui qui peut désormais être accordé par le Conseil d'État, soit le montant de base de 700 euros.
S'agissant de la perte de chance d’obtenir le marché, la requérante fait valoir que lorsque le mode de passation du marché est, comme en l’espèce, l’adjudication, la loi détermine forfaitairement le montant alloué au soumissionnaire régulier qui est illégalement évincé, à savoir 10% de son offre. Elle souligne que si le Conseil d’État avait reconnu à son offre un caractère régulier, le montant de son préjudice serait de 128.075,909 euros, que si tel n’a pas été le cas, le recours en annulation a néanmoins été jugé recevable au motif qu’aucune des offres retenues par la partie adverse ne présentait un caractère régulier, qu’elle a donc été privée, en raison de l’illégalité constatée par le Conseil d’État, de la chance de pouvoir participer...
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