Décision judiciaire de Conseil d'État, 11 septembre 2019

Date de Résolution11 septembre 2019
JuridictionXI
Nature Arrêt

CONSEIL D'ÉTAT, SECTION DU CONTENTIEUX ADMINISTRATIF.

XIe CHAMBRE

A R R Ê T

nº 245.404 du 11 septembre 2019

A. 215.648/XI-20.626

En cause : 1. l'a.s.b.l. Association pour le Droit des Étrangers, 2. l'a.s.b.l. Coordination et Initiatives pour et avec les Réfugiés et les Étrangers, 3. l'a.s.b.l. Service International de Recherche, d'Éducation et d'Action sociale, 4. l'a.s.b.l. Ligue des Droits de l'Homme, 5. l'a.s.b.l. Mouvement contre le Racisme, l'Antisémitisme et la Xénophobie, ayant élu domicile chez Me Thomas MITEVOY, avocat,

chaussée de Haecht 55

1210 Bruxelles,

contre :

l'État belge, représenté par le Ministre des Affaires sociales et de la Santé publique, et de l'Asile et la Migration.

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I. Objet de la requête

Par une requête du 20 avril 2015, les parties requérantes sollicitent l'annulation "de l'arrêté royal du 16 février 2015 «modifiant l'arrêté royal du 8 octobre 1981 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers», publié au Moniteur belge du 20 février 2015".

II. Procédure

Un arrêt n° 242.596 du 10 octobre 2018 a rouvert les débats. Il a été notifié aux parties.

M. Benoit CUVELIER, premier auditeur chef de section au Conseil d'État, a rédigé un rapport complémentaire sur la base des articles 13 et 25/3 du règlement général de procédure.

Le rapport a été notifié aux parties.

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Les parties ont déposé un dernier mémoire.

La partie adverse a introduit une demande maintien des effets de l'arrêté attaqué.

M. Benoit CUVELIER, premier auditeur chef de section, a rédigé un rapport complémentaire sur la base de l'article 14, alinéa 3, du règlement général de procédure.

Par une ordonnance du 28 mai 2019, les parties ont été convoquées à l'audience du 20 juin 2019.

M. Yves HOUYET, conseiller d'État, a exposé son rapport.

Mes Thomas MITEVOY et Loïca LAMBERT, avocats, comparaissant pour les parties requérantes, et Me Joëlle MATRAY, avocat, comparaissant pour la partie adverse, ont été entendus en leurs observations.

M. Benoit CUVELIER, premier auditeur chef de section, a été entendu en son avis conforme.

Il est fait application des dispositions relatives à l'emploi des langues, inscrites au titre VI, chapitre II, des lois sur le Conseil d'État, coordonnées le 12 janvier 1973.

III. Faits

Les faits utiles à l'examen du recours sont exposés dans l'arrêt n° 242.596 du 10 octobre 2018.

IV. Premier moyen

IV.1. Thèse des parties

Les requérantes prennent un premier moyen de la violation des articles 10, 11, 33, 105, 108, 170, 172 et 191 de la Constitution, des articles 195 et 196 de la loi-programme du 19 décembre 2014 et du principe général de bonne administration, de la règle de proportionnalité et de l'excès de pouvoir.

Dans une seconde branche, les requérantes soutiennent que le montant d'une redevance doit être équivalent ou représenter un rapport raisonnable avec le

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coût du service rendu. Sur ce point, les parties requérantes estiment qu'il n'est pas possible d'apprécier si ce critère est rempli ou non à la lecture de la loi-programme du 19 décembre 2014. Pour elles, le législateur a délégué au Roi le soin de fixer le montant de la redevance et ce n'est qu'à l'examen de l'arrêté attaqué que l'on peut concrètement examiner si le montant du prélèvement est en rapport avec le coût du "service rendu".

Elles estiment qu'il est manifeste que le Roi a fixé des montants qui ne sont pas proportionnés au coût du service rendu et qui ne sont donc pas des redevances. Elles considèrent qu'il a été décidé qu'un paiement partiel de la "redevance" ne peut faire l'objet d'aucun remboursement en cas d'absence de régularisation dans le délai de trente jours, ce qui est contraire à la notion de rétribution et atteste du caractère d'impôt du prélèvement.

Les requérantes font valoir que, dans la note du Conseil des Ministres du 9 février 2015, le ministre de l'Intérieur et le secrétaire d'État à l'Asile et la Migration expliquent qu'en raison de la grande diversité des demandes de séjour et du travail qu'elles nécessitent, ils ont opté pour une comptabilisation du temps et du coût pour une demande de séjour moyenne d'un étranger et que le résultat de ce calcul de la mesure de la charge de travail pour une demande moyenne s'élève selon les ministres à un coût de 268 euros. Elles relèvent que les variables de ce calcul ne sont pas précisées et qu'en tout état de cause, les montants fixés ne sont pas en rapport avec le coût du service rendu dans les demandes spécifiques alors que la redevance vise de nombreuses demandes ayant des caractéristiques propres en terme de vérification des conditions légales et donc de travail pour l'administration.

Elles relèvent que :

" D'une part, les montants des redevances furent déterminés en fonction d'un coût étalon (dans le sens d'un modèle de mesure qui sert de point de référence) présenté comme le coût moyen par demande de séjour. Ce mode de calcul globalisant n'est pas satisfaisant au regard de la multiplicité des demandes de séjour visées et de leurs particularités. Cette méthode implique une absence de distinction pour chacune des catégories de demande de séjour. Or, il est incontestable qu'il existe une grande variété de demandes de séjour visées qui impliquent des quantités de travail très différentes pour l'administration.

D'autre part, les différents montants correspondant aux différentes demandes de séjour (215, 160, 60 euros) n'ont pas été déterminés en fonction du coût lié au traitement de ces demandes par l'administration mais en fonction d'autres critères comme la volonté de se conformer aux droits fondamentaux, au droit européen ou encore en vue de favoriser le transfert de savoir.

De surcroît, les montants fixés favorisent certains types de demandes, telles celles introduites par les résidents de longue durée mais en défavorisent d'autres comme les demandes introduites sur la base de l'article 9bis [de la loi du 15 décembre

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1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers], alors que rien n'établit que le service rendu soit différent. Ainsi, par exemple, l'analyse d'une demande 9bis introduite par un demandeur d'asile de longue durée, peut être très brève puisqu'un critère objectif lié à la longueur de la procédure d'asile est retenu. Ces critères sont tout à fait étrangers au coût du service rendu.

En conclusion, le Roi fixe des montants qui ne sont pas proportionnés au coût du service rendu et impose donc le paiement d'un impôt aux étrangers concernés pour l'introduction d'une demande de séjour".

Les parties requérantes se réfèrent à l'article 5 de l'arrêté attaqué et estiment que la circonstance qu'un paiement partiel ne peut faire l'objet d'aucun remboursement tend à démontrer le caractère contributif et non pas rémunératoire du prélèvement. Elles font référence à l'arrêt n° 130.492 du 21 avril 2004, qui a jugé, s'agissant d'une rétribution visée à l'article 173 de la Constitution, qu' "une telle redevance ne peut être perçue lorsque le service dont elle est la contrepartie n'est pas rendu" et qu'il résulte de l'acte attaqué qu'un prélèvement partiel peut avoir lieu sans qu'aucune contrepartie ne soit rendue.

Enfin, elles estiment que la seule multiplication du montant par le nombre d'étrangers "parties" à la demande atteste du caractère forfaitaire et globalisant des montants fixés par le Roi et qu'il ne peut être sérieusement soutenu que la présence d'une seconde personne dans une même demande entraînera automatiquement deux fois plus de travail pour l'administration et que ce mode de calcul "est étranger au critère selon lequel le montant du prélèvement doit être proportionné au coût du service rendu".

La partie adverse répond, à titre principal, que "les parties requérantes n'ont pas intérêt à cette partie du moyen : à suivre leur raisonnement, le coût de la redevance doit être adapté selon les différentes variétés de demande de séjour", qu'il "en résulte, nécessairement, que ce raisonnement est de nature à augmenter le coût de la redevance pour certaines catégories d'étrangers, ce qui est contraire à l'objectif que les requérantes déclarent poursuivre par le truchement de leur recours".

Subsidiairement, la partie adverse estime que le moyen n'est pas fondé. Elle expose que la méthode choisie ne remet pas en cause le principe selon lequel le montant de la redevance est établi en fonction du coût du service rendu.

La partie adverse indique que dans sa note au conseil des ministres du 10 février 2015, elle a exposé que : " À cause de l'énorme diversité des demandes que les étrangers peuvent introduire ainsi que les différences significatives dans la méthode de travail des villes et communautés sollicitées, le bureau de mesure a levé l'option de calculer le temps

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et le coût pour une demande «moyenne» d'un étranger. Le résultat de la mesure de la charge de travail est qu'une demande pour l'Office des Étrangers (OE) représente en moyenne un coût [de] 268 euros".

Elle estime qu'une telle option ne dénature nullement la qualification de redevance et qu'il s'agit simplement d'une méthode choisie, à savoir déterminer un coût moyen.

Selon la partie adverse, les réductions appliquées à différentes personnes selon les catégories auxquelles elles appartiennent ne remettent pas davantage en cause la qualification de redevance, dans la mesure où le départ du raisonnement est toujours le coût moyen et où la modification se fait toujours dans le sens de la réduction pour tenir compte des situations particulières.

La partie adverse explique qu'en ce qui concerne le non-remboursement d'une redevance partiellement payée, la justification suivante a été formulée :

" Si l'étranger ne paie pas le montant exact, l'administration l'invite à compléter son paiement dans les 30...

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