Décision judiciaire de Conseil d'État, 21 mars 2019

Date de Résolution21 mars 2019
JuridictionVI
Nature Arrêt

CONSEIL D'ÉTAT, SECTION DU CONTENTIEUX ADMINISTRATIF.

VIe CHAMBRE

A R R Ê T

nº 244.005 du 21 mars 2019

A. 222.596/VI-21.047

En cause : 1. HERTOGHE Thierry, 2. WOLLAERT Peter, 3. FRANÇOIS Marie,

ayant élu domicile chez

Me Philip PEERENS, avocat, chaussée de La Hulpe 166 1170 Bruxelles,

contre :

l'État belge, représenté par la Ministre des Affaires Sociales et de la Santé publique, et de l'Asile et la Migration,

ayant élu domicile chez

Mes Pierre LEGROS et Jérôme SOHIER, avocats, avenue Emile De Mot 19 1000 Bruxelles.

------------------------------------------------------------------------------------------------------ I. Objet de la requête

Par une requête introduite le 7 juillet 2017, Thierry HERTOGHE, Peter WOLLAERT et Marie FRANÇOIS demandent l'annulation de "l'arrêté royal du 23 avril 2017 portant interdiction de la délivrance de préparations magistrales à usage cutané humain avec une concentration en testostérone supérieure à 2,5 %".

II. Procédure

Les droits visés à l'article 70 de l'arrêté du Régent du 23 août 1948 déterminant la procédure devant la section du contentieux administratif du Conseil d'État ont été acquittés.

Le dossier administratif a été déposé.

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Les mémoires en réponse et en réplique ont été régulièrement échangés.

M. Christian AMELYNCK, premier auditeur chef de section au Conseil d'État, a rédigé un rapport sur la base de l'article 12 du règlement général de procédure.

Le rapport a été notifié aux parties.

Les parties requérantes ont déposé un dernier mémoire.

Par une ordonnance du 12 octobre 2018, l'affaire a été fixée à l'audience du 14 novembre 2018 à 10 heures.

Mme Nathalie VAN LAER, conseiller d'État, a exposé son rapport.

Me Philip PEERENS, avocat, comparaissant pour les parties requérantes, et Me Margot CELLI, loco Mes Pierre LEGROS et Jérôme SOHIER, avocat, comparaissant pour la partie adverse, ont été entendus en leurs observations.

M. Christian AMELYNCK, premier auditeur chef de section, a été entendu en son avis conforme.

Il est fait application des dispositions relatives à l'emploi des langues, inscrites au titre VI, chapitre II, des lois sur le Conseil d'État, coordonnées le 12 janvier 1973.

III. Exposé des faits utiles

L'arrêt n° 223.953 du 18 juin 2013 décrit les faits à l'origine de la présente affaire de la manière suivante :

" III. 1. A une date non précisée, le professeur Claudine HEINRICHS et le docteur Cécile BRACHET ont rédigé un «Rapport concernant deux cas récents d'enfants présentant une intoxication à la testostérone par passage transcutané de testostérone présente dans l'environnement, à cause de l'application cutanée par leur père d'un gel de testostérone 10 %».

III. 2. Se fondant sur ce «Rapport concernant deux cas récents d.d.», la commission pour les médicaments à usage humain, département de vigilance, a formulé, le 11 février 2011, un avis marquant son accord sur la nécessité d'interdire la délivrance de préparations qui contiennent plus de 2,5 % de testostérone.

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III. 3. Le 5 juillet 2011, la partie adverse a adressé au Conseil d'État, section de législation, une demande d'avis dans un délai de trente jours sur un projet d'arrêté royal portant interdiction de la délivrance de médicaments à usage cutané humain avec une concentration en testostérone supérieure à 2,5 %.

La section de législation a donné son avis sur ce projet le 26 juillet 2011. Il porte le n° 49.955/1/V.

III. 4. Un arrêté royal du 26 octobre 2011 porte interdiction de la délivrance de médicaments à usage cutané humain avec une concentration en testostérone supérieure à 2,5 %.

Cet arrêté ne contient aucune disposition spécifique relative à son entrée en vigueur.

Il a été publié au Moniteur belge du 13 janvier 2012.

Il a été modifié par un arrêté royal du 19 novembre 2012, publié au Moniteur belge du 5 janvier 2013. Celui-ci se borne à insérer un article 1/1 rédigé comme suit : «L'article 1er ne s'applique pas aux dispositifs transdermiques»".

L'arrêt n° 223.953 du 18 juin 2013 a annulé l'arrêté royal du 26 octobre 2011 portant interdiction de la délivrance de médicaments à usage cutané humain avec une concentration en testostérone supérieure à 2,5%.

Le 16 septembre 2016, la commission pour les médicaments à usage humain (en abrégé C.M.H.) a formulé un nouvel avis relatif à la délivrance de préparations magistrales topiques de types gels, crèmes et onguents avec une concentration en testostérone supérieure à 2,5%. Elle y a recommandé "que la délivrance de préparations magistrales de gels de testostérone avec une concentration supérieure à 2,5 % soit interdite en Belgique".

La partie adverse a adressé à la section de législation du Conseil d'État une demande d'avis dans un délai de trente jours sur un projet d'arrêté royal portant interdiction de la délivrance de médicaments à usage cutané humain avec une concentration en testostérone supérieure à 2,5 %.

Le 19 janvier 2017, la section de législation a donné sur ce projet l'avis n° 60.708/3.

Le 23 avril 2017, le Roi a adopté un arrêté royal portant interdiction de la délivrance de préparations magistrales à usage cutané humain avec une concentration en testostérone supérieure à 2,5 %. Cet arrêté royal se donne pour fondement juridique l'article 7, § 1er, alinéa 1er, a), b) et c) de la loi du 25 mars 1964 sur les médicaments. Il

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a été publié au Moniteur belge le 10 mai 2017 et ne contient aucune disposition spécifique relative à son entrée en vigueur, de telle sorte que celle-ci est intervenue le 20 mai 2017. Il s'agit de l'arrêté attaqué.

IV. Recevabilité

IV.1. Thèses des parties

A. Requête en annulation

Les requérants exposent avoir un intérêt direct et légitime à solliciter l'annulation d'un arrêté royal qui interdit la délivrance de préparations magistrales à usage cutané ayant un taux de concentration en testostérone supérieur à 2,5 % dans la mesure où ils prescrivent régulièrement ces produits qui répondent à un besoin thérapeutique pour leurs patients. Ils soulignent que les deux premiers requérants étaient requérants dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt n° 223.953 du 18 juin 2013 annulant l'arrêté royal du 26 octobre 2011 portant interdiction de la délivrance de médicaments à usage cutané humain avec une concentration en testostérone supérieure à 2,5 %.

B. Mémoire en réponse

La partie adverse excipe de l'absence d'intérêt direct des requérants.

Elle affirme que ceux-ci ne sont "ni fabricants, ni revendeurs de médicaments ou de préparations faisant l'objet d'une interdiction par l'acte attaqué", mais qu'ils pouvaient tout au plus, après examen médical de leurs patients, prescrire ce type de préparations.

Elle soutient qu'un patient n'a pas le droit de se rendre chez son médecin en vue de se faire prescrire une préparation précise, ce qui reviendrait à reléguer le médecin au rang d'intermédiaire commercial, que le postulat selon lequel l'acte attaqué aurait pour effet de faire perdre aux requérants une partie de leur patientèle ne peut être accepté, qu'il est erroné et purement hypothétique quant à ses conséquences et que, même s'il devait être reconnu, l'intérêt des requérants ne serait encore qu'indirect, l'interdiction des préparations en cause ne pouvant les atteindre que "par ricochet" puisque "la perte de clientèle supposée trouverait sa source dans le fait que certains «clients», en raison de cette interdiction, pourraient choisir de ne plus consulter leur médecin, et non pas dans l'interdiction en elle-même".

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La partie adverse relève enfin que le Conseil d'État a précisé, dans son arrêt n° 223.953 du 18 juin 2013, qu'"un intérêt direct et légitime à poursuivre l'annulation d'un arrêté portant interdiction de la délivrance de médicaments ne pourrait être reconnu aux requérants, à la fois médecins et patients traités au moyen de la prescription en cause, qu'à la condition qu'ils en établissent le défaut de fondement. La recevabilité de la requête quant à l'intérêt est dès lors indissociable du fond". Elle estime que les moyens méritant d'être jugés non fondés, le recours doit être déclaré irrecevable.

C. Mémoire en réplique

Les requérants observent qu'ils ont un intérêt individuel, direct et légitime à solliciter l'annulation d'un arrêté royal qui interdit la délivrance de préparations magistrales à usage cutané ayant un taux de concentration en testostérone supérieur à 2,5 % dans la mesure où ils prescrivent régulièrement ces produits, qui répondent à un besoin thérapeutique pour leurs patients et se réfèrent à l'arrêt n° 223.953 du 18 juin 2013. Les deux premiers requérants indiquent, en outre, qu'ils suivent tous deux, en tant que patients, un traitement incluant la prise de préparations magistrales à usage cutané humain avec une concentration en testostérone supérieure à 2,5 %.

Ils rappellent que les traitements réalisés à l'aide d'une préparation magistrale de plus de 2,5 % de concentration en testostérone sont proposés après avoir expliqué et discuté des opportunités de traitement avec chaque patient concerné et qu'"une préparation magistrale sous forme de gel dont le taux est supérieur à 2,5% de concentration en testostérone permet de lutter plus efficacement contre les maladies que les médicaments autorisés et préparations magistrales présentant des taux inférieurs à 2,5 %". Ils exposent que leur intérêt individuel, direct et légitime découle des répercussions immédiates de l'acte attaqué sur leur liberté thérapeutique de prescrire à leurs patients un traitement adéquat et plus efficace que les produits dont la délivrance reste permise en vertu de l'arrêté attaqué.

Les deux premiers requérants indiquent, en outre, qu'étant des patients traités par la prise de produits interdits par l'acte attaqué, ils ont un second motif de faire valoir un intérêt direct au recours.

Ils avancent également que "tant l'exercice de l'art de guérir et le serment d'Hippocrate, d'une part, que le principe général de droit de la...

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