Décision judiciaire de Conseil d'État, 12 octobre 2018
Date de Résolution | 12 octobre 2018 |
Juridiction | XV |
Nature | Arrêt |
CONSEIL D’ÉTAT, SECTION DU CONTENTIEUX ADMINISTRATIF.
XVe CHAMBRE
A R R Ê T
nº 242.639 du 12 octobre 2018
192.229/XV-1005
En cause : la société de droit américain
KALITTA AIR L.L.C., ayant élu domicile chez Me Tamara LEIDGENS, avocat, avenue Louise 65, boîte 11 1050 Bruxelles,
contre :
la Région de Bruxelles-Capitale, représentée par son Gouvernement, ayant élu domicile chez Me François TULKENS, avocat, boulevard de l’Empereur 3 1000 Bruxelles. ------------------------------------------------------------------------------------------------------ I. Objet de la requête
Par une requête introduite le 16 avril 2009, la société de droit américain KALITTA AIR L.L.C. demande l’annulation de la décision du collège d’Environnement du 13 février 2008 confirmant la décision du fonctionnaire dirigeant de l’Institut bruxellois pour la Gestion de l’Environnement (I.B.G.E.) [actuellement dénommé BRUXELLES ENVIRONNEMENT] du 16 octobre 2008 lui infligeant une amende administrative de 86.057 euros du chef d’infractions à l’arrêté du Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale du 27 mai 1999 relatif à la lutte contre le bruit généré par le trafic aérien.
II. Procédure
Un arrêt n° 240.013 du 28 novembre 2017 a rouvert les débats et a réservé les dépens. Il a été notifié aux parties.
Les mémoires complémentaires ont été régulièrement échangés.
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Par une ordonnance du 1er août 2018, l’affaire a été fixée à l’audience publique du 12 octobre 2018 à 9 heures 30.
Mme Pascale VANDERNACHT, président de chambre, a fait rapport.
Me Tamara LEIDGENS, avocat, comparaissant pour la partie requérante, et Me François TULKENS, avocat, comparaissant pour la partie adverse, ont été entendus en leurs observations.
M. Denis DELVAX, premier auditeur, a été entendu en son avis conforme.
Il est fait application des dispositions relatives à l’emploi des langues, inscrites au titre VI, chapitre II, des lois sur le Conseil d’État, coordonnées le 12 janvier 1973.
III. Faits
Les faits de la présente cause ont été exposés dans l’arrêt n° 240.013 du 28 novembre 2017, précité. Il y a lieu de s’y référer.
IV. Rétroactes
Dans son arrêt n° 240.013, précité, le Conseil d’État a mis hors de cause le collège d’Environnement de la Région de Bruxelles-Capitale, a rejeté le quatrième moyen, seconde branche, le septième moyen, première, deuxième et troisième branches, le neuvième moyen, le dixième moyen et le douzième moyen, et a rouvert les débats pour les autres moyens et les branches des moyens qui ont été présentés dans le mémoire en réplique ou dans le dernier mémoire. Cette réouverture des débats a été décidée à la suite de l’arrêt de l’assemblée générale de la section du contentieux administratif n° 238.588 du 20 juin 2017 qui a décidé ce qui suit:
"7. Contrairement aux principes régissant les autres moyens, un moyen d’annulation, qui est présenté comme étant d’ordre public, ne doit pas nécessairement, sous peine d’irrecevabilité, être invoqué par la partie requérante dans la requête ou dès qu’elle en a l’occasion dans le cadre de la procédure après qu’elle en a connaissance ou devait en avoir connaissance. Ceci se justifie par le fait que s’il devait effectivement s’avérer qu’il s’agit d’un moyen d’ordre public et que ce moyen est fondé, le Conseil d’État devrait, le cas échéant, le prendre d’office en considération. 8. Toutefois, dans certaines circonstances propres au cas d’espèce, il peut se justifier que le moyen présenté comme étant d’ordre public par la partie
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requérante ne soit pas examiné lorsque l’invocation de ce moyen par la partie requérante apparaît comme une atteinte avérée à la loyauté procédurale, qui constitue un manquement substantiel au déroulement normal et adéquat de l’examen du recours. 9. Il revient à la chambre compétente d’apprécier si, en l’espèce, il existe ou non de tels motifs spécifiques justifiant que les moyens et les branches des moyens qui n’ont pas été invoqués le plus rapidement possible dans le cadre de la procédure, mais qui, selon la partie requérante, revêtent un caractère d’ordre public, doivent ou non être considérés comme irrecevables".
V. Examen des moyens et de leur recevabilité
V.a. Recevabilité au regard de la loyauté procédurale
V.a.1. Thèses des parties
La partie adverse, dans son mémoire complémentaire, indique que toutes les circonstances sont réunies pour que l’ensemble des moyens et questions préjudicielles soulevés tardivement soient irrecevables. Selon elle, la partie requérante n’apporte aucun élément qui permettrait de justifier l’invocation tardive de ces moyens et questions préjudicielles. Elle considère par conséquent que l’invocation de ces moyens et questions préjudicielles présente un caractère dilatoire manifeste au regard de leur nombre et du fait qu’ils ont tous déjà été examinés dans d’autres affaires.
La partie requérante, dans son mémoire complémentaire, relève tout d’abord que les questions préjudicielles qu’elle propose de poser à la Cour constitutionnelle ou à la Cour de Justice de l’Union européenne ne sont que le développement d’un moyen existant et, ensuite, qu’il n’est pas établi, en l’espèce, qu’elle aurait retardé l’invocation d’un quelconque moyen dans le but de se procurer un avantage, et encore moins qu’elle l’aurait fait sciemment ou avec une extrême légèreté. Elle ajoute qu’il n’est pas non plus établi qu’elle aurait empêché une bonne administration de la justice ni lésé les droits de la partie adverse d’une manière manifestement fautive ou portant atteinte à son droit au procès équitable. Si elle a développé certains aspects de sa défense dans son dernier mémoire, c’est à la suite de son examen des rapports de l’auditeur et des arrêts du Conseil d’État rendus entre l’introduction de sa requête en annulation et le dépôt de son dernier mémoire.
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V.a.2. Appréciation
Lorsqu’un moyen qualifié d’ordre public est soulevé dans le mémoire en réplique, la circonstance qu’il est soulevé tardivement n’empêche pas l’auditeur de l’examiner ni la partie adverse d’y répondre dans son dernier mémoire, c’est-à-dire un écrit prévu par le règlement de procédure. Par ailleurs, dans les cas où le rapport est d’abord notifié à la partie requérante, si celle-ci soulève de nouveaux moyens d’ordre public ou propose de nouvelles questions préjudicielles, la partie adverse a encore l’occasion de faire valoir ses observations dans ce dernier mémoire. Le nombre de moyens invoqués et de questions préjudicielles proposées peut avoir une incidence sur le délai de traitement de l’affaire mais il ne constitue pas en lui-même un manquement substantiel au déroulement normal et adéquat de l’examen du recours. De même, la réitération de moyens rejetés dans des affaires précédentes n’est pas en soi non plus une atteinte avérée à la loyauté procédurale puisqu’une partie peut toujours espérer une évolution ou un revirement de la jurisprudence. Il n’existe par conséquent pas en l’espèce de circonstances spécifiques justifiant que les moyens et les branches des moyens qui n’ont pas été invoqués dans la requête mais qui revêtent un caractère d’ordre public et sont soulevés dans le dernier mémoire soient néanmoins considérés comme irrecevables.
V.1. Premier moyen
Dans son arrêt n° 240.013, précité, le Conseil d’État a jugé que ce premier moyen n’était pas recevable mais qu’en tant qu’il invoque une violation de la directive 2002/30/CE, à supposer qu’il soit recevable à cet égard, il se confond avec le cinquième moyen et doit être examiné avec ce dernier.
V.2. Deuxième moyen
Dans son arrêt n° 240.013, précité, le Conseil d’État a jugé que ce deuxième moyen n’était pas fondé. Toutefois, il a décidé de rouvrir les débats compte tenu de la circonstance que, dans son dernier mémoire, la partie requérante demande que trois questions préjudicielles soient posées à la Cour Constitutionnelle.
V.2.a. Thèse de la partie requérante
Les trois questions préjudicielles que la partie requérante demande de poser à la Cour constitutionnelle sont ainsi rédigées:
"1. Les articles 33, 7°, b), 35, 37, 38, 39bis et 40bis de l’ordonnance du 25 mars 1999 relative à la recherche, la constatation, la poursuite et la répression
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des infractions en matière d’environnement qui distraient le justiciable du juge correctionnel pour le soumettre au jugement de l’administration et du Conseil d’État, violent-ils les articles 12 et 13, de la Constitution ?; 2. Les articles 33, 7°, b), 35, 37, 38, 39bis et 40bis de l’ordonnance du 25 mars 1999 relative à la recherche, la constatation, la poursuite et la répression des infractions en matière d’environnement interprétés comme permettant à l’I.B.G.E. et au Collège d’environnement de la RBC d’infliger des amendes administratives qui, en réalité, ont le caractère d’une peine, violent-ils les articles 12, 13, 110 et 144 de la Constitution ?; 3. Les articles 33, 7°, b), 35, 37, 38, 39bis et 40bis de l’ordonnance du 25 mars 1999 relative à la recherche, la constatation, la poursuite et la répression des infractions en matière d’environnement violent-ils les articles 12, 13 et 110 et 144 de la Constitution, le cas échéant lus en combinaison, avec les articles 10 et 11 de la Constitution, et le cas échéant avec l’article 6 de la CEDH et l’article 14 du P.I.D.C.P., en ce que le délit visé à l’article 33 de l’ordonnance est punissable d’une amende administrative qui revêt la nature d’une peine et contre laquelle le seul recours juridictionnel ouvert est un recours en suspension et en annulation auprès du Conseil d’État ?".
V.2.b. Appréciation
Le Conseil d’État s’est déjà prononcé sur ce moyen dans de nombreuses affaires où la partie requérante concernée proposait également de saisir la Cour constitutionnelle de questions préjudicielles formulées en des termes similaires à celles suggérées dans le cadre du présent moyen.
Dans ces affaires, le Conseil d’État a jugé que ces questions préjudicielles ne devaient pas...
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