Décision judiciaire de Conseil d'État, 20 mars 2018

Date de Résolution20 mars 2018
JuridictionVI
Nature Arrêt

CONSEIL D'ÉTAT, SECTION DU CONTENTIEUX ADMINISTRATIF.

LE PRÉSIDENT DE LA VIe CHAMBRE SIÉGEANT EN RÉFÉRÉ

A R R ÊT

nº 241.045 du 20 mars 2018

A.224.768/VI-21.210

En cause : du MONCEAU de BERGENDAL Diana,

ayant élu domicile chez

Me Stéphane RIXHON, avocat, avenue Winston Churchill 253/40 1180 Bruxelles,

contre :

la Région wallonne, représentée par son Gouvernement,

ayant élu domicile chez

Me Laurence RENOY, avocat, boulevard du Midi 29 6900 Marche-en-Famenne.

------------------------------------------------------------------------------------------------------ I. Objet de la requête

Par une requête introduite le 14 mars 2018, Diana du MONCEAU de BERGENDAL sollicite la suspension, selon la procédure d'extrême urgence, de l'exécution de "la décision de saisie de la Région wallonne adoptée le 7 mars 2018 et qui n'a pas encore fait l'objet d'une notification officielle à la partie requérante".

II. Procédure

Par une ordonnance du 14 mars 2018, l'affaire a été fixée à l'audience du 16 mars 2018 à 11 heures.

Le dossier administratif a été déposé.

Le droit visé à l'article 70 et la contribution prévue à l’article 66, 6°, de l'arrêté du Régent du 23 août 1948 déterminant la procédure devant la section du contentieux administratif du Conseil d'État ont été acquittés.

M. David DE ROY, conseiller d'État, Président f.f., a exposé son rapport.

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Me Stéphane RIXHON, avocat, comparaissant pour la partie requérante et Me Laurence RENOY, avocat, comparaissant pour la partie adverse, ont été entendus en leurs observations.

M. Christian AMELYNCK, premier auditeur au Conseil d'État, a été entendu en son avis conforme.

Il est fait application des dispositions relatives à l'emploi des langues, inscrites au titre VI, chapitre II, des lois sur le Conseil d'État, coordonnées le 12 janvier 1973.

III. Exposé des faits utiles à l'examen de la demande

À s'en tenir à la version qu'en donne la requérante, les faits utiles à l'examen de la demande sont les suivants :

" 1. Madame du Monceau est propriétaire d'un grand nombre d'animaux, essentiellement des chiens (environ 100) mais également des moutons, des ânes, des chevaux… Ces animaux vivent en liberté sur ses deux propriétés de Chastre (15 Ha de terrain) et Bousval (30 ares de terrain). Elle passe l'intégralité de son temps à s'occuper de ses animaux et ne fait pas commerce de ceux-ci.

Elle exerce cette activité par amour des animaux depuis plus de 30 ans.

  1. Le 5 mars 2018, le juge d'Instruction Marielle PUFFET du Tribunal de Première Instance du Brabant Wallon rend une «ordonnance autorisant de pénétrer dans un lieu privé» […].

    Cette ordonnance indique notamment que : «Depuis 2009, Madame Diana du Monceau de Bergendael fait l'objet de nombreuses plaintes concernant des infractions récurrentes au bien-être animal, concernant de très nombreux animaux qu'elle recueillerait à son domicile, notamment.

    Les derniers faits ayant été constatés en février 2018, d'une part par la zone de police Orne-Thyle concernant la divagation de chiens autour de la rue Baty de Noirmont, ainsi que la présence d'une quinzaine de chiots enfermés dans une voiture devant le domicile de Madame du Monceau de Bergendael et d'autre part par la SPA Veeweyde qui y a relevé plusieurs chiens qui présenteraient des blessures et des pathologies non soignées ainsi que des animaux sous-alimentés». L'ordonnance indique également que le Dr. Gina Heukeskhoven, ainsi que le cas échéant, - Les membres accrédités du Service Public de Wallonie ainsi que le cas échéant, - Des agents de la zone de police compétente (notamment les membres de la brigade canine) pour les communes de Chastre et de Bousval; - Et avec l'assistance éventuelle d'un serrurier en cas d'absence des occupants ou de refus de ceux-ci de donner accès aux lieux; - D'un vétérinaire praticien, pour procéder sur place aux soins urgents; - D'un service technique compétent pour capturer le ou les animaux; sont autorisés à pénétrer dans les bâtiments et enclos sis à : Rue du Baty-de-Noirmont, 1 à 1450 Chastre et Rue du Sclage, 20 à 1470 Bousval (les deux adresses de Madame du Monceau).

    L'ordonnance est signée uniquement par le juge et pas par son greffier. Elle ne vise pas l'urgence.

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    3. Le 7 mars 2018, sur base de cette ordonnance et contre la volonté de Madame du Monceau, souffrant depuis plusieurs semaines d'une méningite virale […] et d'une blessure au bras droit à la suite d'une agression grave, une équipe composée de fonctionnaires de la Région wallonne, des forces de polices et des membres d'ASBL de protection des animaux s'introduisent chez Madame du Monceau à Bousval à 10h41.

    Juste avant de rentrer dans les lieux, le conseil de Madame du Monceau, contacté par cette dernière, s'entretien brièvement au téléphone avec Madame Heukeskhoven. Il lui indique qu'il lui semble que l'ordonnance du juge d'instruction est irrégulière, notamment au regard de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle du 21 décembre 2017. Il indique également qu'il se rend immédiatement sur les lieux. La perquisition commence immédiatement et le conseil de Madame du Monceau n'arrivera que vers 11h30.

    Dans la propriété et ses 30 ares de terrain, Madame du Monceau accueille environ 77 chiens. Après avoir constaté que l'état général des animaux ne pose pas vraiment de question et qu'ils ne sont ni maltraités ni ne manquent de nourriture […], l'équipe de la Région wallonne procède finalement à la saisie de 57 chiens au motif que : «les conditions de détention (sont) inadéquates – hygiène non acceptables, excréments» et «le grand nombre de chiens non identifiés et non stérilisés alors qu'il n'y a pas de gestion des reproductions».

    Il s'agit de l'acte attaqué dans la présente procédure […].

  2. Le même jour vers 13h30, les agents du SPW se rendent à la propriété de Chastre et constatent la présence d'une vingtaine de chiens et d'animaux de ferme. Il est décidé de saisir deux des moutons de Madame du Monceau en raison de «l'absence de tonte depuis plusieurs années provoquant des difficultés à se déplacer et probablement des problèmes de peau». Les chiens ne sont pas saisis.

    Cet acte est attaqué dans un recours introduit à la même date que le présent recours.

  3. Après une série de courriels envoyés par le conseil de la requérante, les décisions querellées sont finalement transmises le vendredi 9 mars 2018 à 18h".

    IV. Premier moyen

    IV.1. Thèse de la requérante

    La requérante soulève un premier moyen, pris de la violation "de la Convention européenne des droits de l'Homme, notamment son article 5 (liberté et sûreté), 6 (procès équitable), 7 (légalité des peines), 8 (vie privée), 9 (liberté de pensée), 13 (recours effectif) et Premier du premier protocole additionnel (respect des biens); de la Constitution, notamment de ses articles 10 et 11 (égalité et non-discrimination, et proportionnalité), 13 (juge attribué par la loi), 15 (inviolabilité du domicile), 16 (propriété), 17 (confiscation des biens), 19 (liberté de pensée), 22 (vie privée), 33, 35 a contrario, 39 et 105 (compétence de l'auteur de l'acte, répartition des compétences entre l'Autorité fédérale et la Région et attribution des compétences administratives), 40 (pouvoir judiciaire), 149 (motivation des jugements); du Code judiciaire, notamment ses articles 168 et 780 (signature des jugements par un greffier, sauf urgence et à peine de nullité); de la loi du 14 août 1986 «relative à la protection et au bien-être des animaux», notamment ses articles 4 (maltraitance sur les animaux), 7 (enregistrement des chiens et des chats), 34, § 2

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    fédéral (compétence du juge de Police), 334 (Région wallonne, violation du domicile) et 36, 3° (infraction pénale sur base de l'article 4), 42 (saisie); du Code de l'environnement wallon, notamment son article D. 145 (perquisition); du Code civil, notamment son article 544 (propriété); de la loi du 29 juillet 1991 «relative à la motivation formelle des actes administratifs»; des principes généraux de droit, notamment les principes d'égalité, de non-discrimination et de proportionnalité, les principes relatifs à l'attribution des compétences, à l'indisponibilité des compétences, à la motivation au fond et en la forme des actes administratifs, à la motivation des jugements et au principe de légalité des peines; de l'absence, l'erreur, l'insuffisance ou la contrariété dans les causes ou les motifs et de l'erreur manifeste d'appréciation".

    Elle le formule comme suit :

    " EN CE QUE l'acte attaqué n'a pu être adopté que parce qu'il se base sur l'exécution d'une ordonnance du juge d'instruction du 5 mars 2018 permettant de s'introduire dans le domicile de la partie requérante;

    QUE sans l'exécution de cet acte, la saisie d'animaux n'aurait pas pu avoir lieu parce que les animaux se trouvaient sur la propriété de la requérante et qu'elle n'a pas donné volontairement l'accès de celui-ci aux agents mentionnés dans l'ordonnance;

    ALORS QUE l'article 15 de la Constitution indique que : «Le domicile est inviolable; aucune visite domiciliaire ne peut avoir lieu que dans les cas prévus par la loi et dans la forme qu'elle prescrit»;

    QUE l'illégalité de l'ordonnance en question entraîne l'illégalité des décisions administratives qui peuvent en découler (en ce sens : Police Liège, div. Huy, 27 février 2017);

    QU'il est démontré ci-dessous que l'ordonnance du 5 mars 2018 viole plusieurs dispositions légales et notamment celle qui prévoit que tout acte du juge est identifié de manière authentique par un greffier (alinéa 1er), celle qui règle la répartition des compétences entre les Régions et l'Autorité fédérale (alinéa 2) et celle qui prévoit qu'une perquisition ne peut être autorisée que dans le cadre d'une instruction (alinéa 3);

    Alinéa 1 : Ordonnance non signée par un greffier

    EN CE QUE l'ordonnance du 5 mars 2018 est signée uniquement par Madame le Juge d'Instruction Marielle PUFFET et pas également par un greffier;

    ALORS QUE l'article 168...

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