Décision judiciaire de Conseil d'État, 27 février 2018

Date de Résolution27 février 2018
JuridictionVIII
Nature Arrêt

CONSEIL D'ÉTAT, SECTION DU CONTENTIEUX ADMINISTRATIF.

VIIIe CHAMBRE

A R R Ê T

nº 240.830 du 27 février 2018

  1. 221.167/VIII-10.362

En cause : CROEISAERDT Jordan, ayant élu domicile à la Centrale générale des services publics (CGSP), place Fontainas 9-11 1000 Bruxelles,

contre :

la société anonyme de droit public HR Rail,

ayant élu domicile chez

Mes Chris VAN OLMEN et Vincent VUYLSTEKE, avocats, avenue Louise 221 1050 Bruxelles.

------------------------------------------------------------------------------------------------------ I. Objet de la requête

Par une requête introduite le 6 janvier 2017, Jordan CROEISAERDT demande l'annulation de "la décision prise le 20 octobre 2016, par le Conseil d'appel de la partie adverse, par laquelle la sanction disciplinaire de la suspension de fonction pour une durée de 3 mois, lui est infligée".

II. Procédure

Les mémoires en réponse et en réplique ont été régulièrement échangés.

Mme Laurence LEJEUNE, auditeur au Conseil d'État, a rédigé un rapport sur la base de l'article 12 du règlement général de procédure.

Le rapport a été notifié aux parties.

Les parties ont déposé un dernier mémoire.

VIII - 10.362 - 1/15

Par une ordonnance du 19 janvier 2018, l'affaire a été fixée à l'audience du 23 février 2018. M. Jacques VANHAEVERBEEK, président de chambre, a exposé son rapport.

Le requérant, comparaissant en personne, assisté de Me Monique DETRY, avocat, et Me Vincent VUYLSTEKE, avocat, comparaissant pour la partie adverse, ont été entendus en leurs observations.

Mme Laurence LEJEUNE, auditeur, a été entendue en son avis conforme.

Il est fait application des dispositions relatives à l'emploi des langues, inscrites au titre VI, chapitre II, des lois sur le Conseil d'État, coordonnées le 12 janvier 1973.

III. Faits

1. Le requérant est entré au service de la partie adverse en 2003. Il est accompagnateur de train et a la qualité d'agent statutaire. Il expose qu'au moment des faits, il était délégué syndical, vice-président de la Régionale de Bruxelles du secteur "Cheminots" de la Centrale Générale des Services Publics (CGSP).

  1. Au mois de décembre 2015, les organisations syndicales déposent, en front commun, un préavis de grève annonçant une interruption de travail du mardi 5 janvier 2016 à 22 heures au jeudi 7 janvier 2016 à 22 heures.

  2. Selon les parties, le 21 décembre 2015, sur requête unilatérale de la partie adverse, le Président du Tribunal de première instance francophone de Bruxelles prend une ordonnance interdisant en substance à quiconque d'empêcher l'accès aux installations d'Infrabel.

  3. Le matin du 5 janvier 2016, le requérant laisse entrer dans des bâtiments de la partie adverse en principe interdits au public une équipe de "Zin TV", selon sa version des faits afin de diriger ces personnes vers le service administratif auprès duquel elles pourraient solliciter l'autorisation de le filmer et de l'interviewer, ce qu'en définitive elles n'obtiendront pas. Le soir, le requérant se laisse filmer par cette équipe dans le train dans lequel il termine son service puis interviewer auprès de collègues grévistes.

    VIII - 10.362 - 2/15

    5. Le lendemain, soit le 6 janvier 2016, le requérant participe à un piquet de grève devant l'entrée principale des locaux administratifs d'Infrabel accompagné de son chien. Le requérant expose qu'en début de matinée, un huissier de justice agissant pour le compte d'Infrabel se présente auprès des grévistes et, dans le souci de trouver une solution raisonnable pour chacune des parties et de garantir la sécurité des voyageurs, convient avec eux d'un modus vivendi. L'accord prévoit qu'entre 8 heures 30 et 9 heures, les grévistes laisseront passer les "opérationnels du trafic contrôle" mais pourront bloquer "les administratifs" et les rediriger vers une autre entrée. Après 9 heures, il est convenu que les grévistes pourront rester devant la portée d'entrée pour bloquer l'accès puisqu'à cette heure, tous les employés et ouvriers sont censés être arrivés sur leur lieu de travail.

    Vers 9 heures 15, un membre du personnel appartenant au rôle linguistique néerlandophone, Madame S. G., se voit refuser l'accès aux bâtiments. Le requérant, qui à ce moment se trouve à l'avant du piquet de grève, s'adresse à cet agent et lui dit en substance, en néerlandais, qu'elle devrait prendre soin de son futur bébé et rester à la maison au lieu de venir travailler. Plus tard dans la journée, cette dame déclarera, au moyen d'un formulaire D233, qu'un gréviste participant au piquet de grève l'a agressée verbalement et l'a poussée à hauteur du ventre alors qu'elle est enceinte.

    À peu près au même moment, le requérant redirige également vers l'entrée de la rue Bara deux ou trois autres personnes qui seront ultérieurement identifiées comme des consultants extérieurs.

    Quelques instants plus tard, l'accès aux bâtiments est refusé à Monsieur B., directeur. L'huissier de justice présent décide alors de signifier au requérant l'ordonnance du Président du Tribunal de première instance francophone de Bruxelles. Ce dernier prend alors le parti de quitter les lieux.

    Plus tard dans la journée, le requérant, toujours accompagné de son chien, se rend avec une équipe de la RTBF sur le site "Forest Voiture et Atelier", où se trouvent d'autres grévistes. Il se laisse à nouveau filmer et interviewer.

  4. Le 9 janvier, la RTBF diffuse les images tournées le 6 janvier dans le cadre d'un reportage intitulé "Gilles le Suisse découvre la grève".

  5. Ayant plusieurs reproches à lui adresser quant à son comportement, la partie adverse charge le service d'inspection d'interroger le requérant. Celui-ci est ainsi entendu une première fois le 26 janvier 2016 puis à nouveau le 18 février 2016,

    VIII - 10.362 - 3/15

    pour des faits relevant, selon la partie adverse, de "Présomption d'actes contre la sécurité ferroviaire, d'actes de violence lors d'un piquet pendant les grèves du 5 au 7 janvier 2016, d'introduction non autorisée d'équipes de télévision dans les installations ferroviaires et de propos injurieux tenus sur le réseau Facebook". Un rapport disciplinaire est établi le 3 mars 2016.

  6. Le 11 avril 2016, le supérieur hiérarchique du requérant, Monsieur H. G., premier chef instructeur, propose qu'il soit puni de la suspension de fonctions pour une durée de trois mois, pour les faits suivants : - "Actes de violence lors du piquet de grève présent au 159 de la rue de l'Instruction le 06 janvier 2016 : avoir empêché physiquement plusieurs membres des Chemins de Fer belges de pénétrer sur leur lieu de travail et agressé verbalement une collègue de travail enceinte".

    - "En date du 05 janvier 2016, avoir facilité l'introduction de personnes étrangères aux Chemins de fer belges dans les installations ferroviaires dont l'accès est interdit au public sans autorisation préalable, à savoir les membres d'une équipe de reportage de ZinTV dans la salle des gardes de votre dépôt".

    - "En date du 06 janvier 2016, avoir facilité l'introduction de personnes étrangères aux Chemins de fer belges dans les installations ferroviaires dont l'accès est interdit au public sans autorisation préalable, à savoir une équipe de la RTBF qui, à cette occasion, vous a interviewé et filmé dans l'enceinte de Forest.

    Or, vous êtes tenu de signaler à l'agent compétent ou responsable tout fait pouvant compromettre la sécurité, la régularité du service ou les intérêts des Chemins de fers belges. […] En outre, comme notamment stipulé dans le code de bonne conduite de la SNCB, en dehors des membres de l'équipe de communication externe, les membres du personnel ne sont pas autorisés à réagir aux questions posées par la presse, sans autorisation expresse et doivent par ailleurs contribuer positivement à l'image et à l'identité de l'entreprise".

  7. Le 2 mai 2016, la sanction proposée est prononcée à l'encontre du requérant, qui la conteste.

  8. Le 20 octobre 2016, le requérant est entendu par le conseil d'appel assisté d'un représentant syndical.

  9. Le jour même, l'instance de recours prend la décision de maintenir la sanction disciplinaire de la suspension de fonctions pour une durée de trois mois, aux termes d'une décision ainsi motivée : " […]

    Vu les pièces du dossier, en ce compris celles déposées par la défense le 10 octobre 2016 et à l'audience du 20 octobre 2016;

    Ouï : - le greffier-rapporteur, Madame [L. N.], et son exposé; - l'appelant dans ses moyens de défense; - le défenseur de l'appelant, M. [E. M.], agent de sécurité spécialisé; - le chef immédiat de l'appelant, M. [G. H.], 1er chef instructeur accompagnement;

    Après en avoir délibéré et avoir procédé au vote secret;

    VIII - 10.362 - 4/15

    Attendu que les faits, tels que repris au P255A, sont établis;

    Attendu que la proposition de sanction est conforme aux dispositions réglementaires;

  10. Attendu que le 06 janvier 2016, l'appelant s'est rendu coupable d'actes de violence lors d'un piquet de grève au 159 de la rue de l'Instruction, qu'il a empêché physiquement au moins un membre des Chemins de Fer belges de pénétrer sur son lieu de travail, et qu'il a agressé au moins verbalement Madame [S. G.], une collègue de travail enceinte;

    Attendu que ces faits sont considérés comme établis...

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