Décision judiciaire de Conseil d'État, 28 février 2018

Date de Résolution28 février 2018
JuridictionVI
Nature Arrêt

CONSEIL D'ÉTAT, SECTION DU CONTENTIEUX ADMINISTRATIF.

VIe CHAMBRE

A R R Ê T

nº 240.831 du 28 février 2018

A.215.292 /VI–20.384

En cause : 1. MAJON Michel, 2. la société privée à responsabilité limitée CENTRE DENTAIRE MEISER,

ayant élu domicile chez

Me Augustin DAOUT, avocat, rue de Stassart 99 1050 Bruxelles,

contre :

l'État belge, représenté par la Ministre des Affaires sociales et de la Santé publique,

ayant élu domicile chez

Mes Pierre SLEGERS et

Sarah BEN MESSAOUD, avocats, place Flagey 18 1050 Bruxelles.

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I. Objet de la requête

Par une requête introduite le 13 mars 2015, Michel MAJON et la société privée à responsabilité limitée CENTRE DENTAIRE MEISER sollicitent l'annulation de "l'arrêté royal du 2 octobre 2014 modifiant, en ce qui concerne certaines prestations dentaires, l'article 6 de l'annexe de l'arrêté royal du 14 septembre 1984 établissant la nomenclature des prestations de santé en matière d'assurance obligatoire soins de santé et indemnités".

II. Procédure

Un arrêt n° 238.205 du 16 mai 2017 a rouvert les débats et a chargé le membre de l'auditorat, désigné par l'Auditeur général, de déposer un rapport complémentaire.

Cet arrêt a été notifié aux parties.

M. Eric THIBAUT, premier auditeur chef de section au Conseil d'État, a rédigé un rapport sur la base de l'article 13 du règlement général de procédure.

Le rapport a été notifié aux parties.

Les parties ont déposé des derniers mémoires.

Par une ordonnance du 16 octobre 2017, l'affaire a été fixée à l'audience du 22 novembre 2017 à 10 heures.

M. David DE ROY, Conseiller d'État, a exposé son rapport.

Me Mathieu DEKLEERMAKER, loco Me Augustin DAOUT, avocat, comparaissant pour les parties requérantes, et Me Sarah BEN MESSAOUD, avocat, comparaissant pour la partie adverse, ont été entendus en leurs observations.

M. Eric THIBAUT, Auditeur général adjoint, a été entendu en son avis conforme.

Il est fait application des dispositions relatives à l'emploi des langues, inscrites au titre VI, chapitre II, des lois sur le Conseil d'État, coordonnées le 12 janvier 1973.

III. Faits

Les faits utiles à l'examen du recours sont exposés par l'arrêt n° 238.205, prononcé le 16 mai 2017 en la présente cause. Il y a lieu de s'y référer.

IV. Deuxième moyen

IV.1. Thèse des requérants

A. Requête

Les requérants soulèvent un deuxième moyen, "pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, du principe d'égalité et de non-discrimination, des principes de bonne administration, dont le principe général de proportionnalité, de l'erreur dans les motifs de l'acte, de l'excès de pouvoir, du défaut de moyens

admissibles et pertinents". Ils le formulent comme suit :

" En ce que l'arrêté litigieux traite de manière différente les prestataires de soins dentaires selon l'organisation de leur cabinet et la publicité qu'ils en font, sans justification objective.

Alors que toutes les personnes se trouvant dans des situations comparables doivent être traitées de manière semblable.

Selon la formule classique, les règles constitutionnelles de l'égalité et de la non-discrimination n'excluent pas qu'une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant que cette différence de traitement repose sur un critère objectif, raisonnablement justifié. L'existence de cette justification doit s'apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée. Or, comme les parties requérantes ont eu l'occasion de le développer dans leur premier moyen, elles ne voient pas quel est le but de l'arrêté attaqué.

Le principe d'égalité est également violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens mis en oeuvre par les pouvoirs publics et le but visé.

En vertu de l'arrêté du 2 octobre 2014, il est désormais interdit aux praticiens qui exercent dans des cabinets dentaires d'utiliser les codes INAMI pour les suppléments d'honoraires lorsqu'ils : 1) organisent l'offre de soins de telle manière qu'ils arrivent à être opérationnels entre 21h et 8h du matin ainsi que les week-ends;

2) rendent publique cette offre de soins dépassant les horaires «normaux» de prestations.

Cette interdiction n'est cependant pas applicable si ces mêmes praticiens exercent leur art dans le cadre d'un service de garde au sens de l'article 9, §§ 1er et 2, de l'arrêté royal n° 78 du 10 novembre 1967 relatif à l'exercice des professions des soins de santé.

Les parties requérantes s'interrogent également sur le fondement de cette exception.

Ainsi, lorsqu'un dentiste, qui n'est pas inclus dans le service de garde, effectue une prestation technique urgente en dehors des heures normales de consultation et à condition que ce praticien n'ait pas informé ses patients qu'il est disponible 24h/24 et qu'il ne se soit pas organisé afin d'être disponible à tout moment à effectuer ce genre de prestations, il pourra toujours utiliser les codes pour les suppléments d'urgence.

Selon les parties requérantes, l'arrêté attaqué crée deux différences de traitement illégales : 1) Une différence de traitement entre les dentistes en ce qu'ils officient, ou non, dans un cabinet organisé pour accueillir des patients en dehors des heures normales de prestations, et dont le public est averti;

2) Une différence de traitement entre les prestations mêmes qui, alors qu'elles sont totalement comparables sur le plan médical, n'ouvriront pas le droit à un même remboursement en raison de l'organisation affichée de l'offre de soins des prestataires.

En ce qui concerne la première différence de traitement soulevée par les parties requérantes, les dentistes qui effectuent des prestations techniques urgentes après 21 heures, le week-end ou les jours fériés, se trouvent dans des situations comparables qu'ils officient dans un cabinet ouvert 24 heures sur 24 ou non. Ils doivent dès lors être traités de manière semblable.

Il est étonnant d'interdire aux dentistes et aux centres dentaires organisés de telle façon qu'ils sont, en réalité, ouverts 24h/24, d'utiliser des codes de suppléments d'honoraires uniquement en raison de leur organisation interne et publique.

Les urgences dentaires ne peuvent être considérées comme étant différentes uniquement en raison de l'organisation publiquement communiquée des centres dentaires pour pouvoir justifier une telle différence de traitement.

Ainsi, soit la prestation de soin est objectivement urgente et devrait permettre

l'utilisation de code adéquat, soit elle ne l'est pas et l'utilisation de tels codes doit être interdite.

Les requérants n'aperçoivent pas en quoi cette différence de traitement est objectivement justifiée en l'espèce, de telle sorte que les dispositions de l'arrêté violent les règles visées au moyen.

En ce qui concerne la seconde différence de traitement mise en avant par les parties requérantes, il ne peut être contesté que les prestations techniques d'urgence dentaire sont médicalement identiques qu'elles soient prestées par un cabinet fermé à partir de 21h ou le week-end ou par un cabinet ouvert 24h/24.

Ces prestations réclament également un traitement similaire et donc devraient ouvrir le même droit au remboursement des prestations, quel que soit le dentiste qui l'effectue.

Les requérants s'interrogent également sur la pertinence des critères de distinction choisis par la partie adverse en ce qu'il prévoit que l'interdiction pour un praticien dentiste de demander un supplément d'honoraires pour des prestations techniques urgentes ou pour des consultations urgentes lorsqu'il s'organise pour pouvoir accueillir les urgences après 21 heures, le week-end ou les jours fériés en ce que cette organisation doit avoir été rendue publique [sic].

Or, le centre dentaire Meiser ne possédant aucun site internet, ne procède à aucune forme de publicité de ses heures d'ouverture, si ce n'est le bouche à oreilles de ses patients.

Le critère choisi par la partie adverse est impraticable puisqu'il revient aux prestataires de soins de contrôler concrètement la connaissance d'une offre de soins par les patients. Il apparaît dès lors totalement déraisonnable et disproportionné de justifier une différence de traitement sur des considérations dont les requérants n'ont absolument aucune maîtrise.

Le moyen doit être déclaré fondé".

B. Mémoire en réplique

Les requérants font valoir ce qui suit :

" 1. À la lecture du mémoire en réponse de la partie adverse, il convient de souligner l'ambiguïté des termes utilisés dans l'acte attaqué pour désigner les dentistes qui ne pourront plus se voir accorder les suppléments d'honoraires pour les situations d'urgence et l'interprétation qui pourrait être fait de ces termes.

Les termes utilisés par la partie adverse dans l'acte attaqué à savoir : «(...) lorsque l'offre de soins telle que rendue publique est organisée en sorte de couvrir les plages horaires définies aux alinéas 1 et 2 du présent paragraphe» apparaissent donc comme étant beaucoup trop vagues.

Le mémoire de la partie adverse ajoute également à cette ambiguité puisqu'elle interprète les conditions de l'exception en indiquant qu'il s'agit soit de «dentiste qui, pour des raisons personnelles, a décidé d'être habituellement disponible pendant les périodes mentionnées», soit «le dentiste qui preste habituellement la nuit et le week-end», soit «le dentiste qui exerce habituellement ses activités (...)». Les requérantes s'interrogent sur ces considérations qui semblent faire apparaître un nouveau critère, alors absent des termes mêmes de l'acte attaqué, à savoir le critère d'une pratique régulière et/ou de manière habituelle. De telles considérations ne reposent sur aucun élément du dossier administratif et s'apparentent à des arguments de post-justification.

  1. Les requérantes maintiennent que la rédaction plus qu'indécise de l'acte attaqué conduit à créer une différence de traitement discriminatoire.

    Ainsi...

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