Décision judiciaire de Conseil d'État, 9 février 2018

Date de Résolution 9 février 2018
JuridictionVI
Nature Arrêt

CONSEIL D'ÉTAT, SECTION DU CONTENTIEUX ADMINISTRATIF.

LE PRÉSIDENT DE LA VIe CHAMBRE SIÉGEANT EN RÉFÉRÉ

A R R ÊT

nº 240.700 du 9 février 2018

A.224.185/VI-21.160

En cause : la société SA ASTILLEROS GONDAN,

ayant élu domicile chez

Me Nele VERCRUYSSE, avocat, Beneluxpark 15 8500 Kortrijk,

contre :

l'Etat belge, représenté par le Ministre de la Défense.

Requérante en intervention :

la société anonyme de droit espagnol CONSTRUCCIONES NAVALES P. FREIRE,

ayant élu domicile chez

Me Ciska SERVAIS, avocat, posthofbrug 6 2600 Anvers.

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I. Objet de la requête

Par une requête introduite le 8 janvier 2018, la société SA ASTILLEROS GONDAN sollicite la suspension, selon la procédure d'extrême urgence, de l'exécution de "la décision du Ministère de Défense, sans date, incluant l'attribution du marché pour l'acquisition d'un nouveau navire de recherche océanographique (RV) pour le Service Publique de Programmation Politique Scientifique à Freire Shipyard selon le cahier des charges CSCh MRMP-N/P N°17NP002".

II. Procédure

Par une ordonnance du 9 janvier 2018, l'affaire a été fixée à l'audience du 30 janvier 2018 à 10 heures 30.

La note d'observations et le dossier administratif ont été déposés.

Par une requête introduite le 26 janvier 2018, la société anonyme de droit espagnol CONSTRUCCIONES NAVALES P. FREIRE demande à être reçue en qualité de partie intervenante.

Les droits visés à l'article 70 de l'arrêté du Régent du 23 août 1948 déterminant la procédure devant la section du contentieux administratif du Conseil d'État ont été acquittés.

M. David DE ROY, conseiller d'État, Président f.f., a exposé son rapport.

Me Nele VERCRUYSSE, avocat, comparaissant pour la partie requérante, M. Mathieu FONTAINE, lieutenant, Pierre DE BLOCK et Bjorn VANHUYSSE, captaines, comparaissant pour la partie adverse, et Mes Stéphane VAN MOORLEGHEM, Iwein MOORKENS et Philippe VAN WESEMAEL, loco Me Ciska SERVAIS avocat, comparaissant pour la partie requérante en intervention, ont été entendus en leurs observations.

Mme Nathalie VAN LAER, premier auditeur au Conseil d'État, a été entendue en son avis conforme.

Il est fait application des dispositions relatives à l'emploi des langues, inscrites au titre VI, chapitre II, des lois sur le Conseil d'État, coordonnées le 12 janvier 1973.

III. Exposé des faits utiles à l'examen de la demande

1. Des avis publiés au Bulletin des adjudications, le 12 juin 2017 (réf. BDA-2017-518360), et au supplément au Journal officiel de l'Union européenne, le 16 juin 2017 (réf. 2017/S 114-230521) annoncent la passation, par la partie adverse, d'un marché public de fournitures, référencé 17NP002, ayant pour objet "l'acquisition d'un nouveau navire de recherche océanographique (RV) pour le Service Public de Programmation Politique scientifique " est publié dans le Bulletin des Adjudications.

Le mode de passation retenu est l'appel d'offres ouvert.

  1. Ainsi que cela ressort du point 4 du cahier spécial des charges, l'un des critères retenus pour apprécier la capacité technique des soumissionnaires est libellé comme suit:

    " Capacités techniques – liste des principales livraisons effectuées au cours des trois dernières années

    Au cours des trois dernières années (2014-2015-2016), le candidat a fait au moins une fois fonction de contractant principal dans le cadre de la conception, la construction et la réception d'un navire de services spécialisés (notation de classe SPS – Special Purpose Ship) avec une longueur minimale de 65 mètres.

    Il démontrera ceci après [sic] du Pouvoir Adjudicateur en présentant une liste des principales livraisons de navires de services spécialisés, indiquant le montant, la longueur et la date et des destinataires de droit public auxquelles elles étaient destinées. Les livraisons sont démontrées par des attestations émises ou contresignées par l'autorité compétente ou, à défaut, par une déclaration du fournisseur".

    Par ailleurs, le point 7 de ce même cahier spécial des charges identifie et pondère comme suit les critères d'attribution du marché:

    "

    ".

  2. Le 22 septembre 2017, lors de la séance d'ouverture des offres, 7 offres sont reçues, dont celles de la requérante et de l'intervenante.

  3. Un rapport d'attribution des offres établi le 8 novembre 2017 propose d'attribuer le marché à la société FREIRE SHIPYARD [lire SA CONSTRUCCIONES NAVALES P. FREIRE].

    Par une décision non datée, mais communiquée à la requérante par un courrier et un courriel du 22 décembre 2017, la partie adverse attribue le marché litigieux à la société SA CONSTRUCCIONES NAVALES P. FREIRE. Il s'agit de l'acte attaqué. Le motif de cet acte sur lequel repose plus particulièrement la décision de la partie adverse que ce soumissionnaire satisfait au critère de capacité technique cité au point 1 du présent exposé des faits, est libellé comme suit:

    " Le soumissionnaire à, conforme [sic] à l'Art 71, 3° de l'AR1 remis une liste des fournitures principales qui ont été livrées lors des trois dernières années (2014, 2015, 2016). La liste satisfait aux exigences minimales c.à.d. la conception, la construction et la réception d'un navire de services spécialisés (notation de classe SPS – Special Purpose Ship) avec une longueur minimale de 65m".

    IV. Intervention

    Par une requête introduite le 26 janvier 2018, la société SA CONSTRUCCIONES NAVALES P. FREIRE demande à intervenir dans la procédure en référé d'extrême urgence.

    En tant qu'attributaire du marché public litigieux, elle a un intérêt suffisant à intervenir dans le cadre de la présente procédure. Il y a lieu d'accueillir cette requête.

    V. Confidentialité

    La requérante demande que soit maintenue la confidentialité de son offre qu'elle dépose, celle-ci étant la pièce n° 4 de son dossier.

    La partie adverse dépose sept pièces inventoriées comme confidentielles, à savoir les offres de la requérante et de l'intervenante (pièces nos 1 et 2), les

    clarifications apportées par chacune d'entre elles (pièces nos 3 et 4), un document

    contenant la rectification d'une erreur matérielle commise par la requérante (pièce n° 5), le "Rapport d'évaluation technico-opérationnel et logistique" (pièce n°6) et le "Rapport d'attribution" (pièce n° 7).

    L'intervenante dépose également la pièce n° 4 de son dossier à titre confidentiel et demande, par ailleurs, que soit maintenue la confidentialité de son offre déposée par la partie adverse.

    Au terme des débats tenus en la présente cause, il apparaît que la divulgation de ces pièces n'est, à ce stade, pas nécessaire à la solution du litige. Il y a donc lieu d'en maintenir provisoirement la confidentialité.

    Ceci n'empêche pas de constater qu'à l'audience du 30 janvier 2018, l'un des représentants de la partie adverse s'est expressément référé à l'une des données contenues dans le rapport d'attribution, à savoir, dans le tableau récapitulatif d'examen de la capacité des soumissionnaires, la mention – figurant au regard de l'exigence de fourniture d'au moins un navire de services spécialisés d'une longueur minimale de 65 mètres au cours des années 2014, 2015 et 2016 – selon laquelle l'intervenante satisfait à cette exigence, mention assortie de la précision selon laquelle le navire pris en considération a été construit en 2016 ("OK gebouwd in 2016").

    VI. Premier moyen

    VI.1. Thèses des parties

    A. Requête

    La requérante soulève un premier moyen, pris de la violation des articles 2 et 3 de la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs, de l'article 4 de la loi du 17 juin 2013 relative à la motivation, à l'information et aux voies de recours en matière de marchés publics, de certains marchés de travaux, de fournitures et de services et de concessions, de l'article 5 de la loi du 15 juin 2006 relative aux marchés publics et à certains marchés de travaux, de fournitures et de services, et de l'article 32 de la Constitution coordonnée. Elle le formule comme suit:

    " Il ressort de la jurisprudence que pour satisfaire aux dispositions des articles 2 et 3 de la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs la motivation dans la décision doit mentionner les considérations en droit et en fait qui ont présidé à la décision d'attribution du marché.

    Ceci implique que cette motivation:

    - doit figurer dans ou en annexe de la décision d'attribution. Ainsi, "afin d'apprécier la légalité de l'acte attaqué au regard de la loi du 29 juillet 1991 précitée, il y a lieu de n'avoir égard qu'aux motifs exprimés dans l'acte lui-même ; que des développements relatifs à des critères d'attribution du marché ou à des qualités de telle ou telle offre, contenus dans les écrits de procédure, constituent une motivation a posteriori de l'acte attaqué et ne peuvent être retenus";

    - doit être suffisante de manière à permettre à la personne intéressée de comprendre les motifs pour lesquels son offre n'a pas été retenue, de comprendre les raisons concrètes de la désignation de l'offre jugée la plus intéressante (et notamment dans quelle mesure ont été pris en compte les critères d'attribution) et d'évaluer dûment s'il est sensé de s'opposer à la décision avec tous les moyens que le droit met à sa disposition ;

    - doit être pertinente mais peut être sommaire et ne doit pas nécessairement exposer les motifs des motifs;

    - peut être faite "par renvoi" mais n'est acceptable que si les pièces auxquelles il est ainsi renvoyé sont elles-mêmes communiquées à la partie concernée et le renvoi à des pièces du dossier interne auquel une partie requérante n'a pas accès ne répond pas à l'obligation de motivation formelle;

    - doit résulter d'un examen minutieux et circonstancié des mérites respectifs des offres, spécialement par rapport aux critères fixés dans le cahier spécial des charges

    .

    […]

    La motivation comme légalement prévue est essentielle pour le respect de la protection juridique des soumissionnaires qui ne se...

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