Décision judiciaire de Conseil d'État, 1 août 2017

Date de Résolution 1 août 2017
JuridictionVI
Nature Arrêt

CONSEIL D'ÉTAT, SECTION DU CONTENTIEUX ADMINISTRATIF.

VIe CHAMBRE

A R R Ê T

nº 238.905 du 1er août 2017

A.217.396/VI-20.634

En cause : la société anonyme ACH CONSTRUCT,

ayant élu domicile chez

Me Christian LEPAFFE, avocat, avenue de la Floride 26 1180 Bruxelles,

contre :

la société coopérative à responsabilité limitée Fonds du logement de la Région de Bruxelles-Capitale,

ayant élu domicile chez

Me Jean-Marc WOLTER, avocat, avenue de la Couronne 340 1050 Bruxelles.

------------------------------------------------------------------------------------------------------ LE CONSEIL D'ETAT, VIe CHAMBRE,

I. Objet de la requête

Par une requête introduite le 28 octobre 2015, la société anonyme ACH CONSTRUCT demande l'annulation :

" 1. [de] la décision, prise par le conseil d'administration de la partie adverse, en séance du 25 juin 2015, de : «- (...) retirer la décision adoptée par lui lors de sa séance du 28 mai 2015, concernant l'attribution du marché public de travaux relatif à la reconversion d'un site industriel en immeuble de logements (63 unités) sis rue Vandenboogaerde, 10 - 20 et rue de l'Intendant, 156 -160 à B-1080 Bruxelles; - [donner] mandat, avec pouvoir de substitution, à la direction générale du Fonds pour faire prolonger le délai de validité des offres et charger l'auteur de projet de présenter un nouveau rapport d'analyse»;

  1. [et de] la décision prise en sa séance du 27 août 2015 par le conseil d'administration de la partie adverse d'«attribuer par conséquent le marché à la SM THIRAN-VAN LAERE pour un montant de 8.566.290,34 EUR hors TVA» et de donner mandat: «avec pouvoir de substitution, à la direction générale du Fonds pour poser tout acte généralement quelconque, notamment ceux requis par la législation des

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    marchés publics, pour informer les soumissionnaires dont l'offre n 'a pas été retenue et pour conclure et pour exécuter le marché»".

    II. Procédure

    Le dossier administratif a été déposé.

    Les mémoires en réponse et en réplique ont été régulièrement échangés.

    M. Éric THIBAUT, premier auditeur chef de section au Conseil d'État, a rédigé un rapport sur la base de l'article 12 de l'arrêté du Régent du 23 août 1948 déterminant la procédure devant la section du contentieux administratif du Conseil d'État.

    Le rapport a été notifié aux parties.

    Les parties ont, chacune, déposé un dernier mémoire.

    Par une ordonnance du 11 octobre 2016, l'affaire a été fixée à l'audience du 9 novembre 2016 à 10 heures.

    Les droits visés à l'article 70 de l'arrêté du Régent du 23 août 1948 précité ont été acquittés.

    M. Jacques JAUMOTTE, président de chambre, a exposé son rapport.

    Me Christian LEPAFFE, avocat, comparaissant pour la partie requérante, et Me Jean-Marc WOLTER, avocat, comparaissant pour la partie adverse, ont été entendus en leurs observations.

    M. Éric THIBAUT, premier auditeur chef de section, a été entendu en son avis conforme.

    Il est fait application des dispositions relatives à l'emploi des langues, inscrites au titre VI, chapitre II, des lois sur le Conseil d'État, coordonnées le 12 janvier 1973.

    III. Description du contexte du présent recours

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    La première décision attaquée par le présent recours, dans la notification de laquelle il a été précisé que la suspension ou l'annulation de la décision d'attribution pouvait être demandée par voie de recours devant le Tribunal de 1ère instance de Bruxelles, a fait l'objet d'une demande de suspension de son exécution introduite, selon la procédure d'extrême urgence, par la requérante en date du 11 septembre 2015. Cette demande a été rejetée par l'arrêt n° 232.422 du 2 octobre 2015. Il convient de noter que cette première décision, datée du 25 juin 2015, a procédé au retrait de la décision de la partie adverse du 28 mai 2015 attribuant le marché litigieux à la requérante, pour un montant de 8.564.119,01 euros, hors taxe sur la valeur ajoutée, décision du 28 mai 2015 dont la requérante semble avoir été avertie par un courrier daté du 2 juin 2015. À la suite de ce retrait, les différents soumissionnaires ont été invités à prolonger le délai de validité de leur offre afin de permettre à la partie adverse de procéder à un nouvel examen des offres et de prendre une nouvelle décision en la matière.

    La seconde décision attaquée par le présent recours, dans la notification de laquelle il a été précisé que la suspension ou l'annulation de la décision d'attribution pouvait être demandée par voie de recours devant le Tribunal de 1ère instance de Bruxelles, a fait l'objet d'une demande de suspension de son exécution introduite, selon la procédure d'extrême urgence, par la requérante en date du 17 septembre 2015. Cette demande a été rejetée par l'arrêt n° 232.423 du 2 octobre 2015. Il convient de noter que cette seconde décision a été prise par la partie adverse à la suite d'un nouvel examen des offres auquel il a été procédé après le retrait de la première décision d'attribution du marché, prise le 28 mai 2015. Le marché a, cette fois, été attribué à la SM THIRAN – VAN LAERE pour un montant de 8.566.290,34 euros, hors taxe sur la valeur ajoutée.

    IV. Compétence juridictionnelle de la section du contentieux administratif du Conseil d'État

    IV.1. Thèses des parties

    A. Requête

    La requérante expose:

    - d'une part, que les envois recommandés émanant de la partie adverse du 2 juin 2015, accompagnant la décision motivée du 28 mai 2015, et du 1er septembre 2015, accompagnant la décision motivée du 27 août 2015, précisent, l'un comme l'autre, qu'un recours en annulation, tant contre la décision du conseil d'administration du

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    28 mai 2015 que contre la décision du 27 août 2015, doit être introduit à peine d'irrecevabilité dans les 60 jours après la notification et que l'instance de recours compétente est le tribunal de première instance de l'arrondissement judiciaire de Bruxelles; - et, d'autre part, que, par son arrêt n° 230.568 prononcé le 17 mars 2015, en une cause intéressant la partie adverse également dans le cadre d'un recours dirigé contre une décision d'attribution d'un marché public, le Conseil d'État, saisi d'un déclinatoire de compétence, a relevé que la partie adverse n'était pas une personne morale de droit public mais un organisme de droit privé, et ce, après avoir relevé que la consécration législative de l'existence de la partie adverse par l'article 111 du Code bruxellois du Logement a pour effet de l'émanciper, à tout le moins partiellement, du régime de droit commun applicable aux sociétés coopératives à responsabilité limitée, que les articles 112 et 113 du même Code organisent un mode de dévolution et d'encadrement de missions de service public étranger à ceux que les pouvoirs publics mettent en œuvre lorsqu'ils entendent associer à leur action des personnes privées, que l'article 118 du même Code soumet la partie adverse à un contrôle qui ne semble pas compatible avec les modalités de fonctionnement d'organismes de droit privé, lesquelles doivent, sauf à dénaturer ces organismes - être gouvernées par le principe de la liberté d'association, et a jugé que, nonobstant la forme juridique sous laquelle elle est constituée, la partie adverse ne peut être considérée comme une personne morale de droit privé mais doit être qualifiée d'autorité administrative, sans qu'il soit nécessaire de déterminer si elle peut prendre des décisions obligatoires à l'égard des tiers.

    En conséquence, la requérante estime que la section du contentieux administratif du Conseil d'État est bien compétente pour connaître de son recours en annulation.

    B. Mémoire en réponse

    La partie adverse excipe de l'incompétence juridictionnelle de la section du contentieux administratif en exposant que, dans chacune des notes d'observations déposées dans le cadre des procédures en suspension d'extrême urgence, elle a soutenu l'incompétence du Conseil d'État pour connaître de ces demandes, et ce en raison de ce qu'elle n'est pas une autorité administrative au sens de l'article 14, § 1er,

    1. , des lois coordonnées sur le Conseil d'État. Elle estime qu'il en va ainsi, nonobstant les termes de l'arrêt du Conseil d'État n° 230.568 du 17 mars 2015, décidant du contraire, et contre lequel un recours en cassation a été introduit en vue d'obtenir qu'il soit dit pour droit que seuls les tribunaux judiciaires sont compétents.

    VI – 20.634 - 4/20

    La partie adverse considère, en conséquence, que, par souci de cohérence et dans l'attente de l'arrêt qui sera rendu par la Cour de cassation, la partie adverse maintient cette argumentation en sollicitant du Conseil d'État qu'il se déclare incompétent pour connaître des demandes de la partie requérante et que, par souci de simplicité, elle verse au dossier administratif, les deux notes d'observations qu'elle a déposées dans le cadre des procédures initiales en suspension d'extrême urgence, afin de s'y référer expressément à cet égard. En synthèse, les notes d'observations citées par la partie adverse déclinent la compétence juridictionnelle de la section du contentieux administratif pour les motifs suivants : 1°) la partie adverse n'ignore pas les controverses que suscite la jurisprudence de la Cour de cassation sur la notion d'autorité administrative ni le souci du Conseil d'État de maintenir la cohérence du partage de compétences juridictionnelles avec le juge judiciaire; 2°) la partie adverse observe dans la jurisprudence la plus récente, une distinction, d'une part, entre les personnes morales de droit public stricto sensu, créées par la loi et dont la qualité d'autorité administrative paraît échapper aujourd'hui à la controverse, et, d'autre part, les organismes de droit privé qui, même s'ils ont été créés et sont contrôlés par une autorité administrative et même s'ils sont chargés d'une mission de service public, n'ont la qualité d'autorité administrative que dans la mesure où ils ont le pouvoir de prendre unilatéralement des décisions obligatoires à l'égard de tiers; 3°) contrairement...

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