Décision judiciaire de Conseil d'État, 6 juillet 2017

Date de Résolution 6 juillet 2017
JuridictionXIII
Nature Arrêt

CONSEIL D'ÉTAT, SECTION DU CONTENTIEUX ADMINISTRATIF.

LE PRÉSIDENT DE LA XIIIe CHAMBRE SIÉGEANT EN RÉFÉRÉ

A R R Ê T

nº 238.780 du 6 juillet 2017

A. 221.695/XIII-7949

En cause : 1. COUPÉ François, 2. SIMON Monique, 3. GUILLAUME Jacques, 4. la Société privée à responsabilité limitée RIV,

ayant tous élu domicile chez

Me Jacques SAMBON, avocat, rue des Coteaux 227 1030 Bruxelles,

contre :

la Région wallonne,

représentée par son Gouvernement, ayant élu domicile chez Me Bénédicte HENDRICKX, avocat, rue de Nieuwenhove 14 A 1180 Bruxelles. ------------------------------------------------------------------------------------------------------ I. Objet de la requête

Par une requête introduite le 13 mars 2017, François COUPÉ, Monique SIMON, Jacques GUILLAUME et la société privée à responsabilité limitée (S.P.R.L.) RIV demandent, d'une part, la suspension de l'exécution du permis d'urbanisme délivré le 21 novembre 2016 par le fonctionnaire délégué de la Région wallonne pour "la modernisation de l'Escaut, dans sa traversée de Tournai, à la classe CEMT Va" et des travaux annexes et d'autre part, l'annulation du même acte.

II. Procédure

La note d'observations et le dossier administratif ont été déposés.

M. Jean-François NEURAY, premier auditeur chef de section au Conseil d'État, a rédigé un rapport sur la base de l'article 12 de l'arrêté royal du 5 décembre 1991 déterminant la procédure en référé devant le Conseil d'État.

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Le rapport a été notifié aux parties.

Par une ordonnance du 8 juin 2017, l'affaire a été fixée à l'audience du 28 juin 2017 à 10 heures.

M. Michel PÂQUES, conseiller d'État, président f.f., a exposé son rapport.

Me Jacques SAMBON, avocat, comparaissant pour les parties requérantes, et Me Bénédicte HENDRICKX, avocat, comparaissant pour la partie adverse, ont été entendus en leurs observations.

M. Jean-François NEURAY, premier auditeur chef de section, a été entendu en son avis conforme.

Il est fait application des dispositions relatives à l'emploi des langues, inscrites au titre VI, chapitre II, des lois sur le Conseil d'État, coordonnées le 12 janvier 1973.

III. Faits

Le 3 septembre 2015, la direction des voies hydrauliques de l'Escaut de la direction générale opérationnelle de la Mobilité et des Voies hydrauliques de la Région wallonne (DGO2) a introduit une demande de permis d'urbanisme pour la modernisation de l'Escaut dans sa traversée de Tournai à la classe Va en l'assortissant d'une étude d'incidences sur l'environnement.

Pour l'essentiel, le projet consiste à :

- remplacer le "pont à Ponts" ou "pont à Pommes" par un nouvel ouvrage et élargir le fleuve aux quais Saint-Brice et Vifquin;

- rétrécir les quais entre les ponts Delwart et Devallée et intégrer une halte nautique de plaisance, qualifiée de halte évolutive, à hauteur du quai Taille-Pierres;

- remplacer les arches du "pont des Trous" avec intégration de lisses de guidage; - modifier l'alignement aux quais Saint-Brice, Vifquin et Taille-Pierres.

Au plan de secteur de Tournai-Leuze-Péruwelz du 24 juillet 1981, les ouvrages projetés se situent principalement en zone d'habitat et en périmètre d'intérêt culturel, historique ou esthétique.

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Le 23 janvier 2015, la commission royale des monuments, sites et fouilles (C.R.M.S.F.), saisie d'une demande de certificat de patrimoine, a émis de nettes réserves sur les travaux prévus au pont des Trous, monument classé.

L'accusé de réception de la demande est délivré le 17 septembre 2015, après des précisions et des modifications relatives au bardage de la halte nautique, à l'aménagement des quais à hauteur du pont Devallée et au mobilier prévu pour le stationnement des bicyclettes.

Une enquête publique se tient du 23 octobre au 24 novembre 2015 pour les motifs suivants :

- une partie des ouvrages se situe en zone d'espaces verts suivant les prescriptions du plan de secteur de Tournai-Leuze-Péruwelz (article 127, § 3, du Code wallon de l'aménagement du territoire, de l'urbanisme et du patrimoine (CWATUP));

- le revêtement de certains emplacements de stationnement déroge à l'article 402 du même Code au titre du règlement général sur les bâtisses applicable aux zones protégées de certaines communes en matière d'urbanisme ("béton matricé" au lieu de pavés);

- le projet implique des modifications au réseau des voiries communales

(articles 129quater et 330, 9º, du CWATUP); - le pont des Trous est un monument classé (article 330, 12º, du CWATUP).

Les chefs de réclamation peuvent être résumés comme suit :

- les plans assortissant le projet seraient imprécis et lacunaires, ainsi d'ailleurs que l'étude d'incidences;

- les citoyens n'auraient pas été suffisamment associés à la conception du projet; - absence d'examen de la solution alternative consistant à contourner la ville; le passage de péniches de fort gabarit déparerait le patrimoine du centre de Tournai; compte tenu de l'impact paysager du projet, les conditions d'application de l'article 127, § 3, du CWATUP ne seraient pas réunies et le plan de secteur devrait être mis en révision; - crainte de l'alourdissement des charges communales associées au projet; - le projet ferait double emploi avec l'élargissement de la Lys; - incohérence du projet, seuls deux ponts sur quarante-quatre étant mis au gabarit, absence d'étude de l'adéquation des écluses et de concertation avec les autorités françaises; - la "halte évolutive", dont les réclamants aperçoivent mal le contenu, entraverait la navigation et risquerait de provoquer l'envasement; un port de plaisance serait mieux situé à proximité du pont des Trous et du jardin de la Reine;

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- l'élargissement de l'Escaut à hauteur du pont à Ponts ne serait nécessaire que pour les bateaux de classe CEMT Vb et non pour la classe Va comme prévu;

- les emplacements de stationnement prévus sur le même pont nuiraient à l'esthétique du monument;

- la sauvegarde du pont des Trous ne se limiterait pas au choix des matériaux; - la liaison piétonne entre ledit pont et le parc du Jardin de la Reine ne tiendrait pas compte du classement du parc et de la présence probable de vestiges archéologiques; - le rétrécissement des quais ne garantirait pas la circulation en "modes doux"; - les aménagements prévus au pont Delwart créeraient des embarras de circulation; - les travaux au quai Saint-Brice empêcheraient l'accès à certains garages privés; - l'impact socio-économique du chantier ne serait pas pris en compte; - des animations collectives envisagées au quai Sakharov provoqueraient des nuisances sonores nocturnes.

En cours de procédure, les ouvrages prévus au pont des Trous, monument classé, sont dissociés du projet.

Le 25 avril 2016, le conseil communal de la ville de Tournai marque son accord sur la modification des voiries. Deux recours en réformation sont formés contre cette décision qui est confirmée par une décision ministérielle du 14 juillet 2016. Un recours pour excès de pouvoir contre la décision ministérielle est pendant, enrôlé sous les références A. 220.262/XIII-7787.

Le permis d'urbanisme est délivré le 21 novembre 2016.

IV. Recevabilité

IV.1. Thèse de la partie adverse

La partie adverse conteste la recevabilité du recours des troisième et quatrième requérants à défaut pour eux d'établir les droits de propriété dont ils se prétendent titulaires sur des biens sis quai Saint-Brice, nº 11, pour le troisième, et nos 3 et 4, quai Saint-Brice, pour la quatrième.

Elle reproche aussi au quatrième requérant de ne pas établir que son objet social serait affecté par l'acte attaqué.

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IV.2. Examen

Le troisième requérant et la quatrième requérante établissent par des pièces déposées à l'audience qu'ils sont propriétaire ou copropriétaire de biens sis quai Saint-Brice.

Une personne morale propriétaire d'un bien situé à proximité des ouvrages autorisés par l'acte attaqué n'a pas à démontrer que son objet social serait affecté par ceux-ci et a, comme chacun, intérêt au bon aménagement de son quartier.

La fin de non-recevoir est écartée.

V. Conditions du référé

L'article 17 des lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973, dispose comme suit :

" Art. 17. § 1er. La section du contentieux administratif est seule compétente pour ordonner par arrêt, les parties entendues ou dûment appelées, la suspension de l'exécution d'un acte ou d'un règlement susceptible d'être annulé en vertu de l'article 14, §§ 1er et 3, et pour ordonner toutes les mesures nécessaires afin de sauvegarder les intérêts des parties ou des personnes qui ont intérêt à la solution de l'affaire.

Cette suspension ou ces mesures provisoires peuvent être ordonnées à tout moment :

1º s'il existe une urgence incompatible avec le traitement de l'affaire en annulation;

2º et si au moins un moyen sérieux susceptible prima facie de justifier l'annulation de l'acte ou du règlement est invoqué [...]".

VI. La condition de moyen sérieux : premier moyen

VI.1. Thèse des requérants

Les requérants prennent un premier moyen de la violation des articles 127 et 129quater du CWATUP et de l'incompétence de l'auteur de l'acte.

Les requérants observent :

- que l'article 127, § 4...

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