Décision judiciaire de Conseil d'État, 14 juin 2017

Date de Résolution14 juin 2017
JuridictionXV
Nature Arrêt

CONSEIL D’ÉTAT, SECTION DU CONTENTIEUX ADMINISTRATIF

LE PRÉSIDENT DE LA XVe CHAMBRE SIÉGEANT EN RÉFÉRÉ

A R R Ê T

nº 238.519 du 14 juin 2017

220.838/XV-3258

En cause : la s.a. Crédit Immobilier Ouvrier, ayant élu domicile chez

Mes Emmanuel van NUFFEL et Kevin MUNUNGU, avocats, avenue Louise 81 1050 Bruxelles,

contre :

l’Institut des Comptes Nationaux, ayant élu domicile chez

Mes Jean-François DE BOCK et Pascaline MICHOU, avocats, chaussée de Waterloo 612 1050 Bruxelles.

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I. Objet de la requête

Vu la requête introduite le 1er décembre 2016 par la société civile sous forme de société anonyme Crédit Immobilier Ouvrier (C.I.O.) en ce qu’elle tend à la suspension de l’exécution de «la décision du 29 septembre 2016 par laquelle l’Institut des Comptes Nationaux (I.C.N.) la classe dans le secteur des administrations publiques du système européen des comptes nationaux et régionaux dans l’Union européenne (SEC 2010), sous-secteur S.1312 Administrations d’États fédérés».

II. Procédure devant le Conseil d’État

La note d’observations et le dossier administratif ont été déposés.

Mme Geneviève MARTOU, premier auditeur au Conseil d’État, a rédigé un rapport sur la base de l’article 12 de l’arrêté royal du 5 décembre 1991 déterminant la procédure en référé devant le Conseil d’État.

Par une ordonnance du 20 avril 2017, les parties ont été convoquées à l’audience publique du 3 mai 2017 à 9 heures 30 et le rapport leur a été notifié.

M. Michel LEROY, président de chambre, a fait rapport.

Me Emmanuel van NUFFEL, avocat, comparaissant pour le requérant, et Me Jean-François DE BOCK, avocat, comparaissant pour la partie adverse, ont été entendus en leurs observations.

Mme Geneviève MARTOU, premier auditeur, a été entendue en son avis contraire.

Il est fait application des dispositions relatives à l’emploi des langues, inscrites au titre VI, chapitre II, des lois sur le Conseil d’État, coordonnées le 12 janvier 1973.

III. Contexte juridique

Considérant que le contexte institutionnel de la décision attaquée se présente comme suit:

A. Le système européen des comptes nationaux et régionaux

En vue du bon fonctionnement de l’Union économique et monétaire, l’Union européenne s’est dotée d’instruments juridiques d’encadrement de la politique budgétaire des États membres, et notamment d’un outil statistique dénommé «système européen des comptes nationaux et régionaux» («SEC») censé procurer une information comparable sur la structure des économies des États membres et sur leur évolution.

Un premier SEC, dénommé «SEC 95», a été établi par le règlement (CE) n° 2223/96 du Conseil du 25 juin 1996. Il a été remplacé en 2014 par un nouveau SEC, dénommé «SEC 2010» (ci-après «SEC»), qui a été établi par le règlement (UE) n° 549/2013 du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2013 relatif au système européen des comptes nationaux et régionaux dans l’Union européenne.

Le SEC (point 1.57) distingue cinq secteurs institutionnels nationaux qui s’excluent mutuellement, et qui, ensemble, constituent l’économie nationale totale, à savoir: a) les sociétés non financières; b) les sociétés financières; c) les administrations publiques; d) les ménages; e) les institutions sans but lucratif au service des ménages.

Le secteur des administrations publiques (S.13) est divisé entre les soussecteurs «administrations centrales» (S.1311), «administrations d’États fédérés» (S.1312), «administrations locales» (S.1313) et «administrations de sécurité sociale» (S.1314) (point 2.31, tableau 2.1).

Le secteur des administrations publiques est le secteur déterminant pour l’application des normes budgétaires imposées par le Traité de Maastricht. L’appartenance à ce secteur est le point de départ du calcul du déficit public et de la dette publique d’un État membre.

En ce qui concerne les administrations publiques régionales bruxelloises, la norme budgétaire bruxelloise telle que définie par le Conseil supérieur des finances, ajoutée aux normes des autres collectivités fédérées, de l’État fédéral, des institutions de sécurité sociale et des pouvoirs locaux, constitue la norme budgétaire imposée à l’État belge par le droit européen laquelle vise au respect des critères du Traité de Maastricht.

B. L’Institut des Comptes nationaux

En Belgique, c’est l’Institut des Comptes nationaux (I.C.N.) – la partie adverse – qui est chargé d’établir les données statistiques prescrites par le SEC et de les communiquer aux institutions européennes compétentes. Il lui appartient, pour ce faire, de classer les divers acteurs économiques dans les catégories fixées par ce règlement. Il est un établissement public doté de la personnalité juridique et a été créé par la loi du 21 décembre 1994 portant des dispositions sociales et diverses (articles 107 et suivants), en vue de la réforme de l’appareil de statistiques et de prévisions économiques du gouvernement fédéral. L’Institut associe trois institutions désignées par la loi, à savoir l’Institut National de Statistique, la Banque Nationale de Belgique et le Bureau fédéral du Plan. En application de l’article 108 de la loi du 21 décembre 1994, l’I.C.N. a pour mission, avec la collaboration de ces trois institutions mais sous sa propre responsabilité, d’établir des statistiques, analyses et prévisions économiques, et notamment les comptes annuels et trimestriels des administrations publiques et les statistiques relatives à la procédure concernant les déficits excessifs.

Conformément à l’article 109, § 3, de la même loi, l’I.C.N. confie à la Banque nationale, en étroite collaboration avec le Bureau fédéral du Plan, l’élaboration des tableaux statistiques visés à l’article 108, c), de la loi et, pour ce faire, la Banque nationale se base notamment sur des données collectées par l’Institut national de la Statistique et établies par l’I.C.N. L’article 110 de la loi précise que

«l’I.C.N. dirige et coordonne la réalisation des tâches visées à l’article 109 et veille à assurer la collaboration optimale entre les autorités associées».

Les statistiques de finances publiques produites par la B.N.B. pour le compte de l’I.C.N. s’inscrivent dans le cadre des obligations statistiques de la Belgique vis-à-vis de la «Commission (Eurostat)». En vertu du Règlement européen n° 479/2009 du Conseil du 25 mai 2009 relatif à l’application du protocole sur la procédure concernant les déficits excessifs, les États membres ont l’obligation de transmettre à Eurostat les données relatives à la procédure concernant les déficits excessifs (à savoir, le déficit public et le niveau de dette publique du pays).

Ce Règlement a été adopté en application de l’article 126.14, alinéa 3, du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne (T.F.U.E.) (ex-article 104 T.C.E.) en vue de mettre en œuvre le protocole sur la procédure concernant les déficits excessifs, qui est annexé aux traités européens.

C. Le Crédit immobilier ouvrier

La requête expose comme suit la situation du C.I.O.: «18. Le C.I.O. est une entité de droit privé, dont l’actionnariat est majoritairement privé. La Région de Bruxelles-Capitale n’y détient que 16,84 % des parts (et ne dispose donc pas d’une minorité de blocage) et elle n’y exerce, directement on indirectement, aucune fonction de direction.

Exerçant une activité de crédit immobilier dans une finalité sociale (accès des moins favorisés à la propriété de leur logement), il a demandé et obtenu l’agrément de la Région de Bruxelles-Capitale comme société de crédit social, par arrêté ministériel du 19 décembre 2003. 19. Cet agrément n’est pas une condition de l’activité de la société de crédit, ni, plus spécifiquement, d’une activité de crédit à finalité sociale.

Il a pour seule fonction de permettre à la société de crédit de bénéficier de la garantie de la Région de Bruxelles-Capitale pour ses emprunts (Code bruxellois du logement, article 129, § 4, alinéa 1er: “Le Gouvernement apporte en outre sa garantie aux emprunts contractés par les sociétés de crédit social, afin de leur permettre de financer les crédits qu’elles consentent pour l’achat, la construction, la conservation et la transformation d’habitations sociales ou assimilées, aux conditions qu’il fixeˮ).

La garantie appelle par ailleurs plusieurs observations:  Depuis 2012, le C.I.O. emprunte sans la garantie de la Région.  La garantie est générale, fixée globalement pour l’ensemble des sociétés de crédit social agréées par la Région de Bruxelles-Capitale, et limitée, à 50 millions d’euros. Son octroi est encadré aujourd’hui par l’arrêté du Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale du 24 avril 2014 relatif aux sociétés de crédit social.

Par ce mécanisme, la garantie cumulée de la Région de Bruxelles-Capitale sur les emprunts contractés par le C.I.O. est partielle; au 31 décembre 2014, elle portait sur 36.604.535,66 €, ce qui représentait 55,94 % du montant cumulé restant à rembourser de ses emprunts (65.430,228,00 €).

 Par ailleurs, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale a décidé de modifier en profondeur les modalités d’octroi des garanties (projet d’arrêté du gouvernement). L’octroi des garanties sera désormais subordonné au paiement d’une rémunération, fixée sur la base de paramètres économiques objectifs déterminant le profil de risque de l’unité garantie (article 3, § 2, 1°, du

projet), comme le ferait n’importe quelle institution financière. Actuellement, ce mécanisme est fixé par convention formalisant la garantie, sa rémunération et les sûretés consenties à la Région.

 Au niveau du risque de l’activité, la Région de Bruxelles-Capitale garantit en outre à la société de crédit social agréée la bonne fin des crédits qu’elle octroie à ses clients dans les limites fixées par l’arrêté du 24 avril 2014 (article 12, qui limite cette garantie à la différence entre la perte subie par la société après la réalisation de l’immeuble sous...

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