Décision judiciaire de Conseil d'État, 23 mai 2017

Date de Résolution23 mai 2017
JuridictionXI
Nature Arrêt

CONSEIL D'ÉTAT, SECTION DU CONTENTIEUX ADMINISTRATIF

XIe CHAMBRE

A R R Ê T

nº 238.301 du 23 mai 2017

A. 220.133/XI-21.238

En cause : le Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides, ayant élu domicile chez Me Elisabeth DERRIKS, avocat, avenue Louise 522/14 1050 Bruxelles,

contre :

1. XXX, 2. YYY, ayant élu domicile chez Me Charles NTAMPAKA, avocat, place Jean Jacobs 3 1000 Bruxelles.

------------------------------------------------------------------------------------------------------ I. Objet de la requête

1. Par une requête introduite le 25 août 2016, le Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides a sollicité la cassation de l'arrêt n° 172.209 rendu le 20 juillet 2016 par le Conseil du contentieux des étrangers dans les affaires 147.837/V et 148.011/V.

II. Procédure devant le Conseil d’État

2. L’ordonnance n 12.161 du 27 septembre 2016 a déclaré le recours en cassation admissible.

Le dossier de la procédure a été déposé.

Les parties adverses se sont abstenues de déposer un mémoire en réponse. La partie requérante a déposé un mémoire ampliatif.

XI – 21.238 - 1/17

M. Benoit CUVELIER, premier auditeur chef de section au Conseil d’État, a déposé un rapport rédigé sur la base de l’article 16 de l’arrêté royal du 30 novembre 2006 déterminant la procédure en cassation devant le Conseil d’État.

Le rapport a été notifié aux parties.

Une ordonnance du 28 mars 2017 a fixé l’affaire à l’audience de la XIe chambre du 20 avril 2017 à 10 heures.

M. Luc CAMBIER, conseiller d'État, a fait rapport.

Mes Elisabeth DERRIKS et Gregory VAN WITZENBURG, avocats, comparaissant pour la partie requérante, et Me Charles NTAMPAKA, avocat, comparaissant pour les parties adverses, ont été entendus en leurs observations.

M. Benoit CUVELIER, premier auditeur chef de section, a été entendu en son avis contraire.

Il est fait application des dispositions relatives à l’emploi des langues, inscrites au titre VI, chapitre II, des lois sur le Conseil d’État, coordonnées le 12 janvier 1973.

III. Faits utiles à l’examen de la cause

3. Il résulte des constatations faites par le premier juge que la première partie adverse, née le 28 février 1980, de nationalité rwandaise et d’origine ethnique hutue, a été reconnue réfugiée par les autorités mozambicaines le 27 juillet 2007.

Elle déclare être arrivée sur le territoire du Royaume le 2 août 2012. Elle a introduit une première demande d’asile le 3 août 2012 en invoquant des craintes de persécution par rapport au Mozambique. Par une décision du 31 janvier 2013, le Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides a refusé de lui reconnaître la qualité de réfugié et le statut de protection subsidiaire. Le Conseil du contentieux des étrangers a confirmé cette décision par un arrêt n° 106.738 du 15 juillet 2013.

Elle a introduit, le 6 novembre 2013, une seconde demande d’asile sur la base de ses craintes de persécution par rapport à son pays d’origine, le Rwanda. Par une décision du 31 janvier 2014, le Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides a refusé, une nouvelle fois, de lui reconnaître le statut de réfugié et le statut de protection subsidiaire.

XI – 21.238 - 2/17

La seconde partie adverse, née le 23 décembre 1973, est l’époux de la première partie adverse. De nationalité rwandaise et d’origine ethnique hutue, il a déclaré, quant à lui, être arrivé en Belgique le 29 avril 2013. Il a introduit une première demande d’asile le 2 mai 2013, fuyant le Mozambique, pays qui lui a également octroyé le statut de réfugié le 27 juillet 2007. N’ayant pas donné suite à l’invitation à se présenter devant les services de l’Office des étrangers le 8 mai 2013, il est présumé avoir renoncé à sa demande d’asile.

Il a introduit une seconde demande d’asile le 2 juillet 2013. Par décision du 31 janvier 2014, le Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides, examinant ses craintes par rapport à son pays d’origine, le Rwanda, a refusé de lui reconnaître le statut de réfugié et de lui octroyer le bénéfice de la protection subsidiaire.

Les parties adverses ont chacune introduit un recours contre les décisions du 31 janvier 2014 les concernant devant le Conseil du contentieux des étrangers.

Par un arrêt n° 136.728 du 20 janvier 2015, le Conseil du contentieux des étrangers a renvoyé les causes au rôle général au motif que les « présentes affaires soulèvent une question d’unité de jurisprudence ».

Par un arrêt n° 172.209 du 20 juillet 2016, le Conseil du contentieux des étrangers a joint les deux causes et a reconnu la qualité de réfugiés aux parties défenderesses.

Cet arrêt repose essentiellement sur la motivation qui suit :

[...]

7.1. En l'espèce, il est établi que les requérants ont obtenu la reconnaissance de leur qualité de réfugié le 27 juillet 2007 au Mozambique en application de la Convention de Genève.

7.1.1. [...]

7.1.2. Par ailleurs, il n’est plus contesté que le requérant est de nationalité rwandaise contrairement à ce que laisse apparaître de manière indirecte la formulation de la décision attaquée prise à son encontre en ce qu’elle souligne l’absence de production par ce dernier de documents d’identité rwandais.

7.1.3. Au vu de la reconnaissance de la qualité de réfugié des requérants au Mozambique, la question se pose de savoir si ce pays peut être considéré comme "premier pays d’asile" au sens de l’article 48/5, § 4, de la loi du 15 décembre 1980.

[...]

7.1.4. L'article 48/5, § 4, de la loi du 15 décembre 1980 est une disposition

XI – 21.238 - 3/17

dérogatoire au régime commun de l'examen des demandes d'asile au regard des articles 48/3 et 48/4 de la loi du 15 décembre 1980. En l'espèce, au vu de ce qui précède, les conditions pour que cette disposition trouve à s'appliquer ne sont pas remplies dès lors qu'il ne peut être conclu que les requérants puissent être réadmis sur le territoire du Mozambique, outre qu'il n'y a aucune garantie que ce pays respecte le principe du non-refoulement découlant de l'article 33 de la Convention de Genève.

7.1.5. En conséquence, comme le mentionne la partie défenderesse, il convient de revenir au principe de base et d'examiner la demande d'asile des requérants par rapport au pays dont ils ont la nationalité, à savoir le Rwanda.

7.2. L'article 48/3 de la loi du 15 décembre 1980 en son paragraphe premier est libellé comme suit :

"Le statut de réfugié est accordé à l'étranger qui satisfait aux conditions prévues par l'article 1er de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, modifiée par le protocole de New York du 31 janvier 1967". Ledit article 1er de la Convention de Genève précise que le terme "réfugié" s'applique à toute personne "qui craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays".

7.2.1. Les requérants font valoir des craintes tant à l'égard du Rwanda qu'à l'égard du Mozambique. En ce qui concerne les craintes exprimées à l'égard du Mozambique, il faut rappeler que ce pays n'est pas le "premier pays d'asile" des requérants au sens de l'article 48/5, § 4, de la loi du 15 décembre 1980 et qu'il n'y a donc pas lieu d'analyser leur demande d'asile au regard de ce pays. La circonstance que le Conseil ait, dans le cadre de la première demande d'asile de la requérante, examiné sa demande en fonction des craintes exprimées vis-à-vis du Mozambique, ne change pas les conclusions qui précèdent dès lors que l'arrêt n° 106 738, précité, du 15 juillet 2013 a été prononcé avant la modification législative ayant amené au texte actuel de l'article 48/5, § 4, de la loi du 15 décembre 1980.

7.2.2. Dans, le cadre de l'examen des demandes d'asile des requérants, la partie défenderesse doit tenir compte de tous les éléments de la cause. En l'espèce, la circonstance de la reconnaissance de la qualité de réfugié des requérants par le Mozambique est un élément particulièrement important des causes portées devant elle.

7.2.3. A titre préliminaire, le Conseil souligne que la partie défenderesse fait observer dans ses notes d'observations (pages 5 et 6) que "le fait que [...] la [partie] requérante ait été reconnue réfugiée par un autre État n'entraine nullement un transfert ou une confirmation automatique de ce statut. Afin de pouvoir confirmer le statut de réfugié obtenu dans un autre pays, le Commissariat général doit procéder à un examen individuel de la demande d'asile du demandeur. II convient de rappeler que la procédure de confirmation du statut de réfugié est réglementé[e] par des dispositions particulières, les articles 49, § 1er, 6° et 57/6, 3°, de la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers et l'article 93 de l'arrêté royal du 8 octobre 1981 concernant l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers, lesquelles disposent que :

- Article 49, § 1er, 6°, de la loi du 15 décembre 1980 : ‘L'étranger qui, après avoir été reconnu comme réfugié alors qu'il se trouvait sur le

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territoire d'un autre État partie contractante à la Convention internationale relative au statut des réfugiés, a été autorisé par le ministre ou son délégué, à séjourner ou à s'établir dans le Royaume, à condition que sa qualité de réfugié soit confirmée par l'autorité visée au 2° ou 3°’ (Les autorités visées au 2° et 3° sont ‘le Ministre des Affaires étrangères ou l'autorité internationale à laquelle le Ministre a délégué sa compétence’ ainsi que le ‘Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides’).

- L’article 57/6, 3°, de la même loi dispose quant à lui : ‘Le Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides est compétent :

[...]

3° pour confirmer ou refuser de confirmer le statut de réfugié à l’étranger qui satisfait aux conditions...

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