Décision judiciaire de Conseil d'État, 9 mai 2017

Date de Résolution 9 mai 2017
JuridictionVIII
Nature Arrêt

CONSEIL D'ÉTAT, SECTION DU CONTENTIEUX ADMINISTRATIF.

VIIIe CHAMBRE

A R R Ê T

nº 238.118 du 9 mai 2017

A. 217.494/VIII-9875

En cause : XXXX, ayant élu domicile chez Mes Jérôme SOHIER et Maxime CHOMÉ, avocats, avenue Émile De Mot 19 1000 Bruxelles,

contre :

la province de Namur, représentée par son collège provincial, ayant élu domicile chez Me Pierre JOASSART, avocat, boulevard du Souverain 36 1170 Bruxelles.

------------------------------------------------------------------------------------------------------ I. Objet de la requête

Par une requête introduite le 5 novembre 2015, XXXX demande, d'une part, la suspension de l'exécution de "l'arrêté du Collège provincial de la Province de Namur du 8 octobre 2015, le mettant en disponibilité par retrait d'emploi dans l'intérêt du service pour une durée indéterminée" et, d'autre part, l'annulation de cette décision.

II. Procédure

Un arrêt n° 234.012 du 3 mars 2016 a rejeté la demande de suspension et a accordé la dépersonnalisation au requérant. Il a été notifié aux parties.

La partie requérante a demandé la poursuite de la procédure.

Les mémoires en réponse et en réplique ont été régulièrement échangés.

M. Alain LEFEBVRE, premier auditeur au Conseil d'État, a rédigé un rapport sur la base de l'article 12 du règlement général de procédure.

VIII - 9875 - 1/20

Le rapport a été notifié aux parties.

Les parties ont déposé un dernier mémoire.

Par une ordonnance du 21 mars 2017, l'affaire a été fixée à l'audience du 5 mai 2017.

Mme Pascale VANDERNACHT, conseiller d'État, a exposé son rapport.

Le requérant et Me Jérôme SOHIER, avocat, comparaissant pour celuici, et Me Pierre JOASSART, avocat, comparaissant pour la partie adverse, ont été entendus en leurs observations.

M. Alain LEFEBVRE, premier auditeur, a été entendu en son avis conforme.

Il est fait application des dispositions relatives à l'emploi des langues, inscrites au titre VI, chapitre II, des lois sur le Conseil d'État, coordonnées le 12 janvier 1973.

III. Faits

Les faits ont été exposés dans l'arrêt n° 234.012 du 3 mars 2016. Il y a lieu de s'y référer.

IV. Premier moyen

IV.1. Thèse de la partie requérante

Le premier moyen est pris de la violation de la loi du 4 août 1996 relative au bien-être des travailleurs lors de l'exécution de leur travail, plus particulièrement de ses articles 5, 32/2, 32septies et 32tredecies, du règlement provincial relatif à la protection contre la violence et le harcèlement moral ou sexuel au travail, plus particulièrement de ses articles 6 et 7, des articles 1er à 3 de la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs, du défaut de motifs, du défaut de motivation adéquate ainsi que de l'excès de pouvoir.

Le requérant reproche à l'acte attaqué d'avoir modifié unilatéralement ses conditions de travail - puisqu'il a été écarté de son emploi -, alors qu'il avait introduit

VIII - 9875 - 2/20

des plaintes motivées pour des faits de harcèlement moral, qui étaient toujours en cours de traitement par le conseiller en prévention, ce qui constitue une violation de l'article 32tredecies, § 1er, alinéa 2, de la loi du 4 août 1996 précitée.

Selon lui, la mention, dans l'acte attaqué, de ce que "la mise en disponibilité par retrait d'emploi dans l'intérêt du service n'est nullement liée à la demande d'intervention du requérant", est une clause de style qui n'explicite rien. Au contraire, il estime que la motivation de l'acte attaqué suivant laquelle "il ressort des éléments susmentionnés que le maintien de XXXX dans ses fonctions serait de nature à nuire gravement à l'intérêt du service, d'une part, en ce qui concerne la collaboration essentielle entre la province de Namur et XXXX, dont la détérioration est de nature à mettre en cause les activités du XXXX, et, d'autre part, en ce qui concerne les relations entretenues avec les agents occupés au sein du XXXX", révèle que les griefs émis à son encontre sont étroitement liés aux faits qui ont justifié sa plainte pour harcèlement moral. Il précise que si la mesure d'ordre dont il a fait l'objet paraît à ce point nécessaire aux yeux de la partie adverse, c'est précisément en raison de la détérioration de ses relations professionnelles avec sa hiérarchie et du fait qu'en raison du harcèlement dont il a été la victime, des "clans" se sont formés, à l'instigation de ses supérieurs hiérarchiques, en vue de décrédibiliser plus ou moins systématiquement sa direction. Ainsi, indépendamment des responsabilités qui devraient être mises à charge des uns ou des autres, il y a, selon lui, un lien entre les faits de harcèlement pour lesquels il a déposé plainte et les "griefs" qui ont justifié sa mise à l'écart. Il est ainsi d'avis que si l'acte attaqué vise, à plusieurs reprises, une "rupture de confiance" entre lui et plusieurs membres de son équipe, ce sont précisément les éléments de fait, à la base de cette rupture de confiance, qui ont constitué l'une des causes principales des plaintes pour harcèlement.

Il reproche encore à l'acte attaqué de ne pas expliciter l'intérêt du service qui commanderait son écartement ni les raisons pour lesquelles il s'agirait de la seule mesure possible, alors même qu'il avait émis des propositions concernant le bon fonctionnement de son service, lesquelles n'ont jamais reçu la moindre réponse de la part de l'autorité.

Il ajoute que la mesure adoptée à son encontre est d'autant plus injustifiable qu'elle a été prise dans une certaine urgence - qui n'est justifiée par aucun élément concret -, avant même d'avoir laissé au conseiller en prévention le temps d'instruire les plaintes en harcèlement et de formuler ses recommandations à l'employeur.

VIII - 9875 - 3/20

Il reproche aussi à la partie adverse d'avoir choisi une mesure extrême à son encontre alors qu'elle n'a jamais pris la moindre "mesure appropriée", au sens de l'article 32septies de la loi du 4 août 1996 précitée, en réponse à ses multiples courriers et propositions, qui aurait permis de remédier ou de tenter de remédier au climat qui était à la source d'une charge psychosociale manifeste pour lui et plusieurs agents de son service. Il relève que ce faisant, la partie adverse n'a pas non plus respecté les prescriptions des articles 32/2 et suivants de la loi du 4 août 1996 précitée.

Il se réfère également au règlement provincial relatif à la protection contre la violence et le harcèlement moral ou sexuel au travail qui dispose, en son article 6, que "dans certains cas et s'il le juge utile, le conseiller en prévention compétent pourra proposer à la décision du greffier provincial une mesure transitoire d'écartement d'urgence de l'une des deux parties. Le plaignant ne pourra toutefois pas être écarté, sans son accord préalable et explicite".

Le requérant, en réplique, répète que la détérioration des "relations entretenues avec les agents occupés au sein du XXXX" constituait la raison principale de sa plainte en harcèlement qui stigmatisait le manque flagrant et délibéré de soutien de la part de sa hiérarchie à l'égard des agents qu'il considérait comme manipulés par sa supérieure hiérarchique, XXXX, en vue de lui nuire.

Il précise que, s'il y a pluralité de motifs à l'acte attaqué, certains de ces motifs - qualifiés de "griefs" - sont intimement liés aux éléments constitutifs du dossier de harcèlement. Il est admis, à cet égard, selon lui, qu'en cas de pluralité de motifs invoqués dont l'un est lié à la plainte, la charge de la preuve qui repose sur l'employeur est rendue plus ardue, car il suffit que le licenciement soit pour partie lié à la plainte pour ouvrir le droit à la protection.

Dans son dernier mémoire, le requérant insiste sur plusieurs points.

Quant à ses relations avec XXXX, il fait valoir que le problème se situe avec son nouveau président, XXXX et non avec l'ensemble du personnel et rappelle qu'il a été le secrétaire de XXXX pendant vingt ans et XXXX. Il souligne également qu'il a essayé de rétablir une certaine sérénité en prenant l'initiative de se déporter des fonctions qu'il y assumait mais que la situation ne s'est guère améliorée au vu notamment des relations difficiles qu'il a avec XXXX contre qui il a introduit une plainte pour harcèlement moral. Il explique que la situation conflictuelle avec le président de XXXX découle de son rapport concernant le contrôle des justificatifs de

VIII - 9875 - 4/20

la subvention octroyée pour 2014 d'où il ressortait une série d'irrégularités

manifestes.

S'agissant de la rupture de la relation de confiance entre lui et une partie des membres de son équipe, il estime que ce reproche est en lien direct avec la procédure de harcèlement dirigée contre XXXX dès lors qu'il observe que celle-ci a mené contre lui une campagne de déstabilisation avec comme conséquence que des clans se sont formés à l'instigation de ses supérieurs hiérarchiques, l'objectif étant de le décrédibiliser. Il en déduit qu'il existe bien un lien entre les faits de harcèlement dont il est victime et les reproches formulés par la partie adverse qui justifieraient la mesure attaquée.

Par ailleurs, il ne voit pas en quoi l'intérêt général commandait que la mesure attaquée soit prise aussi rapidement, sans attendre le rapport du conseiller en prévention sur les diverses demandes d'intervention psychosociale dès lors que la situation conflictuelle était apparente, selon lui depuis près de deux ans, et que c'est lui qui a pris l'initiative de dénoncer les problèmes en janvier 2015.

Quant au bon fonctionnement du XXXX, il insiste sur la circonstance qu'il assure la direction de celui-ci depuis XXXX, à la satisfaction de tous et que c'est depuis sa mise à l'écart que la pérennité du XXXX est mise en péril, plusieurs expositions ou manifestations ayant été annulées.

Il constate également que la mesure attaquée est bien plus radicale qu'un simple changement d'affectation et qu'il y a lieu de l'analyser comme une mesure de représailles visant à le sanctionner.

Enfin, à propos de la...

Pour continuer la lecture

SOLLICITEZ VOTRE ESSAI

VLEX uses login cookies to provide you with a better browsing experience. If you click on 'Accept' or continue browsing this site we consider that you accept our cookie policy. ACCEPT