Décision judiciaire de Conseil d'État, 27 février 2017

Date de Résolution27 février 2017
JuridictionXIII
Nature Arrêt

CONSEIL D'ÉTAT, SECTION DU CONTENTIEUX ADMINISTRATIF.

XIIIe CHAMBRE

A R R Ê T

nº 237.495 du 27 février 2017

A. 216.681/XIII-7401

En cause : 1. DUBRECQ Daniel, 2. DOCHY Véronique, ayant tous deux élu domicile chez Me Augustin DAOÛT, avocat, avenue Émile De Mot 19 1000 Bruxelles,

contre :

la Ville de Mons, ayant élu domicile chez Me Philippe CASTIAUX, avocat, avenue de Constantinople 2 7000 Mons. ------------------------------------------------------------------------------------------------------ I. Objet de la requête

Par une requête introduite le 12 août 2015, Daniel DUBRECQ et Véronique DOCHY demandent une indemnité réparatrice à charge de la ville de Mons après l'arrêt nº 231.536 du 11 juin 2015 par lequel le Conseil d'État a annulé le permis d'urbanisme délivré le 11 janvier 2013 à Frédéric CZEKALSKI et Salima TOUNI pour construire une maison unifamiliale sur un bien sis rue du Bois d'Havré à Mons.

Le dossier administratif a été déposé.

Les mémoires en réponse et en réplique ont été régulièrement échangés.

Mme Vinciane FRANCK, premier auditeur au Conseil d'État, a rédigé un rapport sur la base de l'article 25/3 du règlement général de procédure.

Le rapport a été notifié aux parties.

Les parties ont déposé un dernier mémoire.

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Par une ordonnance du 10 janvier 2017, l'affaire a été fixée à l'audience du 16 février 2017 à 09.30 heures.

M. Michel PÂQUES, conseiller d'État, a exposé son rapport.

Me Mathieu DEKLEERMAKER, loco Me Augustin DAOÛT, avocat, comparaissant pour la partie requérante, et Me Anthony JAMAR, loco Me Philippe CASTIAUX, avocat, comparaissant pour la partie adverse ont été entendus en leurs observations.

Mme Vinciane FRANCK, premier auditeur, a été entendue en son avis partiellement conforme au présent arrêt.

Il est fait application des dispositions relatives à l'emploi des langues, inscrites au titre VI, chapitre II, des lois sur le Conseil d'État, coordonnées le 12 janvier 1973.

III. Faits

Les faits utiles à l'examen de la présente requête ont été exposés dans l'arrêt nº 231.536 du 11 juin 2015 qui a annulé le permis d'urbanisme délivré le 11 janvier 2013 à Frédéric CZEKALSKI et Salima TOUNI pour construire une maison unifamiliale sur un bien sis rue du Bois d'Havré à Mons.

Les motifs suivants de l'arrêt peuvent être rappelés :

" [...]

Considérant que l'attention de l'autorité a été attirée sur le caractère lacunaire de l'étude d'ensoleillement produite par les demandeurs dès le recours introduit contre le premier permis; qu'elle a retiré cet acte; que, dans le nouveau permis qui constitue l'acte attaqué, elle a seulement paraphrasé un peu plus l'étude dont elle disposait;

Considérant que l'étude produite à l'appui du mémoire en réplique révèle suffisamment, en tenant compte des contestations élevées à son sujet par la partie adverse et les parties intervenantes, que le projet est de nature à entraîner une perte d'ensoleillement importante et durant la journée le long de la façade droite des requérants le 21 décembre, y compris le long de la véranda;

Considérant que le permis attaqué est dès lors entaché d'une inexactitude lorsqu'il énonce à propos de l'ombre portée sur la façade sud de la maison des requérants qu'«une telle perte d'ensoleillement est minime au vu de l'étude d'ensoleillement figurant au dossier, soit en matinée à la mi-saison»;

Considérant que cette inexactitude constitue une erreur de fait dans les motifs qui a pu empêcher l'autorité de statuer en connaissance de cause; que sur l'existence d'une telle erreur, le contrôle du Conseil d'État n'est pas marginal; que le contrôle

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marginal revendiqué par les parties adverse et intervenantes porte sur l'exercice du pouvoir discrétionnaire où le juge ne sanctionne en effet que l'erreur manifeste d'appréciation; que l'exercice du pouvoir d'appréciation discrétionnaire suppose toutefois d'abord que les faits aient été établis avec exactitude, ce qui n'est pas le cas en l'espèce;

Considérant que le motif suivant de l'acte attaqué relatif aux hauteurs maximales autorisées dans le lotissement et les affirmations contenues dans les mémoires relatives aux hauteurs et gabarits permis par le R.C.U., ne pallient pas cette erreur; que la considération de fait erronée relative à la perte d'ensoleillement est sans relation avec le caractère constructible de la parcelle sur laquelle s'établit le projet;

Considérant que la motivation formelle d'un acte qui exprime un motif erroné en fait est inadéquate;

Considérant que le moyen unique est fondé en ce qu'il est pris de l'erreur de fait et de la violation de la loi sur du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs;

[...]".

Après la délivrance, le 11 janvier 2013, du permis annulé, les bénéficiaires ont procédé à l'exécution des travaux. La construction est terminée au jour de l'introduction de la demande d'indemnité réparatrice.

La partie adverse n'a pas encore repris de nouvelle décision à la suite de cet arrêt d'annulation.

IV. La demande d'indemnité réparatrice

IV.1. Thèse des parties

A. La requête

Les requérants soutiennent que le dommage subi, résultant directement de l'acte annulé, comprend quatre postes.

En premier lieu, ils prétendent subir un dommage matériel consistant en une perte d'ensoleillement. Le bâtiment dont le permis a été annulé par le Conseil d'État le 11 juin 2015 a été construit. Il entraîne une perte d'ensoleillement importante le long de la façade droite des requérants, y compris le long de la véranda, durant les mois d'hiver. La perte mise en avant dans l'étude produite par les requérants était donc réelle. Elle entraîne : - des frais de chauffage supplémentaires durant les mois d'hiver, vu la perte du gain de chaleur, - une surconsommation d'électricité pour l'éclairage intérieur de l'habitation, - une perte de luminosité, d'où une perte de jouissance,

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- une moins-value pour la maison en cas de vente, - une diminution de l'opportunité d'installer des panneaux photovoltaïques ou thermiques en toiture qui leur auraient permis de réduire leurs frais d'électricité, - une diminution de la qualité de vie.

Ils évaluent l'ensemble de ces postes du dommage matériel créé par cette perte d'ensoleillement à 35.000 euros.

A titre subsidiaire, les requérants demandent au Conseil d'État de désigner un expert pour évaluer le montant total des préjudices causés par la perte d'ensoleillement.

En deuxième lieu, ils prétendent subir un dommage matériel correspondant aux frais d'expertise avancés. Ils ont dû faire procéder à une véritable étude d'ensoleillement auprès du bureau d'études ASTER CONSULTING, qui n'aurait pas été nécessaire si la partie adverse avait respecté le principe de bonne administration et son devoir de minutie. Le prix qu'ils ont payé pour faire procéder à l'expertise sur l'ensoleillement constitue donc un préjudice directement lié à l'illégalité reconnue dans l'arrêt nº 231.536, précité.

Un dommage de 800 euros est réclamé à ce titre. Aucune facture n'est toutefois produite pour justifier ce montant.

En troisième lieu, ils prétendent subir un dommage moral causé par l'attitude de la ville qui s'est obstinée à redélivrer le permis. La ville a retiré sa première décision puis a pris la seconde décision en paraphrasant la première au détriment de leurs efforts et de leurs arguments qui ont finalement été suivis par le Conseil d'État.

Ce dommage moral comprend également le préjudice esthétique causé par la perte d'ensoleillement.

Ils évaluent ce dommage moral ex æquo et bono à 2.500 euros.

En quatrième lieu, ils prétendent subir un dommage matériel correspondant aux frais et honoraires résultant des deux procédures en annulation menées devant le Conseil d'État. Le montant de 2.640 euros est équivalent à 1.320 euros par procédure, "correspondant au taux de base des affaires non évaluables en argent suivant l'arrêté royal du 26 octobre 2007 déterminant le tarif des indemnités de procédure".

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Au total, ils demandent une indemnité de 40.940 euros.

Selon eux, le lien de causalité entre l'illégalité de l'acte annulé et le dommage est établi. L'ensemble des dommages invoqués sont consécutifs à la perte d'ensoleillement qui a justifié l'annulation du permis d'urbanisme. C'est en ne procédant pas à une étude d'ensoleillement correcte et en paraphrasant la précédente étude d'ensoleillement lacunaire que l'autorité a commis une illégalité directement liée aux dommages invoqués puis que le permis a été exécuté. En raison de la construction, la seule annulation du permis ne permet pas de réparer l'ensemble des préjudices causés par la perte d'ensoleillement durant les mois d'hiver.

Aucun intérêt public ou privé au sens de l'article 11bis des lois coordonnées sur le Conseil d'État ne justifie, à leur estime, de restreindre l'indemnité. Il faut tenir compte de l'obstination de la partie adverse.

B. Le mémoire en réponse

Sur les préjudices invoqués en premier et troisième lieux par les requérants, soit le dommage matériel consistant en une perte d'ensoleillement et le dommage moral et esthétique, la partie adverse fait valoir que l'annulation a été prononcée par l'arrêt pour une raison de motivation formelle, que l'arrêt n'a sanctionné aucun vice inhérent au projet de construction lui-même qui est conforme aux prescriptions urbanistiques et réglementaires applicables.

Selon elle, il n'y a pas de lien causal entre l'illégalité de l'acte et le dommage allégué. Les requérants devraient démontrer que si l'autorité n'avait pas adopté l'acte entaché d'irrégularité, il y a des chances que celle-ci aurait pris un acte dont le contenu aurait été conforme aux espérances de la victime. La démonstration de ce lien causal n'est pas faite par les requérants. Ils démontrent seulement que la mise en œuvre du projet a un impact en termes d'ensoleillement en hiver lorsque le soleil est au plus bas. Il n'est nullement exclu que l'autorité communale adopte un acte motivé...

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