Décision judiciaire de Conseil d'État, 14 octobre 2016

Date de Résolution14 octobre 2016
JuridictionXV
Nature Arrêt

CONSEIL D’ÉTAT, SECTION DU CONTENTIEUX ADMINISTRATIF

A R R Ê T

nº 236.127 du 14 octobre 2016

191.136/XV-928

En cause : la société de droit du Royaume de Barheïn

DHL International B.S.C., ayant élu domicile chez Me T. LEIDGENS, avocat, avenue Latérale 143 1180 Bruxelles,

contre :

1. le Collège d’Environnement de la Région de Bruxelles-Capitale,

  1. la Région de Bruxelles-Capitale,

représenté par son gouvernement, ayant élu domicile chez Me Fr. TULKENS, avocat, chaussée de la Hulpe 120 1000 Bruxelles.

------------------------------------------------------------------------------------------------------

LE CONSEIL D’ÉTAT, XV e CHAMBRE,

Vu la requête introduite le 19 janvier 2009 par la société de droit du Royaume de Barheïn DHL International B.S.C., qui tend à l’annulation de «la décision du Collège d’Environnement de la Région de Bruxelles-Capitale du 17 novembre 2008 […] confirmant la décision du 17 juillet 2008 par laquelle M. Hannequart, en sa qualité de fonctionnaire dirigeant de l’I.B.G.E., a décidé d’infliger à [la requérante] une amende administrative d’un montant de 4,532 € pour infractions à l’arrêté du Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale du 27 mai 1999 relatif à la lutte contre le bruit généré par le trafic aérien […]»;

Vu le dossier administratif;

Vu les mémoires en réponse et en réplique régulièrement échangés;

Vu le rapport de M. D. DELVAX, premier auditeur au Conseil d’État;

Vu la notification du rapport aux parties et les derniers mémoires;

XV - 928 - 1/32

Vu l’ordonnance du 18 mai 2016, notifiée aux parties, fixant l’affaire à l’audience publique du 21 juin 2016 à 9 heures 30;

Entendu, en son rapport, M. M. LEROY, président chambre;

Entendu, en leurs observations, Me T. LEIDGENS, avocat, comparaissant pour la partie requérante, et Me Fr. TULKENS, avocat, comparaissant pour la partie adverse;

Entendu, en son avis conforme, M. D. DELVAX, premier auditeur;

Vu le titre VI, chapitre II, des lois sur le Conseil d’État, coordonnées le 12 janvier 1973;

Considérant que les faits utiles à l’examen de la cause sont décrits dans l’acte attaqué, qui se présente comme suit:

[…] I. Antécédents

Les 9 juillet, 24 octobre et 7 décembre [2007], l’I.B.G.E. dresse à charge de DHL International E.C., ci-après dénommée “DHL”, trois procès-verbaux portant, respectivement les références n° 070709 – mai 2007, n° 070124 – septembre 2007 et n° 071207 – octobre 2007. Il en résulte que DHL a commis 7 infractions à l’arrêté du 27 mai 1999 relatif à la lutte contre le bruit généré par le trafic aérien.

Ces procès-verbaux et les rapports de mesure ont été portés à la connaissance de DHL les 18 juillet, 30 septembre et 13 décembre 2007 en lui indiquant que ces documents étaient aussi envoyés au procureur du Roi de Bruxelles.

Le parquet ayant notifié ses décisions de ne pas exercer de poursuites les 3 octobre 2007, 9 novembre 2007 et 11 janvier 2008, l’I.B.G.E. a écrit à DHL le 6 mai 2008 qu’il était en droit de lui infliger une amende administrative en se référant à l’article 37 de l’Ordonnance 1999.

Une telle amende, d’un montant de 4,532 euros, a été infligée par une décision du 17 juillet 2008 à EAT [lire : DHL] pour des infractions à l’article 33, 7°, b) de l’Ordonnance 1999, à savoir avoir créé “directement ou indirectement, ou laisser perdurer une gêne sonore dépassant les normes fixées par le Gouvernement”, c’est-à-dire les “valeurs limites” de l’Arrêté 1999 qui ne peuvent être dépassées par les avions lorsqu’ils survolent le territoire de la Région.

Le fonctionnaire dirigeant de l’I.B.G.E., constate, dans ladite décision, qu’il y a unicité d’infractions pour les dépassements constatés les 19 mai 2007 […] et 18 septembre 2007 […]. II. Au fond

A. Considérant que DHL soutient que l’Ordonnance 1999, en ce qu’elle permet d’infliger des amendes administratives, viole les articles 12, 13, 110 et 144 de la Constitution en vertu desquels seules les juridictions de l’ordre judiciaire sont habilitées à infliger des peines; qu’il appartient à l’I.B.G.E. et au

XV - 928 - 2/32

Collège d’environnement d’exercer le pouvoir discrétionnaire que l’ordonnance leur confère d’une manière qui n’aboutit pas à violer la Constitution; que l’I.B.G.E. aurait donc dû constater qu’il n’“y a pas lieu” d’infliger une amende et que le Collège doit réformer la décision attaquée pour ces mêmes motifs;

Considérant qu’il n’appartient ni à l’I.B.G.E. ni au Collège d’environnement, en leur qualité d’autorité administrative, de procéder de quelque manière que ce soit à un contrôle de constitutionnalité de la législation dont la mise en œuvre leur a été confiée; B. Considérant que DHL avance qu’il a été privé de son droit à un “tribunal indépendant et impartial” consacré par l’article 6, § 1er, de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) et de son droit à un double degré de juridiction indépendante et impartiale garanti par l’article 14, § 1er et § 5 combinés, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et par le principe général de droit d’indépendance et d’impartialité; qu’en ce qui concerne l’article 6, § 1er, de la CEDH, la requérante fait notamment valoir que cette disposition exige un contrôle juridictionnel de pleine juridiction avec le pouvoir de réformer la décision ou de l’annuler avec renvoi “devant un tribunal indépendant et impartial chargé de prendre une décision se substituant à la décision annulée”; qu’elle insiste, faisant référence à l’arrêt Silvester’s (C.E.D.H., Silvester’s c. Belgique, 4 mars 2004), qu’une pleine juridiction implique le pouvoir de contrôler la décision contestée “en tous points, en fait comme en droit”; qu’en ce qui concerne l’article 14, § 1er et § 5 combinés, du PIDCP, la requérante défend la thèse selon laquelle l’I.B.G.E. ou le Collège d’environnement devrait répondre aux exigences d’indépendance et d’impartialité; que, pour l’ensemble de ces motifs, le Collège d’environnement devrait décider qu’il n’y a pas lieu d’infliger une amende administrative;

Considérant que c’est à tort que la requérante soutient que le pouvoir d’appréciation conféré par l’ordonnance 1999 d’infliger ou non une amende permet un contrôle de la légitimité du système d’amendes administratives voulu par le législateur;

Considérant, par ailleurs, qu’il est établi depuis de nombreuses années que le contrôle exercé par le Conseil d’Ėtat, pouvant mener à l’annulation et au renvoi pour nouvelle décision, est à même de satisfaire à l’exigence d’un contrôle de pleine juridiction; que ce contrôle s’étend notamment à la motivation matérielle et formelle des actes attaqués et, en cas de sanctions punitives, à la proportionnalité de celles-ci; que, outre le fait que la Cour européenne des droits de l’homme confère une interprétation autonome à la notion de “tribunal”, sa jurisprudence ne permet d’affirmer, à l’encontre de ce qu’avance la requérante, que, dans l’hypothèse d’une annulation s’accompagnant de renvoi, ce dernier doit se faire devant un tribunal;

Considérant que l’indépendance et l’impartialité sont garanties par l’ensemble de la procédure de décision; qu’en effet, un recours devant le Collège d’environnement peut être introduit contre les décisions de l’I.B.G.E., la décision de ce Collège pouvant, à son tour, être soumise à la censure du Conseil d’Ėtat;

[…] C. Considérant que DHL soutient à tort que l’amende infligée viole le principe de la légalité des délits et des peines consacré par les articles 7, § 1er, de la CEDH et 15, § 1er, du PIDCP et par la Constitution, en ce qu’elle sanctionne un dépassement des normes fixées par l’arrêté du 27 mai 1999, là où aussi bien

XV - 928 - 3/32

l’ordonnance du 17 juillet 1997 relative à la lutte contre le bruit en milieu urbain (article 20, 4°) que l’Ordonnance 1999 (article 33, 7°, b) érigent en infraction le fait de créer ou de laisser perdurer “une gêne sonore dépassant les normes fixées par le Gouvernement”; qu’en effet, et contrairement à ce que prétend la requérante, il résulte de la lecture combinée des dispositions précitées que c’est précisément le dépassement des normes autorisées qui constitue la gêne sonore érigée en infraction; D. Considérant que DHL soutient que “la décision de l’I.B.G.E. doit être réformée en tant qu’elle met en œuvre l’ordonnance du 5 mars 1999 d’une manière qui viole la directive 2002/30/CE”; que la requérante reste en défaut d’établir en quoi une décision à portée individuelle et spécifique telle que la décision d’infliger une amende pour des infractions commises lors de certains vols constitue une mesure d’interdiction ou de restriction d’exploitation au sens de la directive; E. Considérant que DHL fait valoir que la décision de l’I.B.G.E. doit être réformée en tant qu’elle a été prise en violation des formes substantielles prescrites par les articles 11, 15 et 17 de l’ordonnance 1999, et par l’Arrêté du 21 novembre 2002 fixant la méthode de contrôle et les conditions de mesures de bruit et notamment son article 12, § 1er; que la requérante avance également que la législation ne prévoit pas la possibilité d’effectuer des mesures de bruit en l’absence d’un agent et que la méconnaissance de cette donnée entraîne elle aussi l’illégalité des procès-verbaux;

Considérant qu’en ce qui concerne l’article 11 de l’ordonnance 1999, cette disposition prévoit qu’une copie de tout procès-verbal doit être communiquée à l’auteur présumé de l’infraction dans les dix jours de la constatation de cette infraction; que cet article prévoit également explicitement que les agents “constatent les infractions par procès-verbal”; qu’il en résulte que, contrairement à ce que prétend la requérante, c’est l’établissement du procès-verbal qui constitue la constatation des infractions; que le texte est clair et répond à la nécessité d’effectuer des analyses complémentaires de mesures ou échantillons en vue d’établir l’infraction; qu’il répond en outre à la nécessité de rassembler des données pour...

Pour continuer la lecture

SOLLICITEZ VOTRE ESSAI

VLEX uses login cookies to provide you with a better browsing experience. If you click on 'Accept' or continue browsing this site we consider that you accept our cookie policy. ACCEPT