Décision judiciaire de Conseil d'État, 15 décembre 2015

Date de Résolution15 décembre 2015
JuridictionXI
Nature Arrêt

CONSEIL D'ÉTAT, SECTION DU CONTENTIEUX ADMINISTRATIF

A R R ÊT

nº 233.249 du 15 décembre 2015

A. 213.689/XI-20.324

En cause : XXXX, ayant élu domicile chez Mes S. NAJMI et R. FONTEYN, avocats, rue de Florence 13 1000 Bruxelles,

contre :

l'Etat belge, représenté par le Ministre de la Justice, ayant élu domicile chez Me S. DEPRE, avocat, Place Flagey 7 1050 Bruxelles.

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LE CONSEIL D'ÉTAT, XI e CHAMBRE,

I. OBJET DE LA REQUÊTE

  1. Par une requête du 12 septembre 2014, XXXX poursuit l’annulation de la décision du ministre de la Justice du 7 juillet 2014 qui rejette sa demande de changement de nom patronymique en « YYYY ».

    II. PROCÉDURE DEVANT LE CONSEIL D’ÉTAT

  2. Le dossier administratif a été déposé.

    Les mémoires en réponse et en réplique ont été échangés.

    M. B. CUVELIER, premier auditeur au Conseil d’État, a déposé un rapport le 23 juin 2015, rédigé sur la base de l’article 12 du règlement général de procédure. Le rapport a été notifié aux parties.

    Les parties ont déposé un dernier mémoire. La partie requérante a demandé la poursuite de la procédure.

    XI - 20.324 - 1/18

    Une ordonnance du 6 octobre 2015, notifiée aux parties, a fixé l’affaire à l’audience de la XIe chambre du 27 octobre 2015 à 10 heures.

    Mme C. DEBROUX, conseiller d’État, a fait rapport.

    Mes S. NAJMI et R. FONTEYN, avocats, comparaissant pour la partie requérante, et Me S. DEPRÉ, avocat, comparaissant pour la partie adverse, ont été entendus en leurs observations.

    M. B. CUVELIER, premier auditeur chef de section, a été entendu en son avis conforme.

    Il est fait application du titre VI, chapitre II, des lois sur le Conseil d’État, coordonnées le 12 janvier 1973.

    III. LES FAITS

  3. Par une lettre du 10 février 2013, le requérant a introduit auprès du ministre de la Justice, une demande de changement de nom, sollicitant de pouvoir porter au lieu de son nom patronymique actuel, le nom « YYYY » étant le nom de sa mère. Après de longs développements expliquant la genèse du ressentiment qu’il nourrit à l’égard de son père dont il porte le nom, il indique ce qui suit :

    [...]

    Je suis à présent certain que j’attendais d’entendre que mon géniteur ne voulait plus entendre parler de son fils pour entreprendre un changement de mon nom de famille !

    C’est chose faite, aucun lien ne me lie encore à lui, tout le mal qu’il a fait à son fils ou à ma maman ne sera bien sûr jamais oublié, mais mon souhait le plus cher, aujourd’hui, est de ne plus avoir un quelconque rapport avec cette famille, qui n’est plus la mienne depuis bien longtemps déjà !

    Étant de nature à ne pas prendre de décisions rapides mais toujours réfléchies, j’ai encore pris quelques mois à penser à cette démarche, pourtant souhaitée depuis de nombreuses années.

    C’est pourquoi, aujourd’hui, je désire plus que tout porter dans l’avenir le nom de ma maman YYYY en lieu et place du nom XXXX et de pouvoir être fier de le transmettre à mes progénitures futures.

    [...]

    .

  4. Le 12 février 2013, la partie adverse a accusé réception de la demande. Le même jour, il a été demandé au procureur général près la Cour d’appel de Bruxelles de faire recueillir tous renseignements utiles au sujet du requérant, et notamment de «

    XI - 20.324 - 2/18

    recueillir l’avis des personnes concernées par la demande, notamment les parents et les grands-parents paternels et maternels du requérant » et de « relever les antécédents judiciaires éventuels des parents du requérant qui est lui-même policier ».

  5. Après réception des résultats de l’enquête communiqués le 6 novembre 2013, l’administration a donné au ministre, par une note du 27 juin 2014, un « avis défavorable » au changement de nom pour les motifs suivants :

    La loi du 15 mai 1987 relative aux noms et prénoms exige que le changement de nom demeure exceptionnel (article 3, alinéa 3, C.E., 24 octobre 2013, n° 225.250, Agbessi ; C.E., 31 mai 2012, n° 219.578, Vandereycken ; C.E., 1er octobre 2010, n° 207.823, Jamar de Bolsée). Les motifs invoqués doivent également être particulièrement "sérieux", précis et démontrés (C.E., 25 février 2011, n° 211.552, Hardy).

    En outre, le nom demandé ne peut prêter à confusion, ni nuire aux tiers ou au requérant. Les travaux préparatoires précisent encore que "les demandes qui ne reposent pas sur un motif dont le caractère est sérieux et véridique devront être écartées, même si le nom demandé ne porte préjudice à personne" (Rapport fait au nom de la Commission de la Justice du Sénat, Doc. parl., Sén., 1986-1987, 401/2, p. 9).

    En l’occurrence, le nom "XXXX" est répandu et n’est pas objectivement préjudiciable. Ce nom ne fait grief au requérant qu’en ce qu’il l’associe à son père et à sa famille.

    A cet égard, aucune faute à ce point grave qu’elle puisse rendre le port du nom "XXXX" intolérable n’est alléguée, ni démontrée dans le chef des membres de la famille paternelle. Le requérant invoque le désintérêt de celle-ci mais son père conteste ses déclarations et toute faute et il ressort des pièces du dossier que le requérant a lui-même entendu rompre la relation filiale.

    En tout état de cause, le délitement de la relation filiale après la séparation des parents n’est pas exceptionnel et le contexte familial du requérant ne peut suffire à motiver un changement de nom.

    La demande s’inscrit manifestement dans le cadre d’un conflit familial émaillé de rancœur et repose sur des motifs de nature subjective et sentimentale qui ne peuvent justifier une dérogation à la fixité du nom que le requérant porte depuis plus de trente ans.

    Si Madame la Ministre devait se satisfaire de tels éléments, elle ne pourrait conserver un caractère exceptionnel au changement de nom comme la loi l’y enjoint.

    Enfin, il convient de tenir compte du respect dû à la vie familiale du père du requérant qui s’oppose au changement de nom et dont la responsabilité exclusive dans la dégradation de la relation filiale n’est pas démontrée (art. 8 C.E.D.H. ; C.E., 25 février 2011, n° 211.552, Hardy).

    Les conditions légales n’étant pas remplies, j’émets un avis défavorable à la demande

    .

    XI - 20.324 - 3/18

    6. Le 7 juillet 2014, la ministre de la Justice a décidé de suivre cet avis. Le 14 juillet 2014, elle a écrit au requérant en ces termes :

    Monsieur,

    I. Me référant à votre demande de changement de nom, j’ai l’honneur de vous rappeler, en guise de préambule, les conditions strictes auxquelles la loi du 15 mai 1987 relative aux noms et prénoms soumet le changement de nom.

    L’autorisation de changer de nom constitue toujours une faveur accordée au requérant en mesure de faire valoir un intérêt légitime : elle n’est jamais un droit.

    Eu égard à la fixité d’ordre public du nom, le changement de nom doit demeurer exceptionnel et doit reposer sur des motifs précis, sérieux et légitimes. Lorsqu’il est indépendant d’un changement d’état de la personne, il constitue un ultime remède aux situations préjudiciables liées au nom.

    Enfin, l’innocuité du changement de nom doit être assurée. Le nom de substitution sollicités [sic] ne peut prêter à confusion, ni nuire à l’intéressé ou à des tiers (art. 3, alinéa 3, de la loi précitée).

    II. A la lumière de ce qui précède, je suis au regret de vous faire savoir qu’il a été estimé que votre situation n’est malheureusement pas véritablement exceptionnelle et que les motifs que vous avancez ne sont pas "sérieux" au sens de la loi précitée. En outre, l’innocuité du nom demandé apparaît douteuse.

    Dans ces conditions, il ne m’est pas légalement possible de proposer à Sa Majesté le Roi d’autoriser la modification de votre nom en "YYYY".

    III. En l’occurrence, le nom "XXXX" est répandu et ne paraît pas objectivement préjudiciable. Ce nom ne vous fait grief qu’en ce qu’il vous associe à votre père et à sa famille.

    A cet égard, aucune faute à ce point grave qu’elle puisse rendre le port du nom "XXXX" intolérable n’est alléguée, ni démontrée dans le chef des membres de votre famille paternelle. Vous invoquez le désintérêt de cette dernière mais votre père conteste vos déclarations et toute faute et il ressort des pièces du dossier que vous avez vous-même entendu rompre la relation filiale.

    En tout état de cause, le délitement de la relation filiale après la séparation des parents n’est pas exceptionnel et votre contexte familial ne peut suffire à motiver un changement de nom.

    La demande s’inscrit manifestement dans le cadre d’un conflit familial émaillé de rancœur et repose sur des motifs de nature subjective et sentimentale qui ne peuvent justifier une dérogation à la fixité du nom que vous portez depuis plus de trente ans.

    Si je devais me satisfaire de tels éléments, je ne pourrais conserver un caractère exceptionnel au changement de nom comme la loi m’y enjoint.

    Enfin, il convient de tenir compte du respect dû à la vie familiale de votre père qui s’oppose au changement de nom et dont la responsabilité exclusive dans la dégradation de la relation filiale n’est pas démontrée.

    XI - 20.324 - 4/18

    En conséquence de ce qui précède, il me parait indiqué de maintenir la fixité de votre nom, celle-ci étant essentielle à la tenue de l’état civil et au maintien de l’ordre au sein de la société et des familles.

    [...]

    .

    Il s’agit de la décision attaquée.

    IV. EXAMEN DU BIEN-FONDÉ DU RECOURS

    IV.1. Les premier et deuxième moyens

    Thèse de la partie requérante

    7. Le requérant prend un premier moyen de la violation des articles 2 et 3 de la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs, 1319, 1320 et 1322 du Code civil, de l’inexactitude des motifs et partant de l’illégalité de l’acte quant aux motifs, de la foi due au dossier administratif et de l’excès de pouvoir.

    Il fait...

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