Décision judiciaire de Conseil d'État, 20 novembre 2015

Date de Résolution20 novembre 2015
JuridictionXV
Nature Arrêt

CONSEIL D'ETAT, SECTION DU CONTENTIEUX ADMINISTRATIF

A R R Ê T

nº 232.974 du 20 novembre 2015

  1. 206.709/XV-2083 A. 206.716/XV-2086

    En cause : 1. FAUTRÉ Sarah, 2. DEMBLON Stéphanie,

    ayant élu domicile chez

    Me Th. MITEVOY, avocat, chaussée de Haecht 55 1210 Bruxelles,

    contre :

    la zone de police de Bruxelles-Capitale-Ixelles (ZP 5339),

    ayant élu domicile chez Me E. JACUBOWITZ, avocat, avenue Tedesco 7 1160 Bruxelles. ------------------------------------------------------------------------------------------------------

    LE CONSEIL D'ÉTAT, XV e CHAMBRE,

    Vu la requête introduite le 18 octobre 2012 par Sarah Fautré, qui tend à l’annulation «des décisions administratives suivantes:

    La décision du 13 juin 2012 prise par Monsieur le chef de corps de la zone de police Bruxelles-Capitale-Ixelles de refus d’accès et de copies de documents administratifs;

    La décision du 10 septembre 2012 prise par Monsieur le chef de corps de la zone de police Bruxelles-Capitale-Ixelles de refus d’accès et de copies de documents administratifs»;

    Vu la requête introduite le même jour par Stéphanie Demblon, qui tend à l’annulation des mêmes actes, mais la concernant;

    Vu le dossier administratif;

    Vu les mémoires en réponse et en réplique régulièrement échangés;

    Vu l’ordonnance du 30 avril 2015 ordonnant la jonction des affaires;

    Vu le rapport de Mme M. VANDERHELST, auditeur au Conseil d'État;

    XV – 2083 & 2083 - 1/13

    Vu la notification du rapport aux parties et les derniers mémoires;

    Vu l'ordonnance du 16 octobre 2015, notifiée aux parties, fixant les affaires à l'audience du 16 novembre 2015 à 9 heures 30;

    Entendu, en son rapport, M. M. LEROY, président de chambre;

    Entendu, en leurs observations, Me Th. MITEVOY, avocat, comparaissant pour les parties requérantes et Me A. VANDEVELDE, loco Me E. JACUBOWITZ, avocat, comparaissant pour la partie adverse;

    Entendu, en son avis contraire, Mme M.VANDERHELST, auditeur;

    Vu le titre VI, chapitre II, des lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973;

    Faits

    Considérant que les faits utiles à l’examen des recours se présentent comme suit:

    Le 29 septembre 2010, une manifestation est organisée à Bruxelles par la Confédération Européenne des Syndicats («CES») avec pour thème «Non à l’austérité». En marge de cette manifestation, un camp «No Border» se tient à Bruxelles du 25 septembre au 3 octobre, sur le site de Tour et Taxis. Les participants ont en particulier pour objectif de questionner les politiques européennes en matière d’immigration. Les requérantes participent toutes deux au camp «No Border» et se rendent à la manifestation précitée. À l’occasion de celle-ci, à 15 h, boulevard de Waterloo, elles font partie des 289 personnes qui sont l’objet d’une arrestation administrative.

    Le 10 février 2011, le commissaire divisionnaire de police Pierre Vandersmissen est entendu par le Comité P dans le contexte d’«une plainte déposée par l’entremise du cabinet d’avocats Robert, Mitevoy et Bernard de Bruxelles à l’encontre de X pour des faits s’étant déroulés lors de la manifestation organisée à Bruxelles par la Confédération Européenne des Syndicats (CES) en date du 29/09/2010. Les faits dénoncés seraient à mettre entre autres à charge de policiers». L’objet de cette audition est d’«obtenir des informations quant à la gestion de cet

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    événement par les services de police et plus particulièrement quant aux mesures de police qui ont été prises en précisant leur contexte».

    Le 11 mai 2012, les requérantes – ainsi que quatre autres personnes – adressent, par le biais d’un même courrier de leur conseil, une demande d’accès à différents documents auprès du chef de corps de la zone de police de Bruxelles-Capitale-Ixelles. Cette demande est rédigée notamment comme suit:

    Mes clients ont fait l’objet d’une arrestation administrative en date du 29 septembre 2010 dans le cadre d’une manifestation organisée à Bruxelles par la Confédération Européenne des Syndicats (CES). Au cours de cette manifestation, de nombreuses personnes ont été arrêtées administrativement. Mes clients s’interrogent sur les raisons qui ont mené à leur arrestation le 29 septembre 2010.

    Dans cette perspective, sur base du principe de transparence de l’administration consacré notamment par l’article 32 de la Constitution, mes clients sollicitent l’accès et la copie des documents suivants: 1) La fiche d’arrestation de chacun de mes clients; 2) Les mentions du registre des privations de liberté (tenu conformément aux articles 33bis et 33ter de la loi du 5 août 1992 sur la fonction de police) qui concernent l’arrestation administrative de mes clients du 29 septembre 2010; 3) Les rapports des réunions préalables à la manifestation du 29 septembre 2010 évoquées par le commissaire Pierre Vandersmissen lors de son audition du 10 février 2011 (voir PV n° 13165/2011 en annexe); 4) Les documents relatifs au dispositif conçu par le commissaire divisionnaire Pierre Vandersmissen et le directeur général opérationnel (évoqué par le commissaire Pierre Vandersmissen dans le PV n° 13165/2011 joint en annexe); 5) Le rapport du briefing donné le 24 septembre 2010 par le commissaire divisionnaire à la police fédérale Benoît Van Houtte et par le commissaire divisionnaire Pierre Vandersmissen aux autorités des zones de police bruxelloises (voir PV n° 13165/2011 joint en annexe).

    Si d’éventuelles parties de ces documents sont couverts par des exceptions particulières, je vous remercie de m’en communiquer les parties restantes non visées par les exceptions.

    Mes clients justifient d’un intérêt personnel évident à pouvoir avoir accès à ces documents. En effet, ils ont été privés de leur liberté ce qui constitue une atteinte grave à leur liberté d’aller et de venir. Ils estiment avoir été privés de leur liberté de manière arbitraire sans que leur comportement ne justifie aucunement une telle mesure. À cause de cette privation de liberté, ils n’ont pas été en mesure d’exercer leurs droits fondamentaux à exprimer librement leur opinion dans le cadre de cette manifestation autorisée du 29 septembre 2010.

    Le 13 juin, le chef de corps fait droit à cette demande, mais en partie seulement, donnant accès aux fiches d’arrestation de chacun des demandeurs ainsi qu’aux mentions du registre de privation de liberté les concernant. Sa réponse est rédigée comme suit:

    En réponse à votre demande d’accès à certains documents administratifs, vous trouverez en annexe à la présente une copie de la fiche d’arrestation de chacun de vos clients ainsi qu’une copie des mentions du registre de privation de liberté concernant l’arrestation administrative de vos clients du 29 septembre 2010.

    En ce qui concerne les documents suivants:

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    Les rapports des réunions préalables à la manifestation du 29 septembre 2010 Les documents relatifs au dispositif conçu par le CDP VANDERSMISSEN et le Directeur Général Opérationnel le rapport du briefing donné le 24 septembre 2012 par le CDP VAN HOUTTE et le CDP VANDERSMISSEN, je ne peux, sur base de l’article 6, §1er, 4° de la loi du 11 avril 1994 relative à la publicité de l’administration, donner suite à votre demande.

    En effet, les documents susmentionnés contiennent des informations relatives à la préparation et à la mise en œuvre d’un service d’ordre en vue de l’encadrement d’une manifestation par les services de police. La publicité de documents contenant des données policières opérationnelles telles que moyens matériels, effectifs et dispositifs de sécurité déployés par les services de police, est susceptible de porter préjudice à la protection de l’ordre public.

    La préparation et la mise en œuvre d’un dispositif de sécurité constituent des informations opérationnelles sensibles qui, en cas d’utilisation abusive, pourraient mettre en péril la sécurité des fonctionnaires de police chargés du maintien de l’ordre lors de manifestations futures et l’intégrité des biens et des personnalités dont les services de police doivent garantir la sécurité.

    Or, le fait d’accéder à votre demande de publication de ces documents ne permet pas d’exclure totalement pareil risque.

    Au vu de ce qui précède et des conséquences dommageables graves pour les services de police au niveau de l’ordre public et de la sécurité en particulier, qui pourraient résulter de la divulgation des mesures de police, j’estime que l’intérêt de la publication des documents dans le chef de vos clients ne saurait prévaloir sur l’atteinte portée à l’ordre public.

    Il s’agit du premier acte attaqué.

    Le 10 juillet, les requérantes, ainsi que quatre autres personnes, introduisent une demande de reconsidération auprès du chef de corps, ainsi qu’une demande d’avis auprès de la Commission d’accès aux et de réutilisation des documents administratifs (CADA). Elles y font en particulier valoir ce qui suit:

    D’emblée, il faut constater que la mise en balance des intérêts en présence n’est pas concrètement effectuée en l’espèce.

    En...

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