Décision judiciaire de Conseil d'État, 10 novembre 2015

Date de Résolution10 novembre 2015
JuridictionVI
Nature Arrêt

CONSEIL D'ETAT, SECTION DU CONTENTIEUX ADMINISTRATIF.

A R R E T

nº 232.883 du 10 novembre 2015

G./A.213.912/VI-20.288

En cause : 1. l'association sans but lucratif Association belge des syndicats médicaux, en abrégé ABSyM,

2. la fédération d’unions professionnelles Groupement des unions professionnelles belges de médecins spécialistes, en abrégé G.B.S.,

ayant élu domicile chez

Me Michel VANDEN DORPE, avocat, Large Voie, n° 157, 4040 Herstal,

contre :

l'Etat belge, représenté par la Ministre des Affaires sociales et de la Santé publique,

ayant élu domicile chez

Me Emmanuel JACUBOWITZ, avocat, avenue Tedesco, n° 7, 1160 Bruxelles.

------------------------------------------------------------------------------------------------------ LE CONSEIL D'ETAT, VIe CHAMBRE,

I. OBJET DE LA REQUETE

Par une requête introduite le 6 octobre 2014, l'association sans but lucratif Association belge des syndicats médicaux, en abrégé ABSyM, et la fédération d’unions professionnelles Groupement des unions professionnelles belges de médecins spécialistes, en abrégé G.B.S., sollicitent l'annulation de "l'Arrêté Royal du 25 avril 2014 modifiant l'Arrêté Royal du 15 décembre 1987 portant exécution des articles 13 à 17 inclus de la loi sur les hôpitaux coordonnée par l'arrêté royal du 7 août 1987 publié au Moniteur Belge du 8 août 2014".

II. PROCEDURE DEVANT LE CONSEIL D'ETAT

Les droits visés à l'article 70 de l'arrêté du Régent du 23 août 1948 déterminant la procédure devant la section du contentieux administratif du Conseil d'Etat ont été acquittés dans le délai prescrit.

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Les mémoires en réponse et en réplique ont été régulièrement échangés.

Le dossier administratif a été déposé.

Mme l'Auditeur au Conseil d'Etat, Nathalie VAN LAER, a rédigé un rapport.

Le rapport a été notifié aux parties. Elles ont déposé des derniers mémoires.

Une ordonnance du 9 septembre 2015, notifiée aux parties, fixe l'affaire à l'audience du 14 octobre 2015 à 10 heures.

M. le Conseiller d'Etat, Serge BODART, a exposé son rapport.

Me Michel VANDEN DORPE, avocat, comparaissant pour la partie requérante, et Me Kevin POLET, loco Me Emmanuel JACUBOWITZ, avocat, comparaissant pour la partie adverse, ont présenté leurs observations.

Mme le Premier auditeur au Conseil d'Etat, Nathalie VAN LAER, a été entendue en son avis conforme.

Il est fait application du titre VI, chapitre II, des lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973.

III. EXPOSE DES FAITS

Le 8 août 2014 est paru au Moniteur belge un arrêté royal du 25 avril 2014 modifiant l'arrêté royal du 15 décembre 1987 portant exécution des articles 13 à 17 inclus de la loi sur les hôpitaux, coordonnée par l'arrêté royal du 7 août 1987. Il s'agit de l'acte attaqué.

Cet arrêté comporte deux volets critiqués par les requérants : un premier volet relatif à la tenue d'un dossier personnel pour chaque médecin hospitalier qui accomplit des prestations dans l'hôpital et un deuxième volet relatif à l'organisation d'un audit médical ciblé lorsque le médecin en chef estime que le bon fonctionnement en matière de gestion du risque et de sécurité du patient au sein du département médical est compromis.

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IV. RECEVABILITE

IV.1 Thèse de la partie adverse

La partie adverse soulève une exception d'irrecevabilité, tirée du défaut d'intérêt personnel au recours dans le chef des parties requérantes.

En ce qui concerne l'association sans but lucratif Association belge des syndicats médicaux (en abrégé ABSyM), elle expose qu'une organisation professionnelle, même personnifiée, ne peut se substituer à ses membres dans la défense des intérêts de ceux-ci de telle sorte qu'elle ne justifie pas de l'intérêt requis pour introduire la présente procédure en vue de protéger les intérêts des médecins. Elle soutient ensuite que l'objet du recours ne rentre pas dans l'objet social de la première requérante, car si celle-ci a pour but "d'assurer, au besoin, la défense de ses membres devant toute instance judiciaire ou autre", ses membres ne sont pas des médecins, mais, d'une part, des personnes morales (des chambres syndicales de médecins) et, d'autre part, des personnes physiques en leur qualité de délégué des chambres syndicales ou des syndicats médicaux (et non donc en tant que médecin).

En ce qui concerne la fédération d'unions professionnelles Groupement des unions professionnelles belges de médecins spécialistes (en abrégé, le G.B.S.), la partie adverse observe qu'il s'agit d'une fédération d'unions professionnelles et que les membres pour lesquels un droit d'ester en justice lui est reconnu sont les unions professionnelles belges de médecins spécialistes. Elle souligne que l'arrêté attaqué ne porte pas atteinte aux droits individuels des unions professionnelles belges de médecins spécialistes de telle sorte que le G.B.S. ne dispose pas de l'intérêt requis.

IV.2. Décision du Conseil d'Etat

Une association de défense – même dotée de la personnalité juridique – ne peut défendre les intérêts individuels de ses membres, exception faite des unions professionnelles. Elle est, en revanche, recevable à agir lorsqu'elle justifie d'un intérêt collectif spécifique, distinct des intérêts individuels de ses membres ou de certains d'entre eux et pourvu que cet intérêt collectif relève de sa spécialité.

En l'espèce, l'ABSyM a, selon l'article 2 de ses statuts, notamment pour objet social "(2) de rechercher et provoquer, par tous moyens, l'adoption par tout organisme des mesures qu'elle juge utiles aux intérêts des médecins", "(3) d'assurer la

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représentation, la protection et la défense des intérêts de ses membres, de coordonner toute action consacrée à la défense professionnelle des médecins, "(4) d'étudier, d'encourager et de réaliser tout ce qui, en matière sociale, financière, économique, technique, scientifique, juridique et fiscale, dans les domaines matériel et moral, peut être utile à ses membres", "(6) d'étudier l'application et les répercussions des lois sociales, fiscales et autres sur la profession médicale" et "(7) d'assurer, au besoin, la défense de ses membres devant toute instance judiciaire ou autre". Selon l'article 6 de ses statuts, ses membres sont, d'une part, des chambres syndicales de médecins ou associations les groupant ou syndicats médicaux ayant un objet semblable et, d'autre part, les personnes physiques présentées par ces chambres ou associations, à savoir des médecins. Ces chambres syndicales – constituées sur une base géographique – ont pour membres des médecins et ont notamment pour objet de grouper ces médecins en un organisme de défense professionnel, de faire adopter par tout organisme les mesures utiles aux intérêts de leurs membres et d'assurer la défense des intérêts de ceux-ci.

La défense des intérêts des médecins membres des chambres syndicales pris dans leur ensemble relève donc de l'objet social de la première requérante. Celle-ci est, dès lors, recevable à contester une mesure qui concerne l'ensemble des médecins et non les médecins d'une seule zone géographique qui relèveraient, dans cette hypothèse, d'une seule chambre syndicale.

En l'espèce, l'arrêté royal attaqué comporte deux volets critiqués par les requérants : un premier volet relatif à la tenue d'un dossier personnel pour chaque médecin hospitalier qui accomplit des prestations dans l'hôpital et un deuxième volet relatif à l'organisation d'un audit médical ciblé lorsque le médecin en chef estime que le bon fonctionnement en matière de gestion du risque et de sécurité du patient au sein du département médical est compromis. Ces deux volets concernent l'ensemble des médecins hospitaliers, soit une part importante des médecins membres des chambres syndicales. La première requérante est, dès lors, recevable à introduire le présent recours en annulation.

La seconde partie requérante est une fédération d'unions professionnelles regroupant les unions professionnelles belges de médecins spécialistes.

Selon l'article 18 de la loi du 31 mars 1898 sur les unions professionnelles, une telle fédération jouit de la personnalité civile dans les mêmes limites et conditions que les unions professionnelles. L'article 2 de cette loi précise qu'une union professionnelle est formée exclusivement pour l'étude, la protection et le développement des intérêts professionnels de ses membres. Il se déduit de cette

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disposition qu'une union professionnelle a bien pour objet la défense des intérêts collectifs de ses membres, ce qui inclut le pouvoir d'introduire en justice les recours qu'elle estime utiles à la protection de ces intérêts collectifs.

L'article 10 de la loi du 31 mars 1898 précitée permet, en outre, aux unions professionnelles d'ester en justice pour la défense des intérêts individuels que leurs membres tiennent de leur qualité d'associés, sans préjudice du droit de ces membres d'agir directement, de se joindre à l'action ou d'intervenir dans l'instance. Il s'agit là d'un régime légal dérogatoire au régime traditionnel applicable aux associations de défense qui, en principe, ne peuvent défendre les intérêts individuels de leurs membres. Cette possibilité supplémentaire d'action offerte par la loi aux unions professionnelles n'emporte, toutefois, aucune conséquence sur la possibilité pour elles d'introduire des recours dont l'objet est la protection des intérêts collectifs de leurs membres.

En l'espèce, les deux volets de l'arrêté royal attaqué sont susceptibles de toucher une part importante des médecins spécialistes regroupés au sein des unions professionnelles de médecins spécialistes membres de la seconde requérante de telle sorte que l'introduction du présent recours concerne bien la défense de l'intérêt collectif relevant de son objet social. La seconde requérante est, dès lors, également recevable à introduire le présent recours en annulation.

V.PREMIER ET DEUXIEME MOYENS

Par un courrier télécopié du 28 avril 2015, le conseil des parties requérantes a...

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