Décision judiciaire de Conseil d'État, 18 juin 2015

Date de Résolution18 juin 2015
JuridictionVIII
Nature Arrêt

CONSEIL D'ÉTAT, SECTION DU CONTENTIEUX ADMINISTRATIF.

A R RÊ T

nº231.676 du 18 juin 2015

  1. 216.125/VIII-9722

En cause : XXXX, ayant élu domicile chez MeLaure DEMEZ, avocat, avenue Winston Churchill 253/40 1180 Bruxelles,

contre :

la Communauté française, représentée par son Gouvernement, ayant élu domicile chez MesMarc UYTTENDAELE et Patricia MINSIER, avocats, rue de la Source 68 1060 Bruxelles.

------------------------------------------------------------------------------------------------------ LE PRÉSIDENT F.F.DE LA VIIIe CHAMBRE DES RÉFÉRÉS,

Vu la requête introduite le 12 juin 2015 par XXXXtendantà la suspension,selon la procédure d'extrême urgence, de l'exécution de "l'arrêté de la Vice-Présidente et Ministre de l'Éducation, de la Culture et de l'Enfance du 5 juin 2015 décidant la suspension préventive de ses fonctions pour une période de 3 mois conformément à l'article 157bis, § 1er, de l'Arrêté royal du 22 mars 1969 fixant le statut des membres du personnel directeur et enseignant, du personnel auxiliaire d'éducation, du personnel paramédical des établissements d'enseignement, gardien, primaire, spécialisé, moyen, technique, de promotion sociale et artistique de l'État, des internats dépendant de ces établissements et des membres du personnel du service d'inspection chargé de la surveillance de cesétablissements";

VIIIexturg - 9722 - 1/20

Vu l'ordonnance du 15 juin 2015 convoquant les parties à l'audience publique du 17 juin 2015 à 9h30;

Vu la lettre du 15 juin 2015 remettant l'affaire à l'audience publique du 17 juin 2015 à 14h;

Vu la note d'observations et le dossier administratif;

Entendu, en son rapport, Frédéric GOSSELIN, conseiller d'État;

Entendu, en leurs observations, MeLaure DEMEZ, avocat, comparaissant pour la partie requérante, et MeMarc UYTTENDAELE, avocat, comparaissant pour la partie adverse;

Entendu, en son avis conforme, Paul ERNOTTE, premier auditeur au Conseil d'État;

Vu le titre VI, chapitre II, des lois sur le Conseil d'État, coordonnées le 12 janvier 1973;

Considérant que les faits utiles à l'examen du recours se présentent résumés comme suit :

  1. Le requérant est enseignant de cours en religion islamique dans des établissements d'enseignement de la Communauté française dans le primaire et le secondaire, tant inférieur que supérieur, depuis le mois d'octobre 1987, soit depuis 28 ans.

    Il exerce actuellement cette fonction, dans le degré secondaire supérieur et inférieur, au sein de l'athénée royal XXXX, depuis le 8 septembre 1995.

  2. Le 1erseptembre 2004, il a été nommé à titre définitif à cette fonction.

  3. Par un arrêt n° XXXX, le Conseil d'État a rejeté un recours introduit par le requérant dans le cadre de la procédure d'extrême urgence dirigé contre une mesure d'écartement sur-le-champ prise le 11 février 2014 par la partie adverse en raison d'agissements présumés incompatibles avec sa fonction d'enseignant.

    Cette mesure d'écartement a été levée le 18 mars 2014.

    VIIIexturg - 9722 - 2/20

    4. Par un arrêt n° XXXX, le Conseil d'État a ordonné la suspension de l'exécution d'une décision de la partie adverse du 8 avril 2015 suspendant préventivement le requérant de ses fonctions.

  4. Le 26 mars 2015, le requérant est convoqué à une audition disciplinaire "à la suite de la lettre ouverte que vous avez diffusée à la suite des incidents qui se sont déroulés à l'Athénée Royal XXXX en janvier 2015 et à la suite du rapport de mission d'enquête du 13 mai 2015 établi par les préfets coordonnateurs à la suite des mêmes incidents".

    À cette époque, la partie adverse n'entame aucune procédure de suspension préventive.

  5. Le 29 avril 2015, il est entendu par les services de la partie adverse. Le procès-verbal de cette audition, qui lui est adressé le 6 mai 2015, indique que la question suivante lui a été posée : "Êtes-vous négationniste ?". Selon ce procès-verbal, il s'en est suivi un silence, de telle manière que la question a dû être réitérée et a alors appelé la réponse suivante : "Voltaire était raciste... Pourtant n'est-il pas reconnu comme un brillant auteur. Oui, je condamne les propos négationnistes de Garaudy. Suis-je islamophobe si je conteste la politique de l'Arabie saoudite ?".

  6. Par un courriel du 8 mai 2015, à l'occasion de la relecture de ce procès-verbal, le conseil du requérant fait biffer la question précitée en indiquant : "La vraie question posée était : «Est-ce que vous adhérez à cette cause ou pas?» Jamais il n'y a eu d'hésitation de la part de Monsieur XXXX. Il a bien répondu (de manière claire) que Garaudy a été condamné par un tribunal en France et qu'il n'a pas à se positionner face à cette condamnation".

    Le requérant soutient que cette modification visait uniquement à préciser les propos réellement échangés au cours de cette audition et à rectifier ce qui n'avait pas été dit, tandis que la partie adverse considère que la première version était conforme à la question posée et à la réponse fournie. Le dossier administratif contient à ce propos une attestation sur l'honneur du 13 mai 2015 adressée au requérant et signée par les agents de la partie adverse qui ont procédé à cette audition, selon qui : " Monsieur Yvan AUFORT, Directeur, vous a posé à deux reprises la question de savoir si vous étiez négationniste et ce n'est qu'à la seconde demande que vous lui avez indiqué ce qui est repris dans le PV. Contrairement aux modifications apportées au procès-verbal, les phrases suivantes - Etes-vous négationniste ? {silence de l'intéressé} Etes-vous négationniste ? - ont bel et bien été formulées telles quelles. En guise de réponse, vous avez indiqué «Voltaire était raciste... Pourtant n'est-il pas reconnu comme un brillant auteur. Oui, je condamne les propos négationnistes de Garaudy. Suis-je islamophobe si je conteste la politique de l'Arabie saoudite?»".

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    8. Le 13 mai 2015, la partie adverse soumet pour avis au chef du culte une proposition de démission d'office. Par un courriel du 19 mai 2015, le président de l'Exécutif des musulmans de Belgique remet un avis favorable et, le même jour, la partie adverse notifie au requérant la proposition de sanction disciplinaire de la démission d'office.

  7. Le 13 mai 2015, le requérant est invité à être entendu au sujet d'une mesure de suspension préventive que la partie adverse envisage de prendre à son égard. Cette convocation mentionne ce qui suit : " Au mois de janvier 2015, à la suite des évènements tragiques qui se sont déroulés à

    Paris à la suite des attentats contre Charlie Hebdo et l'épicerie Hyper Casher, une tension particulièrement vive est apparue au sein de l'Athénée royal XXXX.

    (...)

    Dans ce contexte également, vous avez été mis en cause, notamment dans les médias, pour avoir été à l'origine de la fronde dirigée contre le professeur d'histoire pour avoir joué à cette occasion un rôle trouble ou pour avoir un caractère sulfureux;

    Ainsi mis en cause, vous avez publié, le 4 février 2015, une lettre ouverte;

    La ministre de l'Éducation, de la Culture et de l'Enfance, souhaitant faire la clarté sur les différents incidents survenus au sein de l'Athénée Royal XXXX, a chargé des préfets coordonnateurs de zone d'établir un rapport de mission d'enquête;

    Celui-ci a été déposé le 13 mars 2015 et à la suite de sa lecture et des contacts avec la préfète de l'Athénée Royal XXXX, deux types de problématiques vous concernant ont été mises en évidence;

    La première d'entre elles – qui est étrangère à la présente décision – avait trait à des faits de nature pénale (...);

    Parallèlement, une procédure disciplinaire a été engagée à votre encontre à la suite des évènements qui se sont produits en janvier 2015 au sein de l'Athénée Royal XXXX et plus particulièrement à la suite de certains propos tenus dans votre lettre ouverte du 4 février 2015 et à la suite des reproches qui vous sont faits d'avoir soutenu certains de vos élèves dans la mise en cause de leur professeur d'histoire;

    L'un des griefs retenus à votre encontre est le suivant : «L'hommage vibrant rendu à un auteur négationniste sans explicitement dénoncer les propos de celui-ci niant le génocide – et en évoquant à ce propos ses excès 'éventuels' – peut apparaître comme une caution à des propos qui violent la loi (...)»;

    L'autorité pouvait raisonnablement espérer que, dans votre défense, vous dissiperiez tout malentendu sur cette question et démontreriez que, nonobstant la circonstance que vous présentez Roger GARAUDY comme votre maître à penser, vous prendriez, sans équivoque aucune, vos distances avec les propos négationnistes de ce dernier;

    (...)".

  8. Le requérant est entendu le 27 mai 2015 et, deux jours plus tard, la partie adverse lui notifie le procès-verbal de cette audition.

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    Le 1erjuin 2015, il fait part de ses observations et de modifications de pure forme.

  9. Le 5 juin 2015, la partie adverse lui notifie sa décision de le suspendre préventivement. Après avoir repris explicitement les éléments qui figuraient dans la lettre de convocation du 13 mai 2015 précitée, cette décision énonce les considérations suivantes : " (...)

  10. Sur l'existence d'un fait nouveau

    Considérant que, contrairement à ce que soutient Monsieur XXXX, le premier fait nouveau qui a conduit l'autorité à s'interroger sur la nécessité de le suspendre préventivement n'est pas qu'il ait estimé devoir rectifier un procès-verbal d'audition, mais bien que l'autorité compétente en matière disciplinaire a estimé qu'il devait faire l'objet de la sanction lourde de la démission disciplinaire;

    Considérant que cette proposition de sanction se fonde non seulement sur le fait que «Monsieur XXXX ne se contente pas, comme il l'a fait dans sa lettre ouverte, de considérer que Roger GARAUDY, présenté comme son maître à penser, peut tout au plus se voir reprocher 'd'éventuels excès' mais il se refuse, après réflexion, à exprimer de manière inconditionnelle, et indépendamment d'une décision de justice par rapport à laquelle il estime ne pas avoir à se...

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