Décision judiciaire de Conseil d'État, 23 décembre 2014

Date de Résolution23 décembre 2014
JuridictionVI
Nature Arrêt

CONSEIL D'ETAT, SECTION DU CONTENTIEUX ADMINISTRATIF.

A R R E T

nº 229.699 du 23 décembre 2014

G./A.214.089/VI-20.296

En cause : 1. la société anonyme ALSTOM BELGIUM, 2. la société anonyme VAN DEN BERG, 3. la société anonyme ENGEMA, 4. la société anonyme LOUIS STEVENS EN CO,

ayant formé la société momentanée AVES,

ayant élu domicile chez

Mes Vincent OST et

Maxime VANDERSTRAETEN, avocats, chaussée de La Hulpe, n° 120, 1000 Bruxelles,

contre :

la société anonyme de droit public INFRABEL,

ayant élu domicile chez

Me Marie VASTMANS, avocat, avenue Tedesco, n° 7, 1060 Bruxelles.

Parties intervenantes :

1. la société anonyme SIEMENS, 2. la société anonyme COFELY FABRICOM,

ayant formé la société momentanée

SIEMENS-FABRICOM,

ayant élu domicile chez

Mes William TIMMERMANS, Jolijn WEYTJENS et Julien GAUL, avocats, avenue du Port, n° 86C, B 414, 1000 Bruxelles.

------------------------------------------------------------------------------------------------------ LE CONSEIL D'ETAT, VIe CHAMBRE, SIEGEANT EN REFERE,

  1. OBJET DE LA REQUETE

    Par une requête introduite le 29 octobre 2014, la société anonyme ALSTOM BELGIUM, la société anonyme VAN DEN BERG, la société anonyme ENGEMA et la société anonyme LOUIS STEVENS EN CO, ayant formé la société momentanée AVES, demandent la suspension, selon la procédure d'extrême urgence,

    VIr – 20.296 - 1/25

    de l'exécution de "la décision du conseil d'administration d'Infrabel du 14 octobre 2014 par laquelle le marché public de travaux «ETCS - L2 + IL» a été attribué à la société momentanée Siemens-Fabricom pour un montant de 510.035.970,81 euros".

    Par une requête introduite le 12 décembre 2014, les sociétés anonymes ALSTOM BELGIUM, VAN DEN BERG, ENGEMA, LOUIS STEVENS EN CO demandent l'annulation de la même décision.

  2. PROCEDURE DEVANT LE CONSEIL D'ETAT

    Une ordonnance du 5 novembre 2014, notifiée aux parties, convoque celles-ci à comparaître le 10 décembre 2014 à 10 heures 30 et décide que l'affaire sera examinée par une chambre composée de trois membres conformément à l'article 90, §1er, alinéa 4 des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat.

    La partie adverse a fait parvenir une note d'observations et le dossier administratif.

    La société anonyme SIEMENS et la société anonyme COFELY-FABRICOM, ayant formé la société momentanée SIEMENS-FABRICOM, ont, par une requête introduite le 21 novembre 2014, demandé à être reçues en qualité de parties intervenantes dans la procédure en référé d'extrême urgence.

    Les droits visés à l'article 70 de l'arrêté du Régent du 23 août 1948 déterminant la procédure devant la section du contentieux administratif du Conseil d'Etat ont été acquittés dans le délai prescrit.

    L'audience a été avancée à 9 heures 45 par des courriers électroniques adressés à toutes les parties le 8 décembre 2014.

    Mme le Président de chambre, Odile DAURMONT, a exposé son rapport.

    Mes Vincent OST et Maxime VANDERSTRAETEN, avocats, comparaissant pour les parties requérantes, Mes Marie VASTMANS, Anne FEYT et François VISEUR, avocats, comparaissant pour la partie adverse et Mes William TIMMERMANS, Jolijn WEYTJENS et Julien GAUL, avocats, comparaissant pour les parties intervenantes, ont présenté leurs observations.

    M. le Premier auditeur au Conseil d'Etat, Laurent JANS, a été entendu en son avis conforme.

    VIr – 20.296 - 2/25

    Il est fait application du titre VI, chapitre II, des lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973.

  3. EXPOSE DES FAITS

  4. 1. A la suite de la collision ferroviaire du 15 février 2010, INFRABEL et la Société Nationale des Chemins de fer Belge, en abrégé la S.N.C.B., ont présenté à la commission spéciale chargée d'examiner les conditions de sécurité du rail en Belgique à la suite du dramatique accident survenu à Buizingen, un plan d'investissement "masterplan ETCS", estimé à 3,7 milliards d'euros, en vue de couvrir l'ensemble du rail belge de systèmes de contrôle de la vitesse des trains et d'arrêt d'urgence à partir de 2022.

    Le marché litigieux, intitulé "ETCS-L2+IL" porte sur une partie du masterplan susvisé, en substance, sur le développement, la fabrication, la livraison, la programmation et l'installation de tous les systèmes requis pour la réalisation du système de protection du trafic ferroviaire "European Train Control System", en abrégé E.T.C.S., de niveau 2, sur une partie du réseau ferroviaire belge ainsi que des systèmes d'enclenchement électroniques nécessaires au fonctionnement de ce système de protection.

    L'objectif de l'"E.T.C.S." est, notamment, d'instaurer un système de protection automatique des trains ("Automatic Train Protection", en abrégé A.T.P.), uniforme dans l'Union européenne ainsi que des équipements standardisés pour les consignes de vitesse dans les véhicules sur rails.

    Ce système assure une communication informatisée entre les signaux placés au bord des voies (ou l'ordinateur qui les actionne) et l'ordinateur à bord de la cabine de conduite du train qui capte les informations sur la signalisation. Il permet ainsi non seulement au conducteur du train d'être informé, en permanence, d'éventuels dangers ainsi que de la vitesse maximale à adopter mais encore il provoque, en cas de besoin, le freinage d'urgence du train.

    Avec l'E.T.C.S. de niveau 2, la vitesse à maintenir est directement indiquée dans la cabine de conduite des véhicules. Les fonctions du système de protection automatique des trains (A.T.P.) sont réalisées grâce à la transmission de données par un réseau de communication numérique dénommé "GSM-R". En outre, la position des trains peut être déterminée précisément à tout moment, ce qui permet de mieux gérer le trafic.

    VIr – 20.296 - 3/25

    L'indication "IL", qui précise encore l'objet du marché litigieux, désigne l'enclenchement électronique de la signalisation dans la zone d'action d'un poste d'aiguillage (jonction, croisement de rails notamment).

  5. 2. L'avis de marché a été publié le 6 avril 2011 au Bulletin des adjudications et le 12 avril 2011 au Journal officiel de l'Union européenne.

    Le mode d'attribution du marché est celui de la procédure négociée avec publicité.

    Le 26 janvier 2012, la partie adverse a sélectionné plusieurs candidatures dont celles des parties requérantes et du futur attributaire. Le cahier spécial des charges leur a été envoyé le 20 avril 2012.

    A la suite de réunions d'information avec les candidats soumissionnaires, une deuxième et une troisième version du cahier spécial des charges (baseline 2 et 3 ou BL 2 et 3) ont été adoptée les 23 juillet et 28 août 2012.

    Les premières offres ont été déposées le 1er octobre 2012.

    Après l'examen de ces offres, de nouvelles versions du cahier spécial des charges sont élaborées : BL 4, BL 5 et BL 6, de sorte que de nouvelles offres sont déposées le 15 juillet 2013.

    Entre les mois d'octobre et de décembre 2013, de nouvelles négociations ont lieu et aboutissent aux modifications suivantes : BL 7, BL 8, BL 9, BL 9 RFP 2 et BL 9 RFP 2 - 2.

    La réception des offres adaptées s'est déroulée le 16 décembre 2013.

    La partie adverse écrit, dans sa note d'observation, point 28, qu'"en janvier 2014, constatant que des offres conformes avaient enfin été remises par des soumissionnaires, INFRABEL a procédé au «gel technique et administratif» des offres et a demandé une offre financière finale aux deux soumissionnaires ayant remis une offre conforme […]. Le 13 janvier 2014, les BAFFO sont réceptionnées par INFRABEL".

    La partie adverse invoque l'arrêt n° 226.429 du 13 février 2014 "dans lequel la rédaction intégrale en anglais des spécifications techniques d'un marché de fourniture de produits informatiques a justifié la suspension de la décision

    VIr – 20.296 - 4/25

    d'attribution du marché" pour justifier qu'elle ait fait traduire les documents techniques du cahier spécial des charges.

    Le 15 septembre 2014, les documents traduits sont envoyés aux soumissionnaires.

    Le 22 septembre 2014, tant les requérantes que le futur adjudicataire confirment, sans aucune modification selon la partie adverse, les offres qu'elles avaient déposées au mois de janvier 2014.

    Le 14 octobre 2014, la décision attaquée est prise.

  6. REQUETE EN INTERVENTION

    Par une requête introduite le 21 novembre 2014, la société anonyme SIEMENS et la société anonyme COFELY-FABRICOM, ayant formé une société momentanée SIEMENS-FABRICOM, demandent à intervenir dans la procédure en référé d'extrême urgence.

    En tant qu'attributaires du marché public litigieux, elles ont un intérêt suffisant à intervenir dans le cadre de la présente procédure. Il y a lieu d'accueillir cette requête.

    V. PREMIER MOYEN

  7. 1. Thèses des parties

    A. Requête

    Le premier moyen est pris de "la violation des articles 17 et 39 de la loi du 24 décembre 1993 relative aux marchés publics et à certains marchés de travaux, de fourniture et de services, de l'article 110bis de l'arrêté royal du 10 janvier 1996 relatif aux marchés publics de travaux, de fournitures et de services dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des services postaux, du titre VIII de la partie 1 du cahier spécial des charges, du principe Patere legem quam ipse fecisti, du principe de l'égalité de traitement entre soumissionnaires, de l'obligation de transparence, du principe de proportionnalité, des articles 2 et 3 de la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs, de l'erreur manifeste d'appréciation et de l'excès de pouvoir".

    VIr – 20.296 - 5/25

    Les sociétés requérantes exposent que "la partie adverse a procédé, après l'ouverture des offres, à des modifications nombreuses et substantielles de l'objet et des spécifications du marché, alors que les dispositions et principes visés au moyen s'opposent à ce que la partie adverse modifie les conditions essentielles du cahier spécial des charges après l'ouverture des offres, et que, à tout le moins, la partie adverse se devait de laisser aux soumissionnaires un temps suffisant pour proposer une offre adaptée au cahier des charges ainsi modifié".

    Elles font...

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