Décision judiciaire de Conseil d'État, 19 juin 2014

Date de Résolution19 juin 2014
JuridictionVIII
Nature Arrêt

CONSEIL D'ÉTAT, SECTION DU CONTENTIEUX ADMINISTRATIF.

A R R Ê T

nº 227.749 du 19 juin 2014

A. 206.639/VIII-8210

En cause : ROEMEN Colin, rue Vaudaigle 6 5300 Groynne,

contre :

la société anonyme de droit public bpost,

ayant élu domicile chez

Me Chris VAN OLMEN, avocat, avenue Louise 221 1050 Bruxelles.

------------------------------------------------------------------------------------------------------ LE CONSEIL D'ÉTAT, VIIIe CHAMBRE,

Vu la requête introduite le 11 octobre 2012 par Colin ROEMEN qui demande l'annulation de "la décision prise par Monsieur Mark MICHIELS, membre du Comité de Direction de bpost en charge des Ressources Humaines, le 13 août 2012, d'infliger au requérant la peine disciplinaire de la révocation en date du 18 avril 2011";

Vu les mémoires en réponse et en réplique régulièrement échangés;

Vu le rapport de M. CUVELIER, premier auditeur au Conseil d'État, rédigé sur la base de l'article 12 du règlement général de procédure;

Vu la notification du rapport aux parties et les derniers mémoires;

Vu l'ordonnance du 7 avril 2014 fixant l'affaire à l'audience publique du 23 mai 2014;

Entendu, en son rapport, M. CAMBIER, conseiller d'État;

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Entendu, en leurs observations, Me Monique DETRY, avocat, comparaissant pour la partie requérante, et Me Vincent VUYLSTEKE, loco Me Chris VAN OLMEN, avocat, comparaissant pour la partie adverse;

Entendu, en son avis conforme, M. CUVELIER, premier auditeur;

Vu le titre VI, chapitre II, des lois sur le Conseil d'État, coordonnées le 12 janvier 1973;

Considérant que les faits utiles à l'examen du recours se présentent comme suit :

  1. Le requérant occupait la fonction de chauffeur permis CE (classe D.3) pour la partie adverse au centre de tri de Charleroi X.

  2. Dans la nuit du 19 au 20 août 2010, une altercation, au cours de laquelle des insultes et des coups sont échangés, a lieu sur le parking du centre de tri de Charleroi. Le requérant en est l'un des protagonistes. Il est entendu par la police locale de la zone Bruneau vers 3 heures du matin ainsi que d'autres collègues. L'un de ceux-ci affirme que le point de départ de la rixe est une insulte à caractère raciste proférée par le requérant.

  3. Les 20, 23, 24, 26 et 27 août 2010, ainsi que les 3 et 8 septembre 2010, des demandes d'informations (modèle 9) sont remises aux acteurs de l'altercation, ainsi qu'à d'autres agents du service. Certains agents interrogés font état d'un harcèlement dont ils estiment avoir été victime de la part du requérant (tenue de propos menaçant, insultant voire racistes). La plupart de ces témoignages ne se rapportent cependant pas à l'incident du 19 août 2010.

  4. Au sujet de cet incident, le dossier administratif contient des procèsverbaux d'auditions de témoins réalisés par la zone de police Mons-Quévy. Le témoin le plus direct des faits, Dominique CLAES, fait valoir le 23 août 2010 que son "collègue intérimaire d'origine marocaine les (lire le requérant et M. BURION) attendait avec son frère afin d'en découdre au sujet d'un harcèlement sur le lieu du travail". Dans une audition subséquente du 27 août 2010, il fait valoir qu' "une collègue (Mme BRANCARD) arrivée entre-temps, a tenté d'intervenir pour finalement y renoncer et prendre du recul, car verbalement menacée à son tour par le frère d'Hamed". Dans sa déclaration du 26 août 2010, Magda BRANCART déclare qu'elle a effectivement tenté de calmer les agresseurs mais sans y parvenir tout en faisant valoir que "l'un des agresseurs reproche à mes collègues d'avoir insulté leur mère et leur religion".

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    5. Le 30 septembre 2010, le requérant est écarté de son service. Le même jour, Claude PLUMAT, Manager CTI/Transport et chef immédiat du requérant, propose la sanction disciplinaire de la révocation pour les motifs suivants : " Le 19/8/2010, violence sur le lieu de travail causée par des propos racistes

    - tenue répétée de propos discriminatoires à caractère raciste, démontrés par six témoignages écrits de victimes de ces propos, corroborés par plusieurs témoins. L'agent lui-même reconnaît avoir "blagué" sur ces sujets.

    Ces faits très graves sont en contradiction avec l'article 22 du règlement de travail de l'entreprise relatif à la violence ou harcèlement moral ou sexuel au travail et l'article 23 relatif à la discrimination. L'entreprise ne peut accepter de tels comportements, le lien de confiance est rompu et rend toute collaboration ultérieure impossible".

  5. Le 4 octobre 2010, Thierry DURVAUX, Union Relations Director, décide de suspendre préventivement le requérant dans l'intérêt du service, de réduire son traitement et de le priver de la faculté de faire valoir ses titres à la promotion et à l'avancement de traitement.

  6. Le 6 octobre 2010, le requérant est entendu et il annonce qu'il va transmettre des explications complémentaires dans les dix jours. Dans ses explications complémentaires, il nie avoir tenu des propos racistes, mais admet avoir fait certaines réflexions sous forme de plaisanteries et il joint des attestations d'anciens collègues qui lui sont favorables.

  7. Le même jour, le requérant introduit un recours devant la commission de recours contre la décision de suspension préventive dans l'intérêt du service.

  8. Les 12, 13 et 15 novembre 2010, de nouvelles demandes d'informations (modèle 9) sont transmises à la suite des justifications complémentaires apportées par le requérant.

  9. Le 10 décembre 2010, Claude PLUMAT, chef immédiat du requérant, décide de lui infliger la peine disciplinaire de la révocation. Cette décision est motivée comme suit : " […] J'ai lu vos justifications complémentaires avec la plus grande attention.

    Bien que vous le niez, la bagarre du 19 août 2010 a pour cause des propos à caractère raciste tenus envers l'intérimaire et cela, avant cette bagarre. Cette conclusion se fonde tant sur les déclarations de vos agresseurs, que sur l'absence d'une autre motivation éventuelle et sur les déclarations convergentes de certains de vos collègues quant à votre comportement et vos propos habituellement racistes.

    Quoi qu'il en soit, ces faits font apparaître le caractère inacceptable de votre comportement. Les déclarations des différents témoins confirment votre attitude insultante à l'égard de vos collègues. Ces témoignages ont été portés à votre

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    connaissance par le biais d'un formulaire modèle 9 le 8 septembre 2010. Pour rappel, il ressort de ces témoignages que : - un collègue déclare que vous lui avez dit «sale arabe, comment as-tu fait pour épouser une marocaine, il faut que tu divorces, tes enfants sont des bâtards, j'interdis le mélange des races. Marlouf, les femmes marocaines sont des rats qui font des enfants à tour de jambes, toutes des putes, elles sont voilées parce qu'elles sont moches». Il ajoute que vous lui avez demandé de ne plus fréquenter certains collègues car «ce sont des négros»; - un autre collègue affirme que vous lui avez dit «je ne comprends pas pourquoi la poste recrute des étrangers alors qu'il y a tant de belges sans emploi»; - un troisième affirme que vous l'avez invité à retourner dans son pays; - un quatrième collègue indique que vous avez eu des réflexions déplacées à l'égard de sa famille, notamment en qualifiant sa femme de «brésilien»; - un cinquième collègue affirme que vous l'avez traité «comme un chien» et lui avez notamment dit «les noirs ne comprennent rien»; - un sixième collègue fait état de moqueries concernant ses convictions et signale que vous avez dit, à son propos «j'avais beau lui dire que la Mecque n'était pas de ce côté, mais rien à faire, il a continué à prier du mauvais côté. En plus, il a voulu que l'on s'arrête pour préparer son thé à la menthe le long de la route mais j'ai refusé».

    Vous contestez ou minimisez ces propos. Cependant, le nombre important de témoignages et leur concordance constituent incontestablement une preuve des faits qui vous sont reprochés. La gravité de vos propos exclut toute possibilité de les minimiser ou de les mettre sur le compte de l'humour.

    Par ailleurs, il va de soi que ce dossier ne concerne aucunement votre vie privée ou vos convictions. Il est basé sur des faits confirmés par des témoins et s'étant produits dans le cadre de la vie professionnelle. Comme tout dossier disciplinaire, il est instruit à charge et à décharge.

    Par ailleurs, vous n'apportez aucun élément nouveau quant à la discordance entre vos déclarations et celles des témoins.

    Vous parlez de complot impliquant le management et les témoins et sousentendez que les témoins craignent des «représailles», ce qui orienterait leurs réponses. Cette «théorie du complot» n'est pas recevable dans la mesure où le temps, les ressources à mettre en œuvre et le nombre de personnes impliquées rendent cette théorie tout simplement irréalisable.

    La collaboration avec les agents intérimaires a été suspendue suite à l'incident. C'est à leur employeur, soit à l'agence d'intérim, qu'il appartient de donner suite à ces faits qui ont déterminé la fin de leur collaboration avec La Poste.

    Vous parlez de «harcèlement» alors que, comme vous l'indiquez vous-même, votre superviseur vous demandait simplement de faire votre travail selon votre OSP.

    Les déclarations en votre faveur que vous fournissez viennent de quatre anciens collègues qui ont travaillé avec vous par le passé et non de collègues actuels du CTI. Ils n'ont pas assisté aux faits et ne peuvent juger du contexte global dans lequel les faits se sont produits. Ils ne peuvent donc pas être valablement pris en compte alors que les déclarations des témoins, collègues actuels du CTI, confirment les différents propos à caractère raciste qui vous sont reprochés.

    Pour tous ces motifs, je maintiens la révocation qui est la sanction adéquate pour les faits très graves qui vous sont reprochés et qui sont confirmés par les déclarations des témoins. La Poste est une entreprise qui ne peut cautionner des comportements à caractère raciste ou discriminatoires.

    Il est utile...

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