Décision judiciaire de Conseil d'État, 26 mars 2014

Date de Résolution26 mars 2014
JuridictionVIII
Nature Arrêt

CONSEIL D'ÉTAT, SECTION DU CONTENTIEUX ADMINISTRATIF.

A R R Ê T

no 226.888 du 26 mars 2014

  1. 210.995/VIII-9045

En cause : JAMOTTE Hugo, ayant élu domicile chez Mes Benoît CAMBIER et Pauline LAGASSE, avocats, avenue Winston Churchill 253/40 1180 Bruxelles,

contre :

l'État belge, représenté par le ministre de la Justice, ayant élu domicile chez Mes Philippe LEVERT et Mathieu VELGHE, avocats, avenue Louise 149/22 1050 Bruxelles.

---------------------------------------------------------------------------------------------------- LE PRÉSIDENT F.F. DE LA VIIIe CHAMBRE DES RÉFÉRÉS,

Vu la requête unique introduite le 9 décembre 2013 par Hugo JAMOTTE tendant, d'une part, à la suspension de l'exécution de "l'arrêté ministériel du 10 octobre 2013 décidant de lui infliger la peine disciplinaire de la démission d'office" et, d'autre part, à l'annulation de cette décision;

Vu la note d'observations et le dossier administratif;

Vu le rapport de Mme BEECKMAN DE CRAYLOO, premier auditeur au Conseil d'État, rédigé sur la base de l'article 12 de l'arrêté royal du 5 décembre 1991 déterminant la procédure en référé devant le Conseil d'État;

Vu l'ordonnance du 6 février 2014 fixant l'affaire à l'audience publique du 25 mars 2014;

Vu la notification de l'ordonnance de fixation et du rapport aux parties;

Entendu, en son rapport, Mme VANDERNACHT, conseiller d'État;

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Entendu, en leurs observations, Me Benoît CAMBIER, avocat, comparaissant pour la partie requérante, et Me Mathieu VELGHE, avocat, comparaissant pour la partie adverse;

Entendu, en son avis conforme, Mme BEECKMAN DE CRAYLOO, premier auditeur;

Vu le titre VI, chapitre II, des lois sur le Conseil d'État, coordonnées le 12 janvier 1973;

Considérant que les faits utiles à l'examen du recours se présentent comme suit :

  1. Le requérant est né le 23 juin 1964. Entré en fonction le 1er décembre 1998 en qualité d'agent pénitentiaire, il est affecté à la prison d'Arlon depuis le 21 avril 1999. Il est promu chef de quartier le 1er juin 2004.

  2. Le 4 mars 2004, des photos de Marc DUTROUX dans son quartier cellulaire sont publiées dans le journal "Paris Match".

    Le requérant est accusé d'avoir pris ces photos à l'occasion de la garde qu'il effectuait le 2 février 2004. Une instruction pénale est ouverte à son encontre pour corruption passive et atteinte à la vie privée dans l'exercice de ses fonctions.

  3. Le 5 mars 2004, le requérant fait l'objet d'une mesure d'interdiction temporaire d'accès à l'établissement pénitentiaire, dans l'intérêt du service, en application de l'arrêté royal du 14 mai 1971 portant instructions spéciales applicables aux agents des services extérieurs de l'administration des établissements pénitentiaires.

  4. Un arrêté ministériel du 4 avril 2006 suspend le requérant de ses fonctions dans l'intérêt du service; le président du comité de direction propose de le suspendre de la faculté de faire valoir ses titres à la promotion et à l'avancement dans son échelle de traitement.

  5. Sur un recours du requérant, la mesure de suspension est confirmée par un arrêté ministériel du 23 avril 2007.

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    6. Le 21 juin 2006, le Tribunal correctionnel d'Arlon déclare établies les préventions suivantes retenues à charge du requérant et ordonne la suspension simple du prononcé : " - Étant fonctionnaire ou officier public, dépositaire ou agent de l'autorité ou de la force publique, en l'espèce, agent pénitentiaire, exécuté un acte arbitraire et attentatoire aux libertés et aux droits garantis par la Constitution autres que ceux visés aux articles 147 et 148 du Code pénal, en l'espèce le droit au respect de la vie privée garanti par l'article 22 de la Constitution, en prenant, en vue de leur publication, des photos du prévenu Marc DUTROUX et de son collègue, l'agent pénitentiaire Georges GERARD, à leur insu; - Exerçant une fonction publique, en l'espèce celle d'agent pénitentiaire, commis l'infraction de corruption passive en sollicitant ou acceptant, directement ou par interposition de personnes, un avantage de toute nature, en l'espèce une somme indéterminée d'argent, pour lui-même, en rémunération d'un délit commis à l'occasion de l'exercice de sa fonction, soit un acte arbitraire et attentatoire au respect de la vie privée du détenu Marc DUTROUX et de son collègue, l'agent pénitentiaire Georges GERARD".

  6. Après un appel du ministère public et du requérant, un arrêt du 3 octobre 2007 de la Cour d'appel de Liège confirme le jugement du 21 juin 2006 du Tribunal correctionnel d'Arlon et refuse la suspension du prononcé.

  7. Le 22 octobre 2007, le parquet près la Cour d'appel de Liège transmet au ministre de la Justice une copie de l'arrêt précité. Le 30 octobre 2007, la ministre transmet l'arrêt précité au directeur principal de la prison d'Arlon.

  8. Le 19 novembre 2007, le conseiller-directeur de la prison d'Arlon, informe le requérant qu'il initie à son encontre une procédure disciplinaire relative à sa responsabilité dans l'affaire des photos de Marc DUTROUX, prises à la prison d'Arlon et le convoque pour une audition le 3 décembre 2007.

    À la demande du délégué syndical du requérant, cette audition est reportée au 5 décembre 2007.

  9. Le 5 décembre 2007, le requérant est entendu par le conseiller-directeur de la prison d'Arlon.

    Le 11 décembre 2007, le requérant lui remet le procès-verbal de cette audition, accompagné d'une lettre dans laquelle il conteste les faits et déclare être en possession d'éléments nouveaux postérieurs au jugement, mais dont la Cour d'appel de Liège n'a pas tenu compte.

  10. Le même jour, le conseiller-directeur de la prison d'Arlon adopte la proposition provisoire de peine disciplinaire de la révocation, qu'il notifie par une

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    remise au requérant, le 12 décembre 2007, et par un courrier du 18 décembre 2007, au comité de direction du SPF Justice.

  11. Le 17 janvier 2008, le comité de direction convoque le requérant à une audition, le 13 février 2008.

  12. Le 28 février 2008, le comité de direction émet à l'unanimité la proposition définitive suivante de la peine disciplinaire de la révocation : " (...)

    Attendu que cette proposition a été notifiée à l'agent le 11 décembre 2007 et transmise au Comité de direction le 18 décembre 2007;

    Vu la saisine du Comité intervenue le 16 janvier 2008;

    (…)

    Attendu que les faits établis sont incompatibles avec la fonction d'agent pénitentiaire, a fortiori de chef de quartier, et rendent impossible toute collaboration avec un agent qui a brisé de manière irréversible le lien de confiance et de loyauté que l'autorité est en droit d'attendre de ses agents,

    Qu'ils se situent de surcroît dans un contexte particulièrement tendu et sensible, peu de temps avant le début du procès de Marc DUTROUX;

    Attendu que M JAMOTTE a violé le principe de loyauté et le devoir de réserve inhérent à sa fonction;

    Attendu qu'il a gravement porté atteinte à l'image de l'institution".

  13. Le 10 mars 2008, le requérant introduit un recours devant la chambre de recours à l'encontre de la proposition définitive du comité de direction.

  14. Le 12 septembre 2008, le requérant est convoqué à une audition devant la chambre de recours, programmée le 16 octobre 2008.

  15. Le 16 octobre 2008, le requérant est entendu par la chambre de recours et persiste à nier les faits pour lesquels il a été condamné. Il déclare connaître désormais le nom de la personne qui a communiqué les photos litigieuses et reçu de l'argent. Il déclare avoir communiqué ces faits nouveaux au président de la Cour d'appel de Liège, qui n'a pas demandé de plus amples explications.

    Il a entamé une procédure avec constitution de partie civile à l'encontre de cette personne. Cette demande a été rejetée le 26 septembre 2008, par le juge d'instruction.

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    Le requérant a chargé son avocat d'étudier la possibilité d'entamer une procédure de demande de révision de l'arrêt du 3 octobre 2007 de la Cour d'appel de Liège.

    La chambre de recours décide alors ce qui suit :

    " (…) qu'il ressort des pièces du dossier soumises à l'appréciation de la Chambre de recours que la Cour d'appel de Liège, saisie des faits justifiant la peine disciplinaire précitée, a rendu son arrêt le 3 octobre 2007 en se référant expressément à la motivation du jugement du Tribunal correctionnel d'Arlon, dont appel. Que ledit jugement n'a pas été versé en copie dans le dossier.

    (…) décide de reporter sine die l'avis qu'elle rendra dans l'attente de la transmission par le Tribunal correctionnel d'Arlon du jugement rendu le 21/06/2006 à l'encontre de Monsieur Hugo JAMOTTE".

  16. Le 13 novembre 2008, la chambre de recours écrit au Tribunal correctionnel d'Arlon afin d'obtenir une copie dudit jugement. Celui-ci lui est communiqué le lendemain.

  17. Le 8 janvier 2009, la chambre de recours convoque le requérant à l'audience du 11 février 2009. À l'issue de cette audience, la chambre de recours décide ce qui suit : " La Chambre de recours, constatant qu'en date du 21 janvier 2009, Me Olivier

    BOCLINVILLE, Avocat et chargé de la défense de Monsieur Hugo JAMOTTE a adressé un courrier à Monsieur le Procureur du Roi d'Arlon dans le but d'obtenir l'ensemble des pièces du dossier de l'intéressé dans le but d'introduire une procédure en révision de l'arrêt rendu par la Cour d'appel de Liège en date du 3 octobre 2007; (...)

    Par conséquent, la Chambre de recours décide de reporter sine die l'avis qu'elle rendra dans l'attente d'une nouvelle décision judiciaire prise dans le cadre de la procédure en révision de l'arrêt rendu par la Cour d'Appel de Liège".

  18. Répondant à une demande du 1er juin 2010 des services de la ministre de la Justice, le Procureur général près la Cour d'appel de Liège l'informe par un courrier du 9 juin 2010 qu'aucune procédure en révision de l'arrêt rendu par la Cour d'appel de Liège, le 3 octobre 2007, n'a été entamée par Me Olivier BOCLINVILLE.

    Le 16 juin 2010, le SPF Justice transmet cette information au greffier de la chambre de recours et lui demande ce qui...

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