Décision judiciaire de Conseil d'État, 18 mars 2014

Date de Résolution18 mars 2014
JuridictionVIII
Nature Arrêt

CONSEIL D'ÉTAT, SECTION DU CONTENTIEUX ADMINISTRATIF.

A R R Ê T

no 226.788 du 18 mars 2014

  1. 211.173/VIII-9071

En cause : MOYEN Patrick, ayant élu domicile chez Me Geoffroy GENERET, avocat, boulevard de l'Empereur 24 1000 Bruxelles,

contre :

l'État belge, représenté par le ministre de la Justice, ayant élu domicile chez Me Philippe SCHAFFNER, avocat, avenue Tedesco 7 1160 Bruxelles.

---------------------------------------------------------------------------------------------------- LE PRÉSIDENT F.F. DE LA VIIIe CHAMBRE DES RÉFÉRÉS,

Vu la requête unique introduite le 27 décembre 2013 par Patrick MOYEN tendant, d'une part, à la suspension de l'exécution de "l'arrêté ministériel du 24 octobre 2013 par lequel la partie adverse a décidé d'infliger au requérant la peine disciplinaire de la démission d'office" et, d'autre part, à l'annulation de cette décision;

Vu la note d'observations et le dossier administratif;

Vu le rapport de Mme BEECKMAN DE CRAYLOO, premier auditeur au Conseil d'État, rédigé sur la base de l'article 12 de l'arrêté royal du 5 décembre 1991 déterminant la procédure en référé devant le Conseil d'État;

Vu l'ordonnance du 10 février 2014 fixant l'affaire à l'audience publique du 14 mars 2014;

Vu la notification de l'ordonnance de fixation et du rapport aux parties;

Entendu, en son rapport, Mme VANDERNACHT, conseiller d'État;

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Entendu, en leurs observations, Me Pierre VANDUEREN, loco Me Geoffroy GENERET, avocat, comparaissant pour la partie requérante, et Me Emmanuel JACUBOWITZ, loco Me Philippe SCHAFFNER, avocat, comparaissant pour la partie adverse;

Entendu, en son avis conforme, Mme BEECKMAN DE CRAYLOO, premier auditeur;

Vu le titre VI, chapitre II, des lois sur le Conseil d'État, coordonnées le 12 janvier 1973;

Considérant que les faits utiles à l'examen du recours se présentent comme suit :

  1. Le requérant, né le 28 mai 1969, est assistant de surveillance pénitentiaire depuis le 30 octobre 2006. Il est affecté à l'établissement pénitentiaire de Jamioulx.

  2. Le 4 septembre 2009, le requérant arrive à son lieu de travail avec une demi-heure de retard. Il déclare à la directrice de l'établissement pénitentiaire, Christine OLIOSI, qu'il a été menacé d'une arme par deux hommes cagoulés à proximité de la prison. Les deux agresseurs auraient ensuite pris la fuite en prenant connaissance de son identité.

    Le requérant remplit une déclaration d'accident sur le chemin du travail et est placé en incapacité temporaire de travail pour une durée de quinze jours.

    Le même jour, la directrice de l'établissement pénitentiaire est entendue par la police locale et dépose plainte pour les faits d'agression subis par son agent sur le chemin du travail.

  3. Le 7 septembre 2009, une réunion de crise est organisée avec toutes les autorités concernées : prison, parquet, police … L'incident est relié aux menaces de représailles proférées par le milieu turc carolorégien à l'encontre de certains agents pénitentiaires, à la suite du décès d'un détenu lors d'une intervention, le 8 août 2009. Diverses mesures sont adoptées au sein de l'établissement pénitentiaire :

    - une extension des mesures de protection rapprochée est mise sur pied pour certains agents;

    - certains d'entre eux sont tenus de travailler avec des gilets pare-balles; - des procédures spécifiques pour les entrées et sorties de pause des agents sont établies;

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    - une présence policière permanente aux abords de la prison est requise.

  4. Le 8 octobre 2009, le requérant est réentendu par les services de police. Il avoue avoir fait de fausses déclarations et explique notamment ce qui suit : " (...) Je tiens également à ajouter que je suis actuellement suivi par une psychologue pour tenter de surmonter mes difficultés personnelles. J'ai en effet beaucoup de problèmes dans mon couple. Mes difficultés proviennent de la naissance de notre dernier enfant qui est né prématurément à six mois avec une méningite. À l'heure actuelle, nous éprouvons beaucoup de difficultés à gérer l'évolution de notre fils. Je vous explique tout cela pour un peu justifier mes actes et surtout mon état d'esprit (...)".

  5. Le 9 octobre 2009, le requérant sollicite un entretien auprès de la directrice de l'établissement pénitentiaire. Il est entendu le 12 octobre 2009. Un procès-verbal d'audition est dressé à cette date qui reprend la déclaration du requérant selon laquelle il a menti, le 4 septembre 2009, pour des raisons personnelles et familiales.

    Le même jour, il fait l'objet d'une mesure de suspension dans l'intérêt du service.

  6. Le 14 octobre 2009, le requérant est invité à être entendu, le 28 octobre 2009, par la directrice de l'établissement pénitentiaire dans le cadre d'une procédure disciplinaire dirigée à son encontre, à la suite de sa fausse déclaration du 4 septembre 2009.

  7. Le 28 octobre 2009, le requérant, accompagné de deux délégués syndicaux, est entendu sur les faits qui lui sont reprochés. Le 4 novembre 2009, le procès-verbal d'audition est remis au requérant qui le signe pour réception.

  8. Le 17 novembre 2009, la directrice de l'établissement pénitentiaire notifie au requérant la proposition provisoire de peine disciplinaire de la révocation.

  9. Le requérant fait l'objet d'une procédure pénale pour les faits suivants : " I. À Ham-sur-Heure-Nalinnes, le 4 septembre 2009, avec une intention frauduleuse de se procurer à soi-même ou de procurer à autrui un avantage, ou à dessein de nuire, commis un faux en écritures authentiques et publiques, en écritures de commerce, de banque ou en écritures privées, soit par fausses signatures, soit par contrefaçon ou altération d'écritures ou de signatures, soit par fabrication de conventions, dispositions, obligations ou décharges, ou par leur insertion après coup dans les actes, soit par addition ou altération de clauses, de déclarations ou de faits que ces actes avaient pour objet de recevoir et de constater, pour avoir notamment dans l'intention frauduleuse de faire croire en la survenance d'une agression dont il aurait été victime sur le chemin du travail et de justifier ainsi son retard, avoir fait rédiger un procès-verbal noticé 45.L9.5814-09 constatant des faits contraires à la réalité.

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    II. Dans l'arrondissement judiciaire de Charleroi, du 4 septembre au 8 octobre 2009, et avec la même intention frauduleuse ou le même dessein de nuire, fait usage de ladite fausse pièce visée sous prévention I sachant qu'elle était fausse".

    Par un jugement du 5 octobre 2012, le Tribunal correctionnel de Charleroi ordonne la suspension simple du prononcé de la condamnation du requérant, pendant une durée de trois ans. Le jugement est motivé comme suit : " Attendu qu'il convient d'adopter les motifs invoqués par le Ministère Public pour admettre les circonstances atténuantes telles que visées à l'ordre de citer;

    Attendu qu'il résulte des éléments du dossier et de l'instruction d'audience que les préventions mises à charge du prévenu, lequel est en aveux, sont établies telles que libellées;

    Qu'il reconnaît en effet avoir fait une fausse déclaration d'agression à la police pour justifier son arrivée en retard sur son lieu de travail;

    Attendu que pour l'appréciation de la peine, le tribunal tiendra compte de l'absence de tout antécédent judiciaire quelconque dans le chef du prévenu et l'ancienneté des faits (2009);

    Attendu qu'il a sollicité à l'audience du 7/09/2012, le bénéfice de la loi relative à la suspension simple du prononcé de la condamnation mesure dont il réunit les conditions;

    Que tout permettant de croire à son amendement et afin de ne pas provoquer son déclassement par une condamnation, il y a lieu de lui octroyer cette faveur".

  10. Le 1er février 2013, le parquet de Charleroi transmet ce jugement à la directrice de l'établissement pénitentiaire de Jamioulx.

  11. Par un courrier du 5 février 2013, le requérant est convoqué à une audition par la directrice de l'établissement pénitentiaire, en application de l'article 78, § 2, de l'arrêté royal du 2 octobre 1937 portant le statut des agents de l'État. Les faits reprochés au requérant sont décrits comme suit : " Le 04.09.2009 vous avez fait de fausses déclarations d'agression sur le chemin du travail.

    Pendant la période du 04.09.09 au 08.10.09, vous avez utilisé cette fausse déclaration pour faire couvrir une absence du service des suites d'un accident sur le chemin du travail.

    Pour ces faits, vous avez sollicité et obtenu du TC Charleroi le 05.12.12 une suspension simple du prononcé".

  12. Le 25 février 2013, le requérant et son délégué syndical sont entendus par la directrice de l'établissement pénitentiaire. Le procès-verbal d'audition est signé par le requérant.

  13. Par un courrier du 1er mars 2013, le requérant prend connaissance d'une proposition provisoire de peine disciplinaire de démission d'office formulée par la directrice de l'établissement pénitentiaire.

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    14. Le 14 mai 2013, le requérant est entendu par le comité de direction et le 3 juin 2013, ce dernier adopte la proposition définitive de peine disciplinaire de la démission d'office. Elle est notifiée au requérant par courrier du même jour. Cette proposition est motivée comme suit : " Attendu qu'en date du 4 septembre 2009, M. MOYEN a fait une fausse déclaration d'agression sur le chemin du travail;

    Attendu que M. MOYEN confirmera cette agression en déposant une déclaration d'accident sur le chemin du travail entraînant une interruption totale de travail;

    Attendu que l'incident supposé est intervenu dans un contexte de menaces et d'attaques du milieu turc suite au décès d'un de leurs ressortissants incarcérés;

    Attendu que cet incident a créé une psychose;

    Attendu qu'une cellule de crise a dû être créée aussi bien au niveau du Parquet de Charleroi qu'au niveau du Cabinet du Ministre de la Justice;

    Attendu que certains agents affectés notamment à la loge extérieure, les chauffeurs de cellulaires, le service de nuit extérieur ont été forcés de...

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