Décision judiciaire de Conseil d'État, 31 janvier 2014

Date de Résolution31 janvier 2014
JuridictionXV
Nature Arrêt

CONSEIL D'ÉTAT, SECTION DU CONTENTIEUX ADMINISTRATIF

A R R Ê T

nº 226.305 du 31 janvier 2014

  1. 198.790/XV-2345

    En cause : l'a.s.b.l. Terre wallonne, ayant élu domicile chez Me A. LEBRUN, avocat, Place de la Liberté 6 4030 Grivegnée,

    contre :

    la commune d'Aywaille,

    ayant élu domicile chez Me J. FLAHAUT, avocat, Place E. de Lalieux 6 bte 4 1400 Nivelles. ------------------------------------------------------------------------------------------------------

    LE CONSEIL D'ÉTAT, XV e CHAMBRE,

    Vu la requête introduite le 11 janvier 2011 par l’a.s.b.l. Terre wallonne, qui demande l’annulation «totale et subsidiairement partielle» de l’article 37 de l’ordonnance générale de police administrative portant sanction de comportements inciviques, adoptée par le conseil communal d’Aywaille le 8 novembre 2010;

    Vu le dossier administratif;

    Vu les mémoires en réponse et en réplique régulièrement échangés;

    Vu le rapport de M. M. QUINTIN, premier auditeur chef de section au Conseil d'État;

    Vu la notification du rapport aux parties et les derniers mémoires;

    Vu l'ordonnance du 9 septembre 2013, notifiée aux parties, fixant l'affaire à l'audience du 1er octobre 2013 à 9 heures 30;

    Entendu, en son rapport, M. LEROY, président de chambre;

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    Entendu, en leurs observations, Me A. LEBRUN, avocat, comparaissant pour la partie requérante et Me J. FLAHAUT, avocat, comparaissant pour la partie adverse;

    Entendu, en son avis conforme, M. QUINTIN, premier auditeur chef de section au Conseil d'État;

    Vu le titre VI, chapitre II, des lois sur le Conseil d'État, coordonnées le 12 janvier 1973;

    Faits

    Considérant que les faits utiles à l’examen du recours se présentent comme suit:

    Le 8 novembre 2010, le conseil communal d’Aywaille adopte une délibération intitulée: «ordonnance générale de police administrative - Modifications – Approbation», ainsi rédigée: «Le conseil communal, Vu la nouvelle loi communale, notamment l’article 119, alinéa 1;

    Vu le code de la démocratie locale et de la décentralisation, notamment

    l’article L.1122-30;

    Vu sa délibération du 19 août 2010 adoptant l’ordonnance générale de police administrative portant sanction de comportements inciviques;

    Vu les articles D.160 et suivants du code de l’environnement, spécialement l’article D.167 de ce code, tels qu’introduits par le décret du 5 juin 2008 relatif à la recherche, la constatation, la poursuite et la répression des infractions et les mesures de réparation en matière d’environnement;

    Considérant que les articles 39 et 40 doivent être modifiés;

    Considérant que le prescrit de l’article 41 est remplacé par le prescrit de l’article 42;

    Sur proposition du collège communal;

    ARRÊTE à l’unanimité: Article 1: L’ordonnance générale de police administrative portant sanction de comportements inciviques approuvée par le conseil communal du 19 août 2010 est modifiée en ses articles 39 à 41 comme suit

    “(suit un texte de 41 articles, dont seuls sont pertinents pour l’examen du recours un alinéa hors article et l’article 37)

    Chapitre VI. – De la propreté et de l’entretien des parcelles privées. L’obligation de nettoyage, visée aux articles 36 et 37, incombe, pour tout immeuble, terrain ou propriété, au principal occupant, personne physique ou morale.

    (...)

    Article 37.

    Sous réserve des dispositions légales applicables aux espèces et zones protégées, tout terrain ou propriété situé en zone résidentielle, agricole, industrielle ou autre et repris comme tel au plan de secteur (les accotements, trottoirs, talus, fossés, les parcs et jardins, les plaines et aires de jeu, les bois et sentiers, les cours d’eau), doit être entretenu de façon à ne pouvoir en rien nuire aux parcelles voisines (herbes en graines, chardons, orties et haies

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    envahissantes, dépôts de toutes sortes (ménagers, ménagers assimilés ou de toute autre nature)).»

    Cette délibération a été publiée par affichage le 19 novembre.

    Recevabilité

    Considérant que la partie adverse conteste la recevabilité du recours au motif que son objet social est trop large pour justifier qu’elle poursuive l’annulation de l’acte attaqué; qu’elle relève que selon l’article 2 de ses statuts, la requérante «a pour but social de défendre les sols, les arbres indigènes ou non, en ce compris ceux plantés par l’homme et la flore sauvage, en Région wallonne. Cette protection vise à contrer toute atteinte ou menace d’atteintes aux sols, cultivés ou non, notamment par infiltration, tassement, épandage de biocides ou d’intrants ainsi que toute atteinte ou risque d’atteinte à la biodiversité et à l’intégrité des espèces ou associations végétales»; qu’elle estime que cet objet social est très large, tant socialement que géographiquement et n’est pas suffisamment individualisé ni distinct de l’intérêt général;

    Considérant que les statuts de la première requérante définissent son objet social comme suit:

    L’association a pour but de défendre les sols et la flore sauvage en Région wallonne. Cette protection vise à contrer toute atteinte ou menace d’atteinte aux sols, cultivés ou non, notamment par infiltration, tassement épandage de biocides ou d’intrants ainsi que toute atteinte ou risque d’atteinte à la biodiversité et à l’intégrité des espèces ou associations végétales.

    Le but comprend aussi la mise en œuvre des voies de droit et de recours qui ont pour objectif d’assurer le respect des législations et réglementations ayant pour finalité ou effet la préservation des sols et de la flore sauvage.

    Considérant que la requête soutient que l’acte attaqué est de nature à porter atteinte à la biodiversité et à la flore sauvage; que cet acte est applicable dans la commune d’Aywaille, qui fait partie de la Région wallonne; que le recours relève, ratione materiae et ratione loci, de l’objet social de la requérante; que l’exception n’est pas fondée;

    Fond

    Considérant que la requérante prend un premier moyen de l’incompétence de l’auteur de l’acte et de la violation de l’article 162, al. 1er, 2°, de la Constitution, en ce que l’acte attaqué ne dispose d’aucune base légale dont il peut licitement se réclamer, violation combinée à l’article 544 du Code civil; qu’elle expose que:

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    – l’article 1122-30 du Code de la démocratie locale et de la décentralisation ne constitue pas une base légale spécifique pour établir des règlements de police, celleci étant circonscrite aux objets autorisés par une législation spéciale ou par la police générale, actuellement contenue dans l’article 135, § 2, de la nouvelle loi communale; – l’obligation de nettoyage prévue par l’ordonnance attaquée n’est pas en lien avec un problème de sécurité ou de salubrité; la nature sauvage n’est pas sale et elle ne doit donc pas être nettoyée; – on peut même craindre, compte tenu du caractère flou de l’obligation de nettoyage, que celle-ci s’effectue à l’aide d’herbicides qui sont susceptibles, bien davantage que les herbes sauvages en cause, de provoquer des nuisances à la santé et donc à la salubrité publique; – en tout état de cause, l’ordonnance attaquée ne démontre pas quelle est sa base légale et n’en expose pas dans son préambule les fondements; – sur le plan des faits, l’ordonnance manque totalement de justification et en ce qu’elle cible certains groupes de fleurs plutôt que d’autres; cet arbitraire absolu est assimilable à une erreur quant aux motifs; on ne voit pas sur quoi est basé l’ostracisme botanique de l’article 37 et pourquoi doivent être particulièrement ciblés les graminées, les chardons, qui sont par ailleurs régis, pour certaines espèces, par une législation fédérale, et les orties; – le Code rural, en ses articles 35 et suivants, semble suffisant pour éviter que la végétation dépassante et envahissante ne nuise aux propriétés voisines; la notion de trouble anormal de voisinage peut également y contribuer; – mais ces réglementations supérieures laissent en principe intact le droit du propriétaire de laisser se développer sur son bien un jardin sauvage ou des orties lui permettant de concocter du purin d’orties, de la soupe d’orties ou des tisanes d’orties (il y a 2.000 ans Celse en recommandait déjà l’usage thérapeutique); – certains agronomes considèrent même que les pouvoirs nutritifs de l’ortie sont tels qu’elle pourrait servir de complément alimentaire à une partie de l’humanité; à cet égard, un vieux cultivateur écrivait ce 29 décembre 2010 au conseil de la requérante une lettre dont celui-ci ne résiste pas à produire un extrait:

    Chaque année, nous produisons quelques porcs uniquement nourris à l’orge et aux orties (en remplacement du soja). Notre projet d’avenir est d’ailleurs d’essayer de produire davantage (voire toute la production) de porcs à partir de céréales produites ici en Ardennes et d’orties plantées dans nos propres terres. Les orties sont une source de protéines nobles, de minéraux, vitamines et oligo-éléments. Cette plante aux mille vertus n’est pas exigeante pas d’engrais, aucun pesticide, s’adapte à toutes les conditions climatiques et de sol de plus est généreuse en production.

    ; – le moyen, en ce qu’il vise la violation de l’article 544 du Code civil, impliquera également la violation du premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’Homme et peut se revendiquer de la décision du tribunal civil de

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    Liège du 17 février 1986 publiée dans la Jurisprudence de Liège de la même année, page 274;

    qu’en réplique, la requérante conteste que la disposition attaquée, qui s’applique à l’ensemble du végétal, soit de nature à remédier à des problèmes de propreté, de salubrité, de dérangement ou de tranquillité publics puisqu’il est dans la nature de la vie elle-même, et tout spécialement du végétal, de germer, de diffuser ses graines, de conquérir l’espace disponible, de se répandre; qu’elle nie que toutes les espèces d’orties et toutes les espèces de...

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