Décision judiciaire de Conseil d'État, 21 décembre 2012

Date de Résolution21 décembre 2012
JuridictionVIII
Nature Arrêt

CONSEIL D'ÉTAT, SECTION DU CONTENTIEUX ADMINISTRATIF.

A R R Ê T

no 221.906 du 21 décembre 2012

A. 204.928/VIII-8027

En cause : GENS Josiane, ayant élu domicile chez Mes Jean BOURTEMBOURG et Nathalie FORTEMPS, avocats, rue de Suisse 24 1060 Bruxelles,

contre :

la ville de Bruxelles, représentée par le collège des bourgmestre et échevins, ayant élu domicile chez Mes Jean-Paul LAGASSE et Frédéric VAN DE GEJUCHTE, avocats, place de Jamblinne de Meux 41 1030 Bruxelles.

---------------------------------------------------------------------------------------------------- LE PRÉSIDENT F.F. DE LA VIIIe CHAMBRE DES RÉFÉRÉS,

Vu la requête unique introduite le 21 mai 2012 par Josiane GENS tendant, d'une part, à la suspension de l'exécution de "l'arrêté du Conseil communal de la Ville de Bruxelles du 12 mars 2012 [lui] infligeant la sanction disciplinaire de la démission d'office avec effet au 20 juillet 2011, notifié par courrier recommandé le 20 mars 2012" et, d'autre part, à l'annulation de cette décision;

Vu la note d'observations et le dossier administratif;

Vu le rapport de M. BOSQUET, premier auditeur au Conseil d'État, rédigé sur la base de l'article 12 de l'arrêté royal du 5 décembre 1991 déterminant la procédure en référé devant le Conseil d'État;

Vu l'ordonnance du 21 septembre 2012 fixant l'affaire à l'audience publique du 16 octobre 2012;

VIIIr - 8027 - 1/35

Vu la notification de l'ordonnance de fixation et du rapport aux parties;

Entendu, en son rapport, M. CAMBIER, conseiller d'État;

Entendu, en leurs observations, Mes Nathalie FORTEMPS et Julie MARKEY, avocats, comparaissant pour la partie requérante, et Me Frédéric VAN

DE GEJUCHTE, avocat, comparaissant pour la partie adverse;

Entendu, en son avis contraire, M. BOSQUET, premier auditeur;

Vu le titre VI, chapitre II, des lois sur le Conseil d'État, coordonnées le 12 janvier 1973;

Considérant que les faits utiles à l'examen du recours se présentent comme suit :

  1. La requérante travaille depuis 2003 au sein du service Population de la partie adverse où elle est notamment chargée de la délivrance des cartes d'identité électroniques (CIE). Elle a été nommée à titre définitif en qualité d'adjoint administratif, le 27 novembre 2003, et promue à l'essai en qualité d'assistant administratif depuis le 1er juillet 2010.

  2. La procédure de délivrance d'une nouvelle carte d'identité électronique implique notamment qu'au moment où se fait la demande, et plus précisément avant que l'agent communal n'imprime le "document de base" qui reprend les mentions légales, la photo et la signature du citoyen (demandeur de CIE), ce dernier acquitte un droit sous forme de timbres fiscaux (ou vignettes) d'une valeur nominale de cinq euros qui doivent être apposés sur le récépissé, lequel lui est remis par l'agent traitant. Ce droit de timbre est destiné à couvrir, d'une part, les sommes payées par la ville au SPF Intérieur pour la confection de la carte et, d'autre part, une taxe communale payée à la ville par le citoyen. La procédure implique, en outre, que l'agent traitant utilise un logiciel BELPIC du SPF Intérieur auquel il se connecte en s'identifiant à l'aide de sa propre carte d'identité électronique. Ainsi, il est possible de retracer les commandes effectuées par dates, agents traitants et types de cartes demandées.

    En novembre 2009, suite à la plainte d'un citoyen, la partie adverse est avisée d'une irrégularité dans la procédure, ledit citoyen ayant acquitté le montant du droit de timbre sans qu'aucun récépissé ne lui soit remis.

    VIIIr - 8027 - 2/35

    Dès lors qu'au moment de la délivrance des cartes d'identité, les récépissés ne sont, en pratique, jamais réclamés (puisque les citoyens viennent retirer leur nouvelle carte après avoir reçu les codes PIN et PUK qui sont adressés à leur domicile par le SPF Intérieur), la partie adverse suspecte l'existence d'une fraude à grande échelle impliquant plusieurs agents de son service Population.

    Suite à cet incident, la direction du département Démographie procède à une enquête interne portant sur toute l'année 2009. D'une comparaison effectuée entre le nombre de timbres fiscaux achetés par le service Population en 2009 et le nombre de cartes d'identité électroniques délivrées au cours de cette même année, l'enquête fait apparaître un manque à gagner estimé à environ 127.000,- euros.

  3. Par une délibération du 8 février 2010, le conseil communal décide d'autoriser le collège des bourgmestre et échevins à porter plainte contre X avec constitution de partie civile.

    Il résulte de la motivation de l'acte attaqué que cette plainte contre X a été déposée le 18 mars 2010, avec identification des seules personnes susceptibles d'être impliquées dans l'incident à l'origine de la plainte. La requérante ne figure donc pas parmi les noms cités.

  4. Au début de l'année 2010, deux citoyens se plaignent oralement du fait qu'un agent du service Population, XXXX, ne leur a pas remis de récépissé attestant du paiement du droit de timbre acquitté au moment de la commande de leurs cartes d'identité. Cette plainte donne lieu à l'ouverture d'une procédure disciplinaire contre l'intéressée, qui aboutira à la sanction de la démission d'office prononcée le 18 octobre 2010. La demande de suspension contre cette décision sera rejetée (faute de moyen sérieux) par l'arrêt n° 212.874 du 29 avril 2011 et le recours en annulation le sera par l'arrêt n° 215.126 du 14 septembre 2011.

  5. Suspectant l'existence d'une fraude à grande échelle ne pouvant impliquer uniquement XXXX (puisqu'une cinquantaine d'agents coopèrent au service de délivrance des cartes d'identité), la partie adverse lance, le 28 octobre 2010, un marché public ayant pour objet l'analyse de la vente des cartes d'identité par le service Population au cours des années 2008 et 2009.

    Le 25 novembre 2010, la société ERNST & YOUNG est désignée comme adjudicataire du marché. L'objet de sa mission est "d'évaluer le manque à gagner pour la Ville de Bruxelles pour les années 2008 et 2009 sur la base des PV des permanences de jeudi soir et du travail de l'équipe mobile et, le cas échéant, de pointer les responsabilités".

    VIIIr - 8027 - 3/35

    La société ERNST & YOUNG transmet son rapport définitif à la partie adverse le 28 juin 2011.

    Pour chaque année 2008 et 2009, le rapport procède à une estimation en euros du total des droits de timbre qui auraient dû être perçus compte tenu des données relatives aux cartes d'identité électroniques (CIE) commandées par les agents en se connectant au logiciel BELPIC du SPF Intérieur (au moyen de leurs cartes d'identité électroniques). Le rapport procède, en outre, à une évaluation de l'encaisse en euros correspondant aux timbres fiscaux de 5,- euros ("sortis" de la recette) qui sont censés avoir été utilisés (respectivement en 2008 et 2009) sur les récépissés de commandes de CIE. La comparaison des résultats obtenus (en tenant compte d'une majoration de droits pour les CIE urgentes et très urgentes, ainsi que des timbres fiscaux utilisés pour la comptabilité auxiliaire), fait apparaître les manques à gagner suivants : - pour l'année 2008 : 39.905,- euros - pour l'année 2009 : 137.060,- euros

    Le rapport ne détermine pas les responsabilités individuelles mais précise toutefois selon quelle méthodologie il serait possible d'identifier des agents responsables de fraudes. En substance, il est précisé qu'il est possible d'identifier les agents (travaillant au guichet) au travers du logiciel BELPIC qu'ils utilisent (en s'identifiant à l'aide de leur numéro de registre national) lors des commandes de cartes d'identité, et que ce logiciel permet encore de retracer, pour chaque carte commandée, la date de l'opération et la catégorie de carte (adultes, enfants, ou étrangers). Le rapport propose d'effectuer un contrôle focalisé sur les jeudis soirs de 16h00 à 18h30 au motif que, pendant ce laps de temps relativement court, il est vraisemblable que l'agent reste à son guichet sans s'absenter et se faire remplacer, et de rechercher et d'analyser les écarts flagrants pouvant être constatés entre les droits de timbre qui auraient dû être perçus lors des commandes de cartes et le nombre de timbres utilisés pouvant être déduits des PV d'entrée et de sortie de caisse.

  6. Parallèlement à l'audit externe de la société ERNST & YOUNG, la partie adverse charge sa cellule d'audit interne de rassembler des informations devant permettre de déterminer, pour chacun des cinquante-sept collaborateurs du service Population, l'existence d'écarts entre le nombre de CIE commandées et le nombre de timbres fiscaux réellement utilisés. Pour réaliser cette mission, la cellule d'audit interne (composée de collaborateurs du département Finances et du département Démographie) fait appel à un conseiller externe de "KPMG Advisory" chargé notamment de centraliser les données.

    VIIIr - 8027 - 4/35

    Comme proposé par ERNST & YOUNG, les contrôles ont porté, en principe, sur les permanences du jeudi soir au cours des années 2008 et 2009 (sauf pour cinq des cinquante-sept agents ne travaillant pas le jeudi soir et pour lesquels une autre période de référence a été choisie). Au total quatre cent nonanteneuf "shifts" (on entend pas "shift" une période de travail d'un collaborateur à un guichet) ont ainsi été sélectionnés initialement, auxquels vingt-sept "shifts" ont été rajoutés par la suite. Pour chaque "shift" sélectionné, il a été procédé à une comparaison entre le "nombre de timbres fiscaux nécessaires sur la base du nombre de cartes d'identité électronique demandées" via le logiciel BELPIC et le "nombre de timbres fiscaux utilisés" révélé par les PV de caisse. Une différence négative totalisant 3.511,64,- euros sur 15.325,- euros (devant normalement être perçus) a ainsi pu être constatée pour trente-cinq collaborateurs.

    Le rapport précise que parmi ces trente-cinq collaborateurs, le solde négatif total excède 50,- euros pour treize d'entre eux.

    Parmi les cinq cent vingt-six "shifts" sélectionnés, dix-sept...

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