Décision judiciaire de Conseil d'État, 21 décembre 2010

Date de Résolution21 décembre 2010
JuridictionAG
Nature Assemblée Générale

CONSEIL D'ÉTAT, SECTION DU CONTENTIEUX ADMINISTRATIF.

A R R E T

n° 210.000 du 21 décembre 2010

G./A.196.031/g-117

En cause : XXXX,

ayant élu domicile chez

Mes Jean-Claude DERZELLE et Anita FORMICA, avocats, rue A. Carnière, nº 137, 6180 Courcelles,

contre :

la ville de Charleroi,

ayant élu domicile chez

Mes Marc UYTTENDAELE et Joëlle SAUTOIS, avocats, rue de la Source 68 1060 Bruxelles.

-------------------------------------------------------------------------------------------------------LE CONSEIL D'ÉTAT, ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DE LA SECTION DU CONTENTIEUX ADMINISTRATIF,

I. Objet du recours

1. La requête unique introduite le 9 avril 2010 demande l'annulation et la suspension de l'exécution de "la décision du 30 mars 2010 (lire : 29 mars 2010) du conseil communal de la partie adverse (étant la ville de Charleroi) [...] en ce qu'elle édicte un Règlement d'Ordre Intérieur des établissements des Centres Educatifs Communaux Secondaires (C.E.C.S.), et notamment son article 4, § 1er, alinéa 2, qui interdit, sur base d'une application erronée du décret du 31 mars 1994 définissant la neutralité de l'enseignement de la Communauté, et dès le 30 mars 2010, le port de tout signe ostensible religieux, politique ou philosophique aux membres du personnel enseignant lorsqu'ils se trouvent dans l'enceinte de l'établissement où ils sont affectés et en dehors de celui-ci, dans l'exercice de leurs fonctions [...]".

g - 117f - 1/44

Une "demande de mesures provisoires avec astreintes" et une demande de dépersonnalisation ont également été introduites par la requête susvisée.

La partie requérante a enfin sollicité, le 2 novembre 2010, une réouverture des débats.

II. Procédure devant le Conseil d’État

2. L'arrêt nº XXXX du 7 avril 2010 a rejeté la demande de suspension d'extrême urgence et a décidé qu'il n'y avait plus lieu à statuer sur les demandes de mesures provisoires et d'astreinte contenues dans la même demande.

La partie adverse a introduit une note d'observations et a déposé le dossier administratif.

Monsieur le Premier auditeur Benoît CUVELIER a rédigé un rapport sur la base de l'article 12 de l'arrêté royal du 5 décembre 1991 déterminant la procédure en référé devant le Conseil d'État.

Une ordonnance du 1er septembre 2010 a renvoyé l'affaire devant l'assemblée générale de la section du contentieux administratif.

Une ordonnance du 2 septembre 2010 a fixé l'affaire à l'audience du 28 septembre 2010 à 14 heures.

Le rapport et l'ordonnance de fixation ont été notifiés aux parties.

Madame le Président de chambre Odile DAURMONT a exposé son rapport.

Maître J.-Cl. DERZELLE, comparaissant pour la partie requérante, et Maître J. SAUTOIS, comparaissant pour la partie adverse, ont présenté leurs observations.

Monsieur le Premier auditeur Benoît CUVELIER a donné son avis contraire.

g - 117f - 2/44

Il est fait application du titre VI, chapitre II, des lois sur le Conseil d'État, coordonnées le 12 janvier 1973.

Les arguments et propos de la partie requérante sont ici reproduits in extenso tant sur la forme que sur le fond, ils n'ont donc fait l'objet d'aucune modification.

III. Régularité de la procédure

3.1. La partie adverse a déposé une " note d’audience" peu de temps avant l'audience, le 28 septembre 2010.

Le Conseil d'État constate que la note d'audience qui - comme l'observe à juste titre la requérante n'est pas prévue par le règlement de procédure et qui ne requiert donc pas non plus de réponse formelle - ne comporte en fait rien de plus que ce qui a été abordé en définitive dans les plaidoiries orales de la partie adverse. La communication de cette note par écrit avant l'audience doit se comprendre comme un geste de courtoisie envers la requérante et le Conseil d'État; il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de la requérante d'écarter la note des débats.

En conséquence, la note d'audience n'est pas prise en considération comme pièce de procédure mais uniquement à titre informatif.

3.2. Le Conseil d'État rejette la demande de réouverture des débats introduite par la partie requérante le 2 novembre 2010.

En effet, dès lors que le conseil de la requérante a introduit le 3 novembre 2010 un recours contre la décision de licenciement de la requérante (enrôlé sous le numéro G/A XXXX), la demande de réouverture des débats est sans objet et ledit recours fera l'objet d'une procédure distincte.

IV. Faits utiles à l’examen du recours

4.1. La requérante est enseignante de mathématiques, temporaire prioritaire, dans trois établissements communaux de la ville de Charleroi (C.E.C.S.). Elle porte le "foulard islamique" lorsqu'elle donne cours.

g - 117f - 3/44

4.2. Une décision du collège de la ville de Charleroi, prise le 24 novembre 2009, lui a interdit de porter tout signe ostentatoire religieux.

4.3. Le 10 mars 2010, la Cour d'appel de Mons, siégeant en référé, a mis à néant l'ordonnance de référé du 15 décembre 2009 prise par le juge du Tribunal de première instance de Charleroi qui rejetait la demande de la requérante, enseignante dans l'enseignement officiel, d'être autorisée à dispenser ses cours de mathématiques en portant le " foulard" dans les trois C.E.C.S. qui lui ont été attribués par une lettre du 2 octobre 2009 et ce sous peine d'astreinte. La Cour d'appel de Mons a ordonné à la ville de Charleroi "dans l'attente de la décision à intervenir au fond, de permettre à l'appelante d'accéder aux écoles où elle a été affectée aux termes de sa lettre du 2 octobre 2009 et d'y donner les cours de mathématique, selon l'horaire qui lui a été assigné, en portant le foulard islamique à l'expiration d'un délai de 8 jours à compter de la signification du présent arrêt.". La Cour d'appel de Mons n'a pas prononcé d'astreinte. La partie adverse a formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt.

À la suite de l'arrêt de la Cour d'appel, la requérante a repris ses cours le 25 mars 2010.

4.4. L'acte attaqué a été adopté le 29 mars 2010.

4.5. Un arrêt du Conseil d'État nº XXXX du 2 avril 2010 a rejeté la demande de suspension de l'exécution de la décision susmentionnée du 24 novembre 2009 du collège de la ville de Charleroi, contre laquelle elle s'était également pourvue, comme indiqué ci-dessus, devant les juridictions de l’Ordre judiciaire. L'affaire est pendante au fond.

4.6. L'arrêt nº XXXX, prononcé par le Conseil d'État le 7 avril 2010, a rejeté la demande de suspension, introduite le 30 mars 2010 selon la procédure d'extrême urgence, par la requérante contre la décision susmentionnée du 29 mars 2010 du conseil communal. Il a également été jugé qu'il n'y avait pas lieu à statuer sur les demandes de mesures provisoires et d'astreinte.

4.7. Le 9 avril 2010, la requérante a introduit le présent recours devant le Conseil d'État.

4.8. Le 16 avril 2010, le conseil de la requérante a écrit ce qui suit au conseil de la partie adverse :

g - 117f - 4/44

" J'ai revu ma cliente : elle ne se présentera pas lundi puisqu'on lui fait interdiction d'enseigner avec le foulard.

Ce règlement nous paraît par ailleurs illégal.

La présente est adressée sans reconnaissance préjudiciable".

4.9. Le 18 mai 2010, par l'intermédiaire de son conseil, la requérante a écrit au conseil de la partie adverse pour s'étonner de n'avoir reçu aucune décision individuelle.

Interrogé par le Premier Auditeur-rapporteur sur l'évolution de l'affaire et sur l'existence éventuelle d'une décision "individuelle" ou d'une procédure en cours, les parties ont informé le Conseil d'État du fait que la requérante est convoquée devant le collège communal le 8 juin 2010.

Cette convocation précise notamment qu'"en application des articles 25, § 1er, alinéa 1er, 2º et 27bis, du décret du 6 juin 1994 fixant le statut des membres du personnel subsidié de l'enseignement officiel subventionné, le collège communal, agissant en qualité de pouvoir organisateur, envisage de vous licencier.".

4.10. Par un courriel du 24 septembre 2010, la partie adverse a communiqué une "copie de la notification de la délibération du Collège communal de la ville de Charleroi du 14 septembre dernier, au terme de laquelle celui-ci a confirmé le licenciement de XXXX, après avoir reçu l'avis conforme de la chambre de recours.".

4.11. Lors des plaidoiries, le conseil de la requérante a fait part du fait que celleci "envisageait" d'introduire un recours contre la décision de licenciement dont elle a fait l'objet. Un tel recours a été introduit devant le Conseil d’État le 3 novembre 2010 (enrôlé sous le numéro G/A XXXX).

V. Recevabilité de la demande de suspension

5. La partie adverse soulève une exception d'irrecevabilité qu'elle formule de la manière suivante : "Le recours est irrecevable, à défaut pour la requérante de quereller un acte lui faisant, en droit, grief.". Elle fait tout d'abord remarquer que la requérante s'est abstenue de solliciter la suspension de l'exécution de la décision de la ville de Charleroi du 29 mars 2010 d'adhérer au décret de la Communauté française du 31 mars 1994 définissant la neutralité de l'enseignement de la Communauté. L'interdiction litigieuse s'impose aussi, selon elle, sur cette base puisque "le port d'un signe religieux ostensible lui permet, ipso facto, de faire connaître le choix religieux qui est le sien et ce, indépendamment de la question de savoir s'il [l'enseignant]

g - 117f - 5/44

ambitionne [...] de déployer tout son zèle pour répandre activement sa foi.". Elle en conclut que, sans qu'il soit nécessaire de se référer au règlement d'ordre intérieur ici querellé, le décret applicable de plein droit à la requérante a pour effet de lui interdire de porter le "voile islamique" devant ses élèves. Elle fait valoir que le règlement d'ordre intérieur querellé n'a d'autre objet que de clarifier le droit existant. Elle en déduit que "la requérante n'a donc pas d'intérêt à quereller le règlement d'ordre intérieur tel que modifié par la partie adverse le 29 mars dernier, dès lors qu'une éventuelle suspension et annulation serait sans incidence sur sa...

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