Décision judiciaire de Conseil d'État, 28 juin 2000

Date de Résolution28 juin 2000
JuridictionVIII
Nature Arrêt

CONSEIL D'ETAT, SECTION D'ADMINISTRATION. A R R E T

nº 88.333 du 28 juin 2000

A.80.439/VIII-1074

En cause : LUSTMAN Elisabeth, ayant élu domicile chez Me Pierre LAMBERT, avocat, avenue Defré 19 1180 Bruxelles,

contre :

l'Etat belge, représenté par : 1. le Ministre de la Justice, 2. le Vice-Premier Ministre et Ministre du Budget, ayant élu domicile chez Me François TULKENS, avocat, avenue Louise 523 1050 Bruxelles.

---------------------------------------------------------LE CONSEIL D'ETAT, VIII e CHAMBRE,

Vu la requête introduite le 28 septembre 1998 par Elisabeth LUSTMAN, substitut du procureur du Roi près le tribunal de première instance de Bruxelles, qui demande l'annulation de la décision ministérielle du 20 juillet 1998 lui infligeant la sanction de l'avertissement écrit;

Vu les mémoires en réponse et en réplique régulièrement échangés;

Vu le rapport de M. BOUVIER, premier auditeur, chef de section au Conseil d'Etat;

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Vu l'ordonnance du 2 février 2000 ordonnant le dépôt au greffe du dossier et du rapport;

Vu la notification du rapport aux parties et les derniers mémoires;

Vu l'ordonnance du 29 mai 2000, notifiée aux parties, fixant l'affaire à l'audience du 23 juin 2000;

Entendu, en son rapport, Mme GEHLEN, conseiller d'Etat;

Entendu, en leurs observations, Me LAMBERT, avocat, comparaissant pour la requérante, et Me de JONGHE d'ARDOYE, loco Me TULKENS, avocat, comparaissant pour la seconde partie adverse;

Entendu, en son avis conforme, M. BOUVIER, premier auditeur, chef de section;

Vu le titre VI, chapitre II, des lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973;

Considérant que les éléments utiles à l'examen du recours sont les suivants :

  1. La requérante, substitut du procureur du Roi près le tribunal de première instance de Bruxelles, membre de la section famille, a repris, le 6 décembre 1993, le cabinet de son collègue GEERINCKX. Parmi les dossiers de ce cabinet se trouvait le dossier de la disparition de Loubna BENAÏSSA, dossier dont la requérante a eu la charge jusqu'au 28 février 1994.

  2. Le 18 avril 1997, à la suite des conclusions du rapport de la commission d'enquête parlementaire DUTROUXNIHOUL et consorts dans les affaires de disparitions d'enfants, le Ministre de la Justice pose au procureur

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    général de la Cour de cassation la question de savoir si les griefs articulés à l'égard de personnes citées dans le rapport ne pourraient pas donner lieu à des sanctions disciplinaires; parmi ces personnes figurent plusieurs membres du parquet de Bruxelles mis en cause dans l'enquête sur l'enlèvement, le 5 août 1992, de Loubna BENAÏSSA.

  3. Dans une lettre qu'il adresse au Ministre de la Justice le 5 septembre 1997, le premier avocat général P. MORLET fait savoir que les informations disciplinaires ainsi prescrites ont mis en évidence l'intervention notamment de la requérante dans la première phase de l'enquête relative à la disparition de Loubna BENAÏSSA, tout en précisant qu'il n'est fait inexplicablement aucune mention de cette intervention dans le rapport de la commission. Le premier avocat général ajoute que l'intéressée a été entendue dans le cadre des informations suivies en cause de ses collègues et a dès lors été amenée à fournir des explications circonstanciées. Il précise d'emblée qu'il aurait d'office ouvert une information disciplinaire à sa charge si ses déclarations avaient révélé dans son chef des indices de manquements qui lui étaient propres, mais qu'à son estime, rien ne justifie le recours à une telle procédure et que d'ailleurs l'opinion du ministre doit être la même puisqu'il n'a jamais parlé de l'intéressée.

  4. Par lettre du 23 octobre 1997, le Ministre de la Justice invite le premier avocat général à compléter le rapport du 5 septembre 1997 en lui transmettant officiellement son avis sur le cas de la requérante; le ministre observe en effet "que ce magistrat a proposé le classement sans suite du dossier concernant la disparition de Loubna BENAÏSSA et que cette décision me paraît à tout le moins susciter des explications et un avis de votre part dans le cadre d'une éventuelle enquête disciplinaire que je déciderais d'ouvrir".

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    5. Dans un rapport qu'il établit le 4 novembre 1997 à l'attention du Ministre de la Justice, le premier avocat général écrit que dans l'optique d'une éventuelle enquête disciplinaire, le comportement de la requérante doit, à son estime, être examiné sous deux angles, à savoir le traitement de l'affaire et l'attitude de la requérante vis-à-vis de la famille de la jeune disparue.

    S'agissant du premier point, il relève que l'intervention de la requérante est relativement réduite, puisqu'elle a hérité, au mois de décembre 1993, "d'une enquête qui se trouve au point mort depuis pratiquement un an, faute d'élément nouveau qui aurait pu l'orienter de manière significative"; il observe que l'intéressée a néanmoins estimé "- judicieusement - qu'il y a lieu de faire le point sur l'état actuel des investigations", que les vérifications faites n'ont rien apporté de neuf, qu'"aucun devoir ne paraissait plus pouvoir être utilement prescrit" et que "la mesure de classement n'apparaît donc nullement comme une mesure injustifiée ou arbitraire", d'autant plus que "ce classement, par nature provisoire, ne faisait évidemment pas obstacle à une réouverture du dossier en cas de découverte d'un élément nouveau".

    En ce qui concerne le second point, le premier avocat général écrit que la requérante "n'a pris aucune initiative en vue d'informer ou de faire informer de la décision de classement la famille de la jeune disparue"; il précise cependant qu'"il convient de garder à l'esprit qu'à l'époque - c'est-à-dire avant l'entrée en vigueur de votre première directive du 13 juillet 1993 relative à l'accueil des victimes au sein des tribunaux et des parquets - il n'existait ni au parquet de Bruxelles, ni dans les autres parquets du ressort, de structure relative à l'accueil et à l'encadrement des victimes. En outre, aucune directive ne prescrivait aux magistrats du parquet d'informer d'office des particuliers d'une décision de classement". Il conclut, sur ce point, qu'on eût pu, certes, souhaiter que la requérante "fît preuve, en l'espèce, d'initiative et qu'elle prît sur elle d'éclairer

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    la famille sur la nature et la portée réelle de la décision qu'elle avait prise", mais qu'il s'agit "d'un manque de qualité positive, et non de la méconnaissance d'une prescription qui s'imposait alors à elle".

    En conclusion, le premier avocat général émet l'avis qu'il n'existe, à l'encontre de la requérante, "aucun indice de manquement aux devoirs de sa charge qui apparaisse de nature à justifier l'ouverture d'une information disciplinaire".

  5. Par une dépêche du 24 novembre 1997, le Minis-tre de la Justice s'étonne que l'avis précité ne constituait pas les conclusions visées à l'article 420 du Code judiciaire, confirme son intention d'ouvrir une procédure disciplinaire à charge de la requérante et invite le premier avocat général à lui communiquer de toute urgence l'avis dont question.

  6. Le premier avocat général accuse réception de ce courrier dès le lendemain et transmet ses conclusions le 23 décembre suivant, après avoir reçu une note et un dossier de l'intéressée et procédé à son audition.

    Le magistrat-instructeur confirme, en l'étayant, la position qui était déjà la sienne le 4 novembre. Il écrit notamment, dans ses conclusions :

    Au sujet du traitement de l'affaire : " (...)

    J'estime, pour ma part, qu'une mesure de classement provisoire ne constituait pas, à l'époque, une faute professionnelle, pour autant que trois conditions fussent remplies : 1º Toutes les pistes envisageables devaient avoir été exploitées : nous avons vu que tel était apparemment le cas; 2º La disparition demeurait signalée au BCS : ce signalement subsistait effectivement;

    Mme...

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