Les principes applicables à l’amortissement des immeubles

AuteurPierre-François Coppens
Occupation de l'auteurJuriste spécialisé en droit fiscal
Pages143-160

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44. A quel rythme doit-on amortir un immeuble affecté à l'exercice de l'activité professionnelle ?
a Les taux d’amortissement recommandés ?

Lorsqu'un contribuable est propriétaire d'un immeuble qu'il affecte totalement ou partiellement à l'exercice de son activité professionnelle, il peut déduire à titre de frais professionnels l'amortissement de cet immeuble ou une de ses parties.

Le Code des impôts sur les revenus ne fixe pas de durée spécifique d'amortissements quant aux immeubles affectés à l'exercice de l'activité professionnelle. Par contre, le Commentaire dudit Code nous précise le délai en fonction de la nature de l'affectation donnée à l'immeuble :

- les immeubles industriels s'amortissent en principe à raison d'un taux annuel de 5 % dans les secteurs suivants : mines, industries chimiques, cuirs, peaux, chaussures, textile, électricité, métallurgie et sidérurgie96;

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- les immeubles à usage de bureau s'amortissent en principe à raison d'un taux annuel de 3 %. Néanmoins, lorsque ces bureaux font partie intégrante d'un immeuble industriel, le taux d'amortissement sera de 5 % 97.

Peuvent également être déduits les frais d'acquisition de biens immobiliers tels les frais de notaire, d'architecte, les droits d'enregistrement, la T.V.A. Ces frais peuvent être pris en charge intégralement l'année de leur paiement ou constituer un accessoire à la valeur d'acquisition et donc être amortis au même rythme que celle-ci98.

b Amortissement des terrains ?

L'administration fiscale a toujours été d'avis qu'un terrain, qu'il soit ou non bâti, ne pouvait s'amortir étant donné que sa durée d'utilisation n'est pas limitée dans le temps. Dès lors, en cas d'acquisition d'un immeuble bâti, il y aura lieu de ventiler le prix d'acquisition afin de pouvoir déterminer la partie du prix correspondant au terrain qui ne pourra pas être amortie.

Cela ne fait cependant pas obstacle à la possibilité de comptabiliser sur certains terrains qui font partie des immobilisations corporelles, des réductions de valeur qui peuvent être admises comme frais professionnels sur le plan fiscal, à condition qu'il soit prouvé qu'elles ont un caractère liquide et certain99.

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45. Peut-on amortir les frais d'aménagement et de construction d'un immeuble pris en location ?

La question complexe des amortissements des travaux d'aménagement et de construction réalisés par un exploitantlocataire d'un immeuble - lesquels ne sont pas susceptibles d'enlèvement (par exemple : installation électrique du chauffage central, renouvellement du parquet, transformation de façade) - est traitée en détail dans le Commentaire administratif100. Les principes essentiels sont les suivants. Avant toute chose, précise le Commentaire, il convient qu'il n'y ait pas de simulation, c'est-à-dire qu'il n'y ait aucune intention de consentir au propriétaire une libéralité101 correspondant à la valeur des travaux mais, au contraire, que de tels travaux n'aient d'autre but que de permettre le fonctionnement normal de l'activité professionnelle du locataire. Si l'affectation professionnelle des travaux ne peut être contestée, le locataire pourra amortir ces travaux soit sur la durée du bail, soit sur une durée moindre s'il peut démontrer que la dépréciation se révèle plus rapide. À l'issue du bail, c'est-à-dire au moment où le locataire perd la propriété des constructions102, ce dernier pourra amortir la valeur résiduelle de celles-ci.

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46. Quelle est la base d'amortissement d'un immeuble détenu en usufruit ?
a La méthode d’évaluation traditionnelle adoptée lors des « constructions usufruit »

L'estimation correcte de la valeur de l'usufruit est une question essentielle, notamment parce qu'elle est étroitement corrélée à la problématique de l'éventuelle taxation d'un avantage en nature pour le nu-propriétaire, que cette taxation intervienne au cours ou à l'expiration de l'usufruit.

La valorisation d'un usufruit ne fait l'objet d'aucune disposition dans le Code des impôts sur les revenus. Les candidats à de telles « constructions usufruit » se tournent généralement vers des modes d'estimation issus d'autres branches du droit fiscal. En pratique, l'évaluation de l'usufruit sur un immeuble se fait sur la base de l'article 47, alinéas 2 et 3 du Code des droits d'enregistrement qui fixe la base imposable pour le calcul des droits d'enregistrement en cas de cession d'un usufruit temporaire sur un immeuble103.

Cette disposition prévoit que « si l'usufruit est établi pour un temps limité, la valeur vénale est représentée par la somme obtenue en capitalisant au taux de 4 % le revenu annuel, compte tenu de la durée assignée à l'usufruit par la convention, mais sans pouvoir excéder soit la valeur déterminée selon l'alinéa précédent, s'il s'agit d'un usufruit constitué au profit d'une personne physique, soit le montant de vingt fois le revenu, si l'usufruit est établi au profit d'une personne morale. En aucun cas, il ne peut être assigné à l'usufruit une valeur vénale supérieure aux quatre cinquièmes de la valeur vénale de la pleine propriété »104.

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Dans la plupart des cas, les contribuables évaluent l'usufruit à 80 % de la valeur de la pleine propriété de l'immeuble, ce qui constitue le maximum autorisé par l'article 47 du Code des droits d'enregistrement105.

b Le point de vue de l’administration

Cette méthode d'évaluation de l'usufruit prévue dans le Code des droits d'enregistrement est de plus en plus sérieusement remise en cause. Dans une décision anticipée (favorable) du 30 septembre 2003106, l'administration fiscale avait certes admis que la méthode fondée sur l'article 47 du Code des droits d'enregistrement pouvait s'appliquer, mais a estimé dans la foulée que « la présente décision ne portait pas préjudice à l'imposition éventuelle dans le chef de M. X d'un avantage de toute nature visé à l'article 32, alinéa 2, 2° du C.I.R. », ce qui, pour le contribuable, ne pouvait que tempérer l'optimisme suscité par l'obtention d'une telle décision favorable. Une entaille plus prononcée à l'utilisation de ce mode d'évaluation est faite par le ministre des Finances à l'occasion d'une réponse à une question parlementaire. Ce dernier y précise que « pour évaluer l'usufruit, le produit actualisé des locations est, le cas échéant, l'un des éléments et qu'en matière d'impôts sur les revenus il ne faut pas nécessairement se référer aux règles mentionnées dans le Code des droits d'enregistrement ou de succession »107.

Le 8 février 2007, le service des décisions anticipées a précisé, dans un avis rendu sur la question des « constructions usufruit », qu'aucune requalification d'usufruit n'interviendra lorsque les cinq conditions sont réunies :

  1. l'usufruit est obtenu d'un tiers;

  2. l'usufruit est constitué pour une période de minimum vingt ans;

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  3. une partie importante (± 50 %) de l'immeuble est affectée par la société a sa propre activité;

  4. pour la partie non affectée à l'activité de la société, un loyer correspondant au prix du marché devra être payé sur la base d'un contrat de bail enregistré;

  5. les frais éventuels exposés pour le bien immobilier doivent être reportés entre l'usufruitier et le non propriétaire conformément aux dispositions des articles 605 et 606 du Code civil.

    L'avis ajoute que la valorisation de l'usufruit doit être effectuée à sa valeur réelle et que, pour l'application des impôts directs, les méthodes de valorisation forfaitaire utilisées en matière de droits d'enregistrement et de droits de succession ne sont pas appropriées.

    On notera enfin que le nouveau Collège pour la lutte contre la fraude fiscale et sociale présidé par Carl Devlies a inséré dans son « plan d'action 2008-2009 » la lutte contre les « constructions usufruit ». Le Collège annonce que, pour mieux contrôler ces montages, une banque de données sera développée.

c Le jugement du 28 février 2005 du tribunal de première instance de Mons

On observera que cette position reste encore assez nuancée. S'inspirant sans doute d'une telle position mais aussi (et surtout) d'une étude de J. Verhoeye108 consacrée à la valeur économique d'un usufruit, le tribunal de première instance de Mons rendit, en février 2005, un jugement109 rejetant sans détour la valorisation retenue traditionnellement dans le contexte des « constructions usufruit ».

Selon le juge, les règles d'évaluation qui figurent dans le Code des droits d'enregistrement ne peuvent tout simplement pas être transposées en matière d'impôts sur les revenus car « ces règles ne visent précisément qu'à déterminer la valeur de l'usufruit et la valeur de la nue-propriété dans le seul cadre des droits...

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