La décharge des sûretés personnelles à titre gratuit

AuteurPhilippe Jehasse
Occupation de l'auteurAvocat et associé , Bureau Henry et Mersch
Pages153-162

Page 153

1. Histoire d'une discrimination

Initialement, seul le failli pouvait bénéficier des effets de l'excusabilité. Les créanciers pouvaient donc poursuivre le conjoint du failli qui s'était, par exemple, porté caution des engagements de son époux.

Dans un arrêt du 28 mars 2002, la Cour d'arbitrage a considéré que ce régime était discriminatoire 401.

Le législateur s'est donc attelé à corriger cette différence de traitement injustifiée en étendant les effets de l'excusabilité à la personne physique qui, à titre gratuit, s'est engagée comme caution des obligations du failli déclaré excusable ainsi qu'au conjoint qui s'est personnellement obligé à l'égard des dettes du failli.

Dès lors que le failli était déclaré excusable, la caution personne physique, dite «caution de bienfaisance», se voyait automatiquement déchargée de son engagement, quelle que soit sa situation de fortune. En outre, les conditions de malheur et de bonne foi n'étaient pas requises pour qu'elle puisse obtenir le bénéfice de cette mesure.

La loi du 4 septembre 2002 est donc allée plus loin que ce que préconisait la Cour d'arbitrage, situation qu'elle a condamnée en ces termes dans un arrêt du 30 juin 2004 402 :

[...] en étendant automatiquement à la caution à titre gratuit le bénéfice de l'excusabilité qui n'est accordée qu'à certaines conditions au failli, le législateur est allé au-delà de ce qu'exigeait le principe d'égalité. Il a imposé Page 154 aux créanciers un sacrifice qui n'est pas raisonnablement proportionné au but qu'il poursuit

.

En conséquence, elle a annulé les articles 81, 1º et 82 alinéa 1er de la loi du 8 août 1997 sur les faillites tels que modifiés par la loi du 4 septembre 2002.

Suite à l'adoption de la loi du 20 juillet 2005, le législateur a mis fin à cette automaticité entre l'excusabilité du failli et la libération de la caution à titre gratuit.

Le sort de la personne physique qui, à titre gratuit, s'est constituée sûreté personnelle du failli - personne morale ou personne physique, la loi ne faisant plus de distinction entre les deux hypothèses - est désormais dissocié de celui du failli.

Cette personne peut, à certaines conditions que nous examinerons infra, être déchargée totalement ou partiellement de ses obligations.

Par ailleurs, à compter du jugement déclaratif de faillite, les voies d'exécution à charge de la caution à titre gratuit sont également suspendues, comme à l'égard du failli 403. Page 155

2. Quelles sont les personnes susceptibles d'être déchargées ?

La loi vise toute personne physique - les personnes morales qui se sont portées sûretés personnelles, même à titre gratuit, ne peuvent être déchargées - qui, à titre gratuit, s'est constituée sûreté personnelle du failli ou de la société faillie, sauf lorsqu'elle a frauduleusement organisé son insolvabilité 404.

* Qu'appelle-t-on sûretés personnelles ?

En droit belge, le vocable de «sûretés personnelles» vise le contrat de cautionnement et la solidarité passive.

Exemple

Le père du gérant qui, pour obtenir des fonds destinés exclusivement à la société de son fils, doit s'engager comme caution.

Dans la mesure où il s'agit de sûretés réelles - c'est-à-dire dont l'objet porte sur une chose - et non personnelles, la décharge n'est pas susceptible de profiter aux tiers affectants hypothécaires. Dans un arrêt du 25 janvier 2006, la Cour d'arbitrage a considéré qu'il ne s'agissait pas d'une discrimination contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution aux motifs qu'il s'agissait d'engagements limités à un ou plusieurs biens déterminés et que les affectants hypothécaires étaient par ailleurs conseillés et informés par le notaire instrumentant 405.

Elle ne s'applique pas non plus au véritable codébiteur solidaire ou co-emprunteur car celui-ci n'intervient pas en qualité de sûreté mais de contractant 406. Page 156

* Qu'appelle-t-on sûreté personnelle à titre gratuit ?

Pour être déchargée, la sûreté personnelle doit s'être engagée à titre gratuit.

La loi sur les faillites ne définit pas ce qu'il faut entendre par les mots «à titre gratuit».

La Cour d'arbitrage a précisé dans son arrêt du 30 juin 2004 précité (page 153, note 402)que «[...] la nature gratuite de la caution porte sur l'absence de tout avantage, tant direct qu'indirect, que la caution peut obtenir grâce au cautionnement».

Cette approche exclut clairement la caution rémunérée, mais que recouvre la notion d'«avantage tant direct qu'indirect» ?

Ainsi, la personne qui exerce un commerce en société et qui a dû se porter caution des engagements de celle-ci, peut-elle être considérée comme une caution à titre gratuit ou faut-il considérer que tirant ses revenus de cette activité - et ayant donc un intérêt économique évident à la bonne marche de ses affaires -, son cautionnement ne...

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