La déduction des charges immobilières au titre de frais professionnels

AuteurPierre-François Coppens
Occupation de l'auteurJuriste spécialisé en droit fiscal
Pages123-141

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37. Usage professionnel d'une habitation : comment détermine-t-on la « quotité professionnelle » ?

Il arrive fréquemment qu'une partie de l'habitation privée soit utilisée par un contribuable comme bureau à des fins professionnelles. Dans ce cas, les loyers et charges locatives pourront être portés en déduction à titre de frais professionnels si les conditions énoncées à l'article 49 du C.I.R. sont remplies.

Une institutrice affectant une pièce de son habitation privée à usage de bureau déduisait à titre de frais professionnels la partie du loyer et des charges afférents à ce bureau. L'administration a rejeté cette déduction car le bureau n'était pas affecté exclusivement à l'exercice de l'activité professionnelle alors même qu'elle admettait que « le caractère utile et pratique d'une pièce utilisée pour la correction des devoirs, la préparation des cours, etc. ne peut être contesté ». Dans un arrêt rendu le 17 février 1995, la cour d'appel de Mons a donné raison au contribuable estimant « qu'il est raisonnable de fixer la quote-part d'affectation professionnelle de l'habitation à 15 %; que cette proportion s'applique ensuite à toutes les dépenses relatives à la maison : chauffage, éclairage, entretien, centimes additionnels, assurances, etc. »64

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Un agent de l'administration des contributions directes déduit comme dépense professionnelle des frais de bureau à domicile. Ni la réalité, ni le montant des frais du bureau ne sont remis en question par l'administration qui conteste exclusivement le caractère nécessaire de ces dépenses car le fonctionnaire dispose au sein de l'administration d'un bureau pour remplir les tâches qui lui sont confiées et prendre connaissance des nouvelles dispositions administratives et légales. Le fonctionnaire récalcitrant soutient « que pour être déductibles il n'est point nécessaire que les dépenses soient nécessaires à l'exercice de la profession; qu'il suffit d'un lien entre les dépenses et la profession en ce sens que si le contribuable n'avait pas exercé la profession, il n'eût pas dû engager les frais litigieux ». La cour d'appel de Bruxelles va suivre le raisonnement du contribuable et accepter la déduction des frais d'un bureau à domicile65.

Par contre, comme exposé ci-avant, lorsque le contribuable est propriétaire du bien immobilier, il ne peut déduire ni la valeur locative, ni le revenu cadastral.

Mais comment in concreto détermine-t-on la quotité professionnelle d'une habitation ?

Dans son arrêt du 7 mars 200766, la cour d'appel de Gand a confirmé que la proportion entre la partie professionnelle et la partie privée des frais professionnels d'un bâtiment à usage mixte est toujours une question de fait. Elle suggère à ce propos une clef de répartition entre la quotité professionnelle et privative en fonction du nombre de locaux, de la situation, de la superficie, de l'utilité et de l'intensité de l'utilisation. Le critère de la superficie est un critère strictement objectif et il doit donc être retenu par préférence.

Dans le cas d'espèce soumis à la cour, le pourcentage professionnel retenu par un médecin se fondait sur un calcul établi par l'architecte du bâtiment. L'administration faisait toutefois remarquer que les factures ont été établies par les entrepreneurs suivant la clef de répartition proposée par l'architecte. La cour considère que le pourcentage que l'architecte fait en fonction de matériaux utilisés ne tient pas la route.

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De la différence entre le calcul sur la base de la superficie et celui sur la base de la valeur du bâtiment, il en ressort donc que l'exécution et la construction des locaux affectés à la profession ont coûté bien plus cher que les parties privatives. Cela n'est pourtant pas étayé de la moindre façon. Au contraire, dit la cour, même le parachèvement, par exemple, d'une cuisine ou d'une salle de bains se révèle en règle générale beaucoup plus cher que le parachèvement d'espaces affectés à des bureaux.

La cour se rallie au calcul présenté par l'administration pour ce qui concerne les factures visant l'ensemble du bâtiment. Du fait des factures qui se rapportent spécifiquement au parachèvement des locaux professionnels, il a été tenu compte de la valeur de la partie professionnelle du bâtiment. La cour réforme par conséquent le jugement attaqué du tribunal de première instance de Gand.

Dans la plupart des cas, la jurisprudence choisit de se référer au critère de la superficie67. Il en va de même pour les espaces qui sont affectés partiellement à l'activité professionnelle, comme les toilettes (s'il n'y en a pas réservées pour l'espace professionnel), le grenier ou la cave (pour l'archivage), le couloir, le hall, l'escalier68, le garage. Un plan peut être un excellent moyen de prévenir les litiges relatifs aux superficies69.

En fait, il s'agit de ne pas exagérer. C'est ainsi que les juges ont refusé à plusieurs reprises d'accepter le living comme un local affecté à l'activité professionnelle parce qu'il était invraisemblable que les clients ou les patients y soient reçus70.

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38. Un propriétaire peut-il déduire un loyer fictif fondé sur une valeur locative ?

L'administration fiscale souligne dans son Commentaire administratif que si le contribuable est propriétaire des biens immobiliers affectés à l'exercice de son activité professionnelle, il ne peut déduire ni la valeur locative, ni le revenu cadastral desdits biens à titre de frais professionnels71. Il est en effet fréquent que certains contribuables tentent de déduire un loyer fictif fondé sur la valeur locative du bien immobilier dont ils sont propriétaires et qui est affecté à des fins professionnelles, et ce, afin de compenser la perte de jouissance subie en raison de cette affectation.

Un représentant en papier d'emballage utilisant un bureau installé dans le living de son habitation pour y rédiger, le soir, ses rapports de visites à la clientèle déduisait à titre de frais professionnels la valeur locative de la partie de l'immeuble affectée à cette activité professionnelle.

Amenée à se prononcer sur la question, la cour d'appel de Bruxelles a considéré que « la circonstance qu'(il) est propriétaire de la maison où il habite et que l'installation de son bureau dans le living n'a entraîné aucune dépense de loyer complémentaire, ne permet pas de conclure que les frais de locaux (en l'occurrence un loyer professionnel (« fictif ») de 10.200 BEF), sont inexistants ».

La cour a décidé que « dès lors qu'il est établi qu'(il) a affecté un espace dans sa maison d'habitation à un usage professionnel, il est en droit de déduire comme charge professionnelle la valeur locative proportionnelle à l'espace occupé »72.

Saisie du litige par l'administration fiscale, la Cour de cassation a rendu un arrêt en date du 28 juin 1996 cassant la décision de la cour d'appel de Bruxelles.

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En effet, la Cour suprême a estimé « que lorsqu'un travailleur salarié affecte une partie de l'immeuble qu'il occupe et dont il est propriétaire, à l'exercice de son activité professionnelle, les articles 44 et 45 du Code des impôts sur les revenus (1964) n'interdisent pas la déduction, à titre de charge professionnelle, du montant représentant l'amortissement du coût de cette partie de l'habitation; qu'ils ne permettent toutefois pas la déduction à titre de charge professionnelle, de la valeur locative proportionnelle à l'espace occupé alors que, par définition, il n'y a pas eu versement de loyer; que l'arrêt, qui en décide autrement, ne justifie pas légalement sa décision »73.

39. Peut-on déduire un loyer payé à son conjoint ?

Le contribuable qui utilise, pour l'exercice de son activité professionnelle, un bien immobilier appartenant en propre à son conjoint est en droit de déduire de ses bénéfices imposables un loyer normal à titre de frais professionnels, si les trois conditions suivantes sont remplies :

  1. le paiement d'un loyer doit être justifié en droit;

  2. ce paiement doit avoir été réellement effectué;

  3. le conjoint propriétaire de l'immeuble ne peut pas avoir, en fait, la qualité de coexploitant.

L'attribution par l'exploitant d'une quote-part de ses bénéfices à son conjoint aidant conformément à l'article 86, alinéa 1er du C.I.R. n'implique pas à elle seule que le conjoint ait la qualité de coexploitant74.

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40. A quelles conditions peut-on déduire un loyer d'une résidence secondaire proche de son lieu de travail ?

La déduction du loyer et des charges locatives d'une résidence secondaire à titre de frais professionnels ne sera admise que lorsqu'il ressort des circonstances de fait du cas d'espèce que les frais sont nécessaires à l'exercice de l'activité professionnelle. L'administration considère que cette nécessité peut notamment être admise lorsque le contribuable démontre :

- soit qu'il évite une navette anormalement longue ou singulièrement difficile par la location d'une habitation secondaire (compte tenu éventuellement de son état de santé et de son âge);

- soit qu'il peut toujours être rappelé à l'usine ou au bureau, en dehors des heures de travail, par exemple pour effectuer des réparations urgentes, et qu'il habite trop loin pour pouvoir y donner une suite suffisamment rapide75.

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