Brevets et savoir-faire

AuteurDominique Kaesmacher; Théodora Stamos
Occupation de l'auteurPrésidente, AIPPI (Association Internationale de la Protection de la Propriété Intellectuelle)/Juriste d’entreprise, Belgacom
Pages73-114

Page 73

A Pourquoi déposer un brevet ?
1. Un outil pour obtenir un monopole légal d’exploitation

Le brevet peut être défini comme un titre délivré par une autorité publique, portant sur une invention et conférant à son titulaire un monopole temporaire d’exploitation de cette invention à certaines conditions, notamment de divulguer son invention dans un certain délai après le dépôt. Tous les domaines techniques au sens large sont concernés : la mécanique, l’électronique, la chimie, les sciences de la vie, etc.

Le monopole conféré par la loi au titulaire d’un brevet est un droit d’interdire aux tiers l’exploitation de l’invention brevetée. En d’autres termes, le brevet est avant tout un moyen de «bloquer» ses concurrents pendant une certaine période. Il n’est pas ipso facto un droit d’exploiter l’invention couverte par le brevet. Il se peut en effet que des règles d’ordre public (relatives à la sûreté de l’État ou à la protection de la santé, par exemple) ou des brevets antérieurs de tiers viennent empêcher l’exploitation du brevet même par son titulaire.

Cela étant dit, dans la plupart des cas, le brevet confère également en pratique pour le titulaire un véritable droit positifPage 74 d’exploiter l’invention en exclusivité. D’une part, rares sont les règles limitant la fabrication, la vente ou l’emploi de produits ou procédés dans un régime d’économie de marché et de libre concurrence comme le nôtre. Par ailleurs, si des brevets plus anciens de tiers peuvent en principe limiter ou interdire l’exploitation de l’invention brevetée parce que celle-ci empiète sur un brevet antérieur, le système de la licence obligatoire pour brevet dépendant a précisément pour objet d’empêcher les abus en la matière. En effet, le titulaire du brevet second peut en quelque sorte grâce à ce système forcer le titulaire du brevet premier à lui concéder une licence d’exploitation du brevet premier dans la mesure nécessaire à exploiter le brevet second32.

2. Un outil pour valoriser les résultats de la recherche

Qui dit monopole dit aussi plus grande liberté de fixation des prix, et donc possibilité de générer des marges bénéficiaires plus grandes, permettant de rentabiliser les frais de recherches et développements (outre les frais de protection par brevets).

L’intégration d’une stratégie de dépôt de brevets dans la stratégie globale de l’entreprise permet d’ailleurs à celle-ci d’avoir une meilleure connaissance des résultats concrets de la recherche menée au sein de son entreprise (ou menée pour elle par un tiers travaillant en sous-traitance, tel un centre de recherche ou une université).

En effet, pour obtenir un brevet, le déposant devra décrire l’invention dans la demande de manière claire et complète. La recherche devra donc être bien documentée (notes de suivi de projets, PV d’état d’avancement de projets, carnets de laboratoire, etc. décrivant l’objet des recherches, les difficultés constatées, les essais, les hypothèses, etc.).

Page 75

3. Un outil pour générer des revenus via des licences

Le titulaire du brevet, ou de la demande de brevet, peut décider d’exploiter lui-même l’invention faisant l’objet du brevet. Mais il peut aussi préférer en concéder totalement ou partiellement l’exploitation à un ou plusieurs tiers, de manière exclusive ou non, en contrepartie du paiement d’une rémunération. Philips par exemple possède des dizaines de milliers de brevets et engrange des millions d’euros grâce aux licences qu’elle concède (notamment sur le système cd-rom). Certaines sociétés se spécialisent d’ailleurs dans la R&D suivie de dépôt de brevets qu’elles concèdent ensuite en licence d’exploitation à des tiers tout en se réservant la propriété. Les universités et centres de recherches s’orientent de plus en plus dans cette voie.

Une certaine prudence reste de mise, surtout lorsque le titulaire exploite aussi lui-même l’invention en parallèle, car un licencié peut devenir un concurrent «déloyal». Plus généralement, l’on constate trop souvent que les contrefacteurs sont des anciens licenciés, voire même dans certains cas, des licenciés existant qui exploitent la licence partiellement pour leur seul compte et sans en informer le concédant... Il vaut donc mieux concéder des licences pour des applications et des territoires différents de ceux exploités par le titulaire.

4. Un instrument pour attirer des collaborateurs et partenaires de qualité

Le nom de l’inventeur personne physique, qui en Belgique et en Europe peut être distinct du déposant/titulaire du brevet, figure dans le document de demande de brevet et dans le brevet octroyé, lesquels sont tous deux publiés. Pour un chercheur, être nommé comme inventeur d’un brevet délivré constitue certainement une récompense et une reconnaissance non négligeables. Cette mention peut en outre être liée à un système interne de rémunération exceptionnelle.

Page 76

Par ailleurs, il est particulièrement motivant pour un chercheur de faire partie d’une équipe dont les travaux débouchent sur la délivrance de brevets puisque seules les inventions nouvelles et inventives sont brevetables. Cela signifie que l’équipe est performante, ce qui permet d’attirer aussi de nouveaux talents extérieurs.

Pour la même raison, les partenaires financiers sont également positivement influencés par la présence parmi les actifs de la société d’un porte feuille de brevets33.

En d’autres termes, les brevets sont incontestablement créateurs d’image positive d’innovation et de qualité.

5. Un outil de négociation indispensable dans certains secteurs ou pays

Dans certains secteurs d’activités, tels que les télécommunications et les produits pharmaceutiques, toutes les entreprises déposent des brevets, et ce en grande quantité. Cela fait parfois partie de politique de «brouillage» de pistes ou de stratégie plus impérialiste de «minage» de terrain. Il devient de toute façon impossible aux nouveaux entrants de se faire une place au soleil sans adopter eux aussi une stratégie de dépôts de brevets et de disposer d’une masse critique de brevets, pour être en mesure de négocier des licences croisées de brevets («je te donne le droit d’exploiter mon brevet à condition que tu me donnes le droit d’exploiter le tien»).

Par ailleurs, dans certains pays, notamment l’Italie, le phénomène de contrefaçon a atteint une ampleur telle que de nombreux distributeurs refusent de s’engager à commercialiser des produits s’ils n’ont pas l’assurance que ces produits sont authentiques. Une façon de les convaincre est de prouver que les produits sont brevetés.

Page 77

B Quand préférer la protection par le secret ou d’autres protections ?
1. Les autres stratégies possibles

Certaines sociétés ont construit de véritables empires sur la base d’inventions qu’elles n’ont jamais protégées par brevet. Quelles stratégies ont-elles adoptées ?

Ces autres stratégies sont essentiellement la protection...

Pour continuer la lecture

SOLLICITEZ VOTRE ESSAI

VLEX uses login cookies to provide you with a better browsing experience. If you click on 'Accept' or continue browsing this site we consider that you accept our cookie policy. ACCEPT